Dassault, et autres oligarques français
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Dassault, et autres oligarques français

"Il avait dû affronter des démêlés judiciaires" : sept mots, en tout et pour tout. C'est en sept mots, que Le Figaro, sous la plume de François-Xavier Bourmaud, évoque les condamnations et mises en examen de son actionnaire, Serge Dassault, mort hier dans son bureau, à 93 ans. Quant à l'article consacré à la carrière d'élu du disparu, dans l'Essonne, rédigé par son confrère Guillaume Tabard, c'est encore mieux : pas un mot. Sept mots, donc, pour résumer aux lecteurs du Figaro la condamnation à cinq ans d'inéligibilité et  deux millions d'euros d'amende pour blanchiment de fraude fiscale (le procès en appel devait se tenir la semaine prochaine), ainsi que la mise en examen du défunt pour achat de votes à Corbeil (l'instruction a été clôturée en juillet dernier, après trois ans).

Mais le meilleur de l'éloge se trouve sous la plume des deux grands chefs, Marc Feuillée,  directeur général, et Alexis Brézet, directeur des rédactions. "Il nous avait donné rendez-vous ce mardi dans son bureau du Rond-Point des Champs-Élysées. C'était un rite: comme chaque semaine, nous devions évoquer avec lui cette actualité, politique, économique et internationale, qu'il n'a jamais cessé de scruter avec passion ; comme chaque semaine, nous devions parler ensuite des affaires du journal: les ventes, la publicité, les développements futurs, les investissements… tout ce qui fait la vie d'un grand groupe de presse, la vie de ce Figaro qu'il aimait tant".

Tout y est. Cet aimable "rendez-vous" hebdomadaire (surtout, ne parlons pas de convocation !) Et cette non moins aimable conversation, voguant de l'actualité "scrutée avec passion" par l'oligarque, aux dernières nouvelles du business. Il faut, d'urgence, commander à un peintre figuratif une vaste fresque allégorique de ces "rendez-vous" hebdomadaires. Elle ornera magnifiquement le hall d'entrée de l'immeuble du journal.

Le traitement "pravdaesque" par Le Figaro de tout ce qui concernait son actionnaire (et ses produits aéronautiques, et leur clientèle supposée, etc), est l'exemple le plus caricatural, avec l'instrumentalisation de Canal+ par Bolloré, voir notre récente émission, de l'asservissement des medias français par les milliardaires qui les possèdent. On peut lire à ce sujet un excellent rappel de l'AFP. Le joug est parfois plus léger, et n'apparait qu'occasionnellement (exemple : le traitement par les journaux Arnault, Le Parisien et Les Echos, du film "Merci patron", de François Ruffin). Dans d'autres groupes encore, ce joug est même invisible à l'oeil nu. Il arrive au Monde d'évoquer les conflits sociaux dans les centres d'appel de Free, et à Libé de traiter les déboires de SFR, deux entreprises appartenant à leurs actionnaires respectifs.

Mais l'essentiel n'est pas là. Après tout, les medias d'un oligarque se font toujours un plaisir d'évoquer les déboires de l'oligarque concurrent. L'essentiel, ce sont les barrières invisibles, aux yeux des journalistes eux-mêmes, qu'installe autour des rédactions le système de financement traditionnel de la presse, qui ne se résume pas à ses actionnaires. La presse dépend aussi de ses annonceurs (lire la lettre insensée des patrons de chaînes françaises aux parlementaires, pour s'opposer à toute législation sur les pubs pour la malbouffe), et des subventions publiques, sans oublier, bien entendu, ses lecteurs payants, quand il en reste. Quand  l'excellente Ariane Chemin, du Monde, que nous recevions cette semaine, assure qu'elle n'a aucune idée de la raison -économique ? politique ? autre ?- pour laquelle Xavier Niel a racheté Le Monde, elle est certainement sincère. 

Gain de respectabilité, dissuasion à l'égard des agresseurs potentiels de toutes sortes : pour extraire tout le suc d'influence de son investissement dans la presse, l'oligarque patron de media n'a nul besoin d'interventions téléphoniques impératives et pataudes. Il lui suffit que l'on croie à son pouvoir absolu sur "ses" medias, et de le laisser croire, à quoi contribue par exemple, apocryphe ou non, la fameuse boutade de Niel : "quand les journalistes m'emmerdent, je prends une participation dans leur canard, et ensuite ils me foutent la paix".  A cet égard, les figures caricaturales de Dassault et Bolloré contribuent, elles aussi, à ce système général de dissuasion.


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