Ce que nous craignions, ce que les enseignants redoutaient, arriva. Un deuxième professeur, Dominique Bernard, a été assassiné par un islamiste le 13 octobre 2023, cette fois-ci dans l'enceinte d'un établissement scolaire, le collège-lycée Gambetta Carnot d'Arras. Depuis une semaine, les médias ont tour à tour donné la parole aux élèves, aux enseignants. À peine le temps de l'émotion, de l'hommage et du recueillement, que politiques et journalistes ont envahi le terrain sécuritaire. Avec un outil brandi comme bouclier anti-terroriste : le projet de loi immigration. Une semaine de couverture médiatique entre sujets éducation et débats politico-judiciaires que nous avons voulu décrypter avec quatre invités : Marie Drollon, enseignante en histoire géographie dans un collège public de Rosny-sous-Bois en Seine-Saint-Denis et par ailleurs ancienne journaliste ; Iannis Roder, enseignant d'histoire-géographie dans un collège public de Saint-Denis, membre de la Fondation Jean Jaurès et secrétaire-général adjoint du Conseil des sages de la laïcité ; Stéphane Maugendre, avocat au barreau de Seine-Saint-Denis, spécialisé en droit pénal et en droit des étrangers, membre du Gisti ; Sébastien Ledoux, historien, maitre de conférences à l'Université de Picardie Jules Verne, formateur qui enquête sur les réactions du milieu scolaire face aux attentats.
La minute de silence, un "test grandeur nature de loyauté à la nation"
Le 17 octobre 2023, au lendemain de l'hommage rendu dans les établissements scolaires à Dominique Bernard, le ministre de l'Éducation nationale, Gabriel Attal, prend la parole devant les députés à l'Assemblée nationale sur ces élèves "ayant fait le choix de perturber ce recueillement, de provoquer l'école et d'insulter la mémoire de nos professeurs". Il annonce l'envoi systématique de signalements au procureur de la République "pour engager des poursuites contre ces élèves". Pour l'historien Sébastien Ledoux, "depuis 2015, la minute de silence est un test grandeur nature sur tous les élèves de France, sur-interprété, sur la loyauté par rapport à la nation française, par rapport à l'adhésion à des valeurs. En dehors de l'apologie au terrorisme qu'il fait évidemment traiter, on peut se retrouver en situation en zone grise avec par exemple un élève qui va sortir une idiotie et là, il faut des réponses pédagogiques au cas par cas".
"on arrive très bien à enseigner l'histoire de la Shoah"
Régulièrement ces derniers jours, comme depuis l'attentat contre Samuel Paty, les médias diffusent les résultats de sondages relatifs notamment à la question de l'autocensure des enseignants. Certains relatent d'ailleurs une intox : celle selon laquelle les enseignants n'enseigneraient aujourd'hui plus la Shoah. Iannis Roder, en tant que directeur de l'observatoire de l'éducation de la Fondation Jean Jaurès, a participé à l'une d'entre elles réalisée, en ligne, par l'institut de sondage Ifop en décembre 2020 auprès de 801 enseignants. "Rien nous permet de dire que des profs n'enseignent pas l'histoire de la Shoah. Nous avons fait un énorme effort de formation sur ces questions-là. Les enseignants qui sortent de ces formations sortent avec des outils pédagogiques beaucoup plus satisfaisant, mais ça tourne en boucle depuis 20 ans". Alors comment expliquer que les médias répètent cette fausse information ? "Je ne cesse de dire qu'on enseigne l'histoire de la Shoah ! Il peut y avoir des problèmes, mais la plupart du temps, on arrive très bien à enseigner l'histoire de la Shoah."
"il n'y a pas de trous dans la raquette"
De son côté, le gouvernement tente de transformer son projet de loi immigration comme le meilleur outil pour lutter contre le terrorisme. Il est d'ailleurs accompagné par plusieurs médias et journalistes qui ont épousé sa communication. "Il y a des trous dans la raquette", répètent en plateau plusieurs journalistes. En matière d'éloignement des étrangers, "il n'y a pas de trou dans la raquette, insiste l'avocat Stéphane Maugendre. Il y a plus de 300 crimes et délits qui sont passibles d'une interdiction du territoire français. À tout moment, en cas d'atteinte grave à l'ordre public, on peut expulser à peu près n'importe qui. Les seuls qui sont protégés de façon absolue, ce sont les mineurs, car ce sont des enfants".
Pour ALLER PLUS LOIN
- "L'école face aux attentats et à l'assassinat de Samuel Paty, enquête inédite de Sébastien Ledoux", France Culture, 14 octobre 2022.
- "Plus une société est inégalitaire, plus son union face à des attentats est difficile", interview du sociologue Gérôme Truc à Politis, 18 octobre 2023.
- "Tout étranger est expulsable s'il constitue une menace", interview de Stéphane Maugendre au Parisien, 15 octobre 2023.
- Notre émission sur le séisme de l'assassinat de Samuel Paty, datée d'octobre 2020.
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