Meurtre à Grenoble : les chaînes d'info ont le coupable, "la gauche"
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Meurtre à Grenoble : les chaînes d'info ont le coupable, "la gauche"

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Éditorialiste est un métier difficile. Que ce soit sur BFMTV, LCI ou CNews. Chaque matin, il faut actualiser ses fiches sur la délinquance, l'insécurité, les immigrés, le laxisme, en essayant de coller au mieux avec le fait divers du jour (ce qui n'est pas toujours simple, comme vous allez le voir). Lundi 9 septembre, au lendemain de la mort de Lilian Dejean, un employé municipal de 49 ans tué par balles à Grenoble, les éditorialistes de ces chaînes d'info ont recyclé à peu près tous les poncifs sur l'insécurité et le "laxisme" de certain·es élu·es, qui seraient des "bisounours" mettant sciemment "en danger" leurs administré·es. Et devinez de quel bord politique proviennent ces irresponsables ?

Quelques duplex dans l'après-midi, des témoignages de proches, un direct pendant l'hommage municipal : ce lundi 9 septembre, BFMTV accorde une grande place à un fait divers survenu la veille à Grenoble. Alors qu'il tentait d'arrêter l'auteur d'un accident de la route, un agent municipal de la ville, âgé de 49 ans, a été tué par balles. Le suspect, qui a pris la fuite, est "connu de la justice" notamment pour "violences" et "trafic de stupéfiants".

Si la chaîne d'info a décidé de traiter de ce fait divers, c'est parce qu'il intervient dans un contexte bien particulier : cet été, la ville de Grenoble a connu plusieurs fusillades sur fond de trafic de drogue. Une véritable "guerre des gangs", pour reprendre l'expression du procureur de la République de Grenoble. Jusqu'en milieu d'après-midi, le traitement de BFMTV est assez sobre - si l'on considère indispensable que le récit de ce drame doit être répété toutes les 15 minutes.

Mais à 16 h 45, sur la tranche d'Alain Marschall et d'Olivier Truchot, changement de ton et d'intervenants. Pour commenter ce fait divers, la chaîne a notamment invité sur le plateau… un porte-parole du Rassemblement National.

Mais aussi... un député du Rassemblement National (car juste un porte-parole d'extrême droite, ça ne suffisait pas).

Et aussi un conseiller municipal d'opposition bien connu : l'ancien maire de Grenoble, Alain Carignon. Un fin connaisseur de la justice, puisqu'il a été condamné à 4 ans de prison ferme pour corruption.

Ces invités à peine orientés politiquement vont être bombardés de questions-pièges par les journalistes de BFMTV. À commencer par le porte-parole RN : "On a entendu une riveraine de Grenoble dénoncer le climat d'insécurité (...) Elle dit : « Messieurs les politiques, c'est à vous d'agir maintenant ». Qu'est-ce que vous avez à répondre, M. Kotarac ?" C'est vrai ça, qu'est-ce qu'un porte-parole d'extrême droite peut répondre à une citoyenne qui souhaite davantage de sécurité ? Suspense… "Je pense qu'elle a raison, le Rassemblement national dénonce un climat d'ensauvagement de la société." Ça alors…

Même question ouverte à Alain Carignon : "Quand vous entendez dire « Aujourd'hui, Grenoble c'est devenu Chicago, c'est la loi des gangs», vous réagissez comment ?" Pas bien. Question suivante : "Trouvez-vous normal que les policiers municipaux de Grenoble soient désarmés ?"

Désarmés ? En fait, ils ne sont simplement pas armés, l'actuel maire de Grenoble, Éric Piolle, ayant annulé la décision de son prédécesseur de fournir des armes aux policiers municipaux. Mais qu'importe. Pour Carignon, cette absence d'arme est une faute politique : "Le problème de ces politiques-là, ils ont une doctrine et ils ne veulent pas en varier. C'est dommage qu'ils ne veuillent pas s'adapter un tant soit peu à la réalité. Une police non armée dans un Far West, ça veut dire qu'elle ne peut pas sortir évidemment." Une citation reprise aussitôt sur CNews...

La question de l'armement des policiers municipaux est un marronnier quand il s'agit de pointer le "laxisme" de certains élus de gauche. Mais quel est le rapport avec le fait divers de Grenoble, sachant qu'aucun policier municipal n'a été impliqué dans l'altercation ? Eh bien c'est très simple : "Imaginons que les policiers municipaux soient arrivés sur place, non armés, face à cet individu, explique Truchot. Ils risquaient aussi de perdre la vie."

Même remarque pertinente de Ruth Elkrief sur LCI : "La police municipale n'est pas armée (...) Si les policiers municipaux étaient à côté, ils auraient pu parce qu'on était à côté de l'hôtel de ville. C'était à 7 h du matin. Ils auraient pris en chasse ce délinquant. Ils étaient désarmés. Donc ça pose une vraie question." Une vraie question à partir d'un scénario fictif.

Cette absence d'armes n'a eu aucune incidence sur le drame du 8 septembre, puisque la victime était agent d'entretien et non policier municipal. Mais qu'importe.

L'autre reproche fait à Éric Piolle, c'est son sous-investissement dans la vidéosurveillance. Car vous savez ce qu'il a fait au cours de son mandat ? Il a retiré "18 caméras" dans sa ville. Complètement dingo ce maire: "Comment peut-on enlever aujourd'hui des caméras de surveillance dans une ville ?", s'emporte Pascal Praud. "C'est un déni de ce qui se passe. Ça s'appelle un déni culturel et intellectuel." Et Praud lui, il n'est pas dans le déni, vu qu'il traite du thème de l'insécurité matin (CNews), midi (Europe 1) et soir (re-CNews).

Pour Éric Brunet, passé de LCI à BFMTV, c'est une faute de ne pas investir dans la vidéosurveillance : "Quand on est de gauche, c'est pas cool de faire des places de prison, c'est pas cool d'acheter des caméras de vidéosurveillance. Quand on est de gauche, on promeut la fête de la musique. J'ai un tantinet caricaturé, bon, mais on a le droit."

Si cette question de la vidéosurveillance cristallise les attaques contre Piolle, elle n'a, là aussi, aucun rapport avec le fait divers du 8 septembre puisque les faits se sont déroulés… sous les caméras de vidéosurveillance de la ville, comme le reconnaissent à demi-mots Praud et Elkrief. Mais bon, Piolle en a quand même retiré 18…

Avec cette affaire, on a rarement constaté un tel niveau de récupération politique. "Il faut atteindre un certain niveau d'indignité pour récupérer des drames humains comme ceux-là", s'est plaint l'avocat de la famille de la victime. Il parlait des responsables politiques. Mais les éditorialistes de BFMTV, LCI et CNews y ont pris toute leur part.

Les maires de gauche sont-ils des "bisounours" ?

Pour BFMTV, LCI et CNews, la mort de cet agent municipal est en fait le prétexte pour dénoncer l'idéologie et le laxisme de la gauche vis-à-vis de l'insécurité. "La question, elle est très simple", résume Brunet : "Est-ce que les villes de gauche, les grandes métropoles de gauche ont des maires qui, sur les questions sécuritaires, sont plutôt des bisounours ?" Mais encore : "Y a-t-il une faute matricielle chez l'élu de gauche qui est la non prise en compte de la question sécuritaire ?" Et encore : "Pourquoi les maires de droite y arrivent et pas les maires de gauche ?"

Et vous savez quel est le problème de ces maires ? "Il y a de l'idéologie à gauche, la droite, ils sont plus pragmatiques", constate Pascal Praud sur CNews. Pour Yoann Usaï, journaliste politique à CNews, "l'aveuglement idéologique de l'extrême gauche - parce qu'Éric Piolle et les Verts appartiennent à l'extrême gauche - conduit les administré·es à être en danger." Carrément. 

Abnousse Shalmani, éditorialiste sur LCI, va même plus loin : "Sur Éric Piolle, précisément, je trouve que ce discours dénote surtout d'une chose qui est (...) une espèce de mépris de la vie humaine. C'est-à-dire, au nom de principes, cette manière de refuser de voir la réalité de la violence qui touche des êtres humains, qui se retrouvent victimes alors qu'on pourrait l'éviter, je trouve ça hallucinant."

Un comportement résumé ainsi par Alexandre Devecchio, journaliste à CNews : "Il préfère son idéologie, finalement, à la vie de ses agents municipaux."

Grenoble, son insécurité et ses immigrés

Ce qui se passe à Grenoble n'a d'ailleurs rien d'étonnant. Il suffit de voir le classement des villes les moins sûres de France.

Comme par hasard, il n'y a que des villes de gauche. Sur CNews, Gilles-William Goldnadel sait parfaitement pourquoi : "Pour mettre les pieds dans le plat, les gens qui sont à la tête de ces villes là, Lille, Saint-Denis, etc., ce sont des villes problématiques avec une forte population immigrée, et les maires en question flattent la partie la plus extrémiste de cette population. Donc faut pas s'étonner des résultats en question. Il y a une sorte d'osmose entre la représentation politique et les représentés, c'est particulier."

Tugdual Denis, de Valeurs Actuelles, a aussi son idée sur la question : "A Grenoble, Éric Piolle s'adapte à sa clientèle électorale. Qu'est-ce que la clientèle électorale d'Éric Piolle ? Ce sont des gens issus de l'immigration, et ce que Jérôme Fourquet appelle «la gauche Quechua», c'est-à-dire des bobos mais pas comme à Paris, ce sont des bobos qui font du sport le week-end en montagne et qui sont pour le laxisme." Oui, l'immigré est délinquant et le randonneur de gauche est laxiste, c'est bien connu.

Bien évidemment, dans tous ces plateaux, aucun éditorialiste n'a l'idée de préciser que si Valeurs Actuelles place systématiquement des villes de gauche en haut du classement des villes dangereuses, c'est aussi parce que la gauche détient la plupart des grandes villes. Or, comme l'explique le Parisien, "les très grandes agglomérations concentrent plus d'actes de délinquance signalés".

La solution ? Milices privées et quadrillage sécuritaire

Heureusement, face à cette insécurité, des solutions existent. Sur LCI, l'éditorialiste Valérie Nataf explique par exemple qu'il "va falloir se poser des questions, changer peut-être nos modes de fonctionnement. (...) À Chicago, les policiers et des agents de sécurité privée patrouillent ensemble. Voilà qui est peut-être une forme de solution au problème de manque de moyens pour notre police nationale."

C'est pas une mauvaise idée les milices. Surtout que la population attend un "sursaut sécuritaire", selon Darius Rochebin de LCI : "Beaucoup de gens ont pris l'exemple de ce qui s'est passé pendant les Jeux Olympiques à Paris, où il y a eu un quadrillage sécuritaire d'une ville qui a amené une ambiance très bon enfant. Et les mêmes qui disaient « Ouh là, attention », ils étaient contents."

Pour tous ces éditorialistes, ce qui se passe à Grenoble est d'ailleurs représentatif de toute la société. "La gravité de ce qui est découvert après les événements de Grenoble qui, bien loin d'être un fait divers, est une situation calamiteuse dans une ville moyenne. C'est représentatif de beaucoup d'autres villes", explique par exemple Darius Rochebin (LCI). "Aujourd'hui, on dit « Ah bon, Grenoble est une ville violente et elle est gangrenée », mais c'est des centaines de villes moyennes en France, c'est le cas d'Amiens, de Besançon, Toulon", renchérit Maxime Lledo (LCI).

Dans une surenchère sans fin, Elkrief parle même d'une "mexicanisation" de la délinquance. En France, il y a comme un "air d'Amérique". Pire que cela pour Agnès Buzyn, invitée de LCI, "nous sommes en train de devenir un narco-état, c'est-à-dire que toutes ces circulations d'armes à feu sont liées aux gangs et aux trafiquants de drogue".

Le fantôme de Sarkozy

Reste une question : pourquoi ce fait divers a-t-il retenu l'attention de ces trois chaînes d'info ? Deux sociologues ont analysé, avec un logiciel d'analyse de textes, près de 9500 articles de presse évoquant la ville de Grenoble depuis 1945. Il en ressort que Grenoble a été perçue pendant très longtemps comme la ville de la recherche (avec la présence d'universités et d'écoles supérieures) mais aussi la ville de la montagne avec les stations de sport d'hiver à proximité. Mais depuis plus d'une décennie, un troisième thème émerge : celui de l'insécurité de la ville.

Selon les deux sociologues, c'est en 2010 que tout bascule avec le fameux "discours de Grenoble" de Nicolas Sarkozy. Un discours où le président en exercice faisait un lien explicite entre délinquance et immigration. Une première pour l'époque, et qui avait été perçue comme une tentative de diversion estivale en plein feuilleton de l'affaire Bettencourt.

Dans un article de synthèse, les sociologues affirment que ce discours a eu "un effet stigmatisant" qui "a changé la manière dont la sphère médiatique parle de Grenoble et perçoit la ville". Depuis, à chaque fait divers, la ville est devenue le symbole de l'insécurité - bien qu'elle n'occupe pas la première place des villes où la délinquance est la plus forte. Pratique, pour les chaînes d'info qui embrayent sur le laxisme de la gauche dans ces "villes problématiques" ayant "une forte population immigrée". On connaissait son bilan, mais pour ça aussi, on peut remercier Sarkozy.

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