Faux clowns de M6 : la télévision démiurge
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Faux clowns de M6 : la télévision démiurge

Et finalement, on fournit les masques. Pour quiconque cherche à comprendre comment se fabrique

un magazine "d'information" à la télévision aujourd'hui, le récit détaillé de l'enquête ratée sur les faux clowns de Douai, telle qu'elle est racontée par le producteur de l'émission, Pierre-Emmanuel Luneau-Daurignac, est exemplaire. Tout y est : l'aveu benoît de l’urgence, la méritoire tentative de mise hors du coup de la chaîne nourricière, les recherches de circonstances atténuantes (nos journalistes ont aussi interrogé des chercheurs, les parents, les amis, un site italien, voyez si on est irréprochables). On dirait que cette histoire tombe à pic pour confirmer l'analyse de Jean-Marc Manach, selon laquelle ce ne sont pas tant les "réseaux sociaux" que les médias classiques, qui ont généré la clownesque psychose. Tout y est, jusqu'à cette tentative du producteur de minimiser "l'erreur".

Car une fois qu'on a interrogé les chercheurs, les parents, les amis, manque l'essentiel, le rosbif du magazine : les faux clowns, en vrai, tournés en live dans le feu de leur activité de faux clowns. En racolant sur les réseaux sociaux, on a trouvé deux ados s'affirmant prêts à faire les intéressants devant la caméra. Mais tuile : ils n'ont pas de masques de clowns.  Et finalement, tenaillée par l'urgence, la prod fournit les masques aux deux jeunes faux clowns. Attrapé par la police municipale, sermonné par le procureur, le producteur assume son rôle de lampiste, et reconnaît alors avoir commis "une erreur", dans cette tirade dont chaque phrase mériterait une analyse propre. "On lui a dit qu'on allait lui en trouver un que nous payons (...) Mais pour nous, prendre ce masque, c'était surtout s'assurer qu'il ne soit pas reconnaissable par quiconque. C'était une erreur, parce qu'elle se retourne aujourd'hui contre nous. Mais sur le plan journalistique, nous l'assumons. C'est une décision que nous avons pris tous ensemble. Mais M6 n'était pas au courant."

Mais non, cher fournisseur d'enquêtes clés en mains pour M6. L’erreur, pour votre société, c’est d’avoir accepté la commande, sans savoir si vous parviendriez à dénicher et à tourner les fameux faux clowns. Et en remontant plus haut, la faute principale est bien celle de M6, qui commande le lundi un reportage à tourner le vendredi soir d’Halloween, pour diffusion le dimanche. M6 veut les images pour Halloween, et se lave les mains du reste : c'est pas notre boulot, nous on veut des clowns menaçants, que le producteur se débrouille, qu’il les trouve en quarante-huit heures, et si possible un peu menaçants sur les bords, évidemment. Extraordinaire démiurgisme de la télévision, si certaine de son bon droit à recréer l'univers: puisque la rumeur des "faux clowns" s'est installée, l'image doit exister. Et si elle n'existe pas, qu'on la fabrique : fiat imago !


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