Notre-Dame-des-Landes : "On ne défend pas à tout prix l'anonymat"

Arrêt sur images

Retour sur la guerre de communication de Notre-Dame-des-Landes

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Le blocage à Notre-Dame-des-Landes (NDDL), est-il le signe d'une profonde divergence de visions de société entre les zadistes et le gouvernement ? Ou n'est-il qu'une question de communication, voire de susceptibilité ? Après la renonciation du gouvernement à construire cet aéroport contesté, après une semaine de véritables affrontements pour évacuer une partie de la ZAD, retour sur la communication des deux camps, le gouvernement et les zadistes, et le traitement médiatique. On en parle avec nos invité.e.s : Jade Lindgaard, journaliste à Mediapart ; Sarah des " Cent Noms", éleveuse de brebis sur la ZAD ; Nicolas de La Casinière, à la fois journaliste indépendant et membre du collectif syndical contre l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes ; Jacques Lemaître, président de la chambre d'agriculture de Loire-Atlantique.

UNE COUVERTURE MÉDIATIQUE CONTRARIÉE


De nombreux journalistes ont déclaré avoir été empêchés d'accéder sur la zone de conflit où 2500 gendarmes ont été déployés. Plusieurs d'entre eux ont dû ruser pour déjouer les blocus de la gendarmerie. Et certains ont même mis en scène ces face-à-face avec les forces de l'ordre. A l'image du reporter de Quotidien (TMC), qui a "joué au chat et à la souris" avec les gendarmes, comme on peut le voir dans un extrait diffusé sur le plateau. Mine amusée, Jade Lindgaard, qui a couvert les premiers jours d'opérations pour Mediapart, rapporte qu'elle n'a pas vécu ce type d'expérience. "Avec mon collègue, on est arrivé quelques jours avant le lancement des opérations, raconte cette habituée des lieux.  Mais on a décidé dès le début de se placer physiquement du côté des zadistes (...) du côté des personnes attaquées." Les gendarmes ont-ils écarté des journalistes ? "Je pense que c'est vrai que les gendarmes ne voulaient pas de journalistes, et c'est vrai que certains qui arrivaient sur certains axes routiers contrôlés par le gendarmerie ont été refoulés mais moi je venais du sud de la ZAD où il était tout à fait possible de se déplacer". Et qu'en est-il pour Nicolas de la Casinière, journaliste rédacteur, qui couvrait cette actualité pour le site Reporterre ? "Je n'ai pas vécu de barrage de gendarmes, se souvient-il. Mais j'ai été contrôlé plusieurs fois  comme si j'étais le premier des terroristes, à regarder plusieurs fois sous la trappe de la roue de secours si je ne transportais pas des objets prohibés, donc le traitement a été plus serré que d'ordinaire." Et il précise qu'il a rencontré moins de difficulté que ses confrères, reporters d'images.


LA DÉFIANCE DES ZADISTES ENVERS LES JOURNALISTES


Et du côté des zadistes, y a-t-il eu de la défiance vis-à-vis des journalistes sur place ?"On fait la part des choses sur les postures des journalistes qui ne sont pas toutes les mêmes (...)", souligne d'emblée Sarah, éleveuse de brebis sur la ZAD. "Il y a des journalistes qui viennent chercher des images choc, poursuit-elle, et qui construisent une idée complètement fausse de la ZAD avec des radicaux et des modérés, qui font le jeu du gouvernement qui essaye à tout prix de nous diviser". "De manière générale, s'il existe une méfiance des zadistes à l'égard des journalistes, là les gendarmes ont mis en place un service communication qui était à la disposition de journalistes, et qui a aidé au maximum à orienter les journalistes vers les lieux où ils pouvaient se passer quelque chose (...)", complète Lindgaard.


UNE DIVISION ENTRE LES ZADISTES ? 


"Je vais pas vous faire croire qu'on est tous d'accord sur tout (...) Bien sûr, on a des prise de bec, mais ça ne veut pas dire qu'il y a des extrémistes et des modérés", assure Sarah. "Le clivage n'est pas aussi net et aussi pratique et utile que la construction médiatique le veut, renchérit de La Casinière. Les positions peuvent fluctuer, comme dans des manifestations avec certains qui vont, à un moment donné faire des choses de l'ordre du répréhensible et après faire autre chose. En face on a une violence d'Etat, il y a eu des slogans ces derniers jours comme «La préfète Nicole Klein m'a radicalisé». Donc ça peut être fluctuant selon les moments, si on se sent attaqués. " "C'est une construction policière, cette séparation binaire (...) ", abonde Lindgaard.


EXPULSION ET DESTRUCTION DE LA FERME DES " 100 NOMS"


On passe ensuite aux images de l'évacuation de la Ferme des "Cent Noms", lieu emblématique de la ZAD, filmé par Lindgaard pour Mediapart, et celles de la destruction diffusées dans le 20 heures de TF1.  "C'était un moment bouleversant, raconte la journaliste. Un choc parce qu'on ne s'attendait pas à cette expulsion de la ferme (...). C'est le moment où le couperet de l'Etat est tombé, le moment de la surprise et de la stupeur." 


La décision avait-elle été prise avant ou pendant l'opération ? Difficile à dire pour la journaliste. "C'est la gendarmerie nationale qui a pris la main sur la conduite des opérations d'expulsion de la ZAD, avance-t-elle. Et dans une optique de gendarmes non locaux venant de Paris, la Ferme des "Cent Noms" était dans leur collimateur avec sa proximité avec la fameuse route D281, et ça a pris le pas sur l'importance un peu stratégique de cette ferme qui incarnait un avenir possible de la ZAD, ce que la préfète connaissait très bien, ce que Nicolas Hulot connaissait."


"L'huissier sur place n'avait aucun document", pour mener cette expulsion, "ça fait des questions graves qui se posent aujourd'hui, ajoute Lindgaard. Les habitants lui ont demandé un document, il n'en avait pas." Pour de La Casinière, cette expulsion "n'est pas une bavure".  "C'est un coup de pression, analyste-t-il. Si vous ne rentrez pas dans le cadre, on va vous écrabouiller. "

"Depuis 5 ans, on a une personne des Cent Noms qui est déclarée comme habitant auprès de la préfecture", explique de son côté Sarah. "On a fait d’autres démarches, on a identifié nos animaux auprès de la chambre d'agriculture, on a fait des prises de sang pour s'assurer que les animaux n'ont pas de maladie." Pour elle, "l'expulsion n'est pas légale". 


"Les normes agricoles ont été construites par les puissants"


Et la question des risques sanitaires souvent pointés du doigt pour critiquer la ZAD ?"Cela me fait rire, excusez-moi, répond Sarah. Je sais très bien qui nous accuse de présenter des risques sanitaires, ce sont les mêmes qui défendent l’agriculture industrielle. Les normes agricoles ont été construites par les puissants qui défendent l' agriculture industrielle et elles sont à leur service." Pour elle, "les normes agricoles ne peuvent pas s'imposer de la même manière à toutes les formes d'agriculture. (..) Ceux qui défendent les normes sont justement ceux qui génèrent les crises sanitaires. " 


Jacques Lemaître, président de la chambre d'agriculture de Loire-Atlantique, nous a rejoint en duplex. Il explique que "tout détenteur de cheptel doit avoir un numéro d'élevage, des passeports pour les animaux, avec les épidémies qui sont présentes ici et là sur le territoire, il nous faut avoir une connaissance du cheptel. (...) Et je crois savoir que sur la ZAD il y a des animaux qui s'affranchissent de ces procédures. " "Mais les pratiques diffèrent d'un endroit à l'autre de la ZAD et dans la Ferme des "Cent Noms", les prises de sang sont pratiquées", intervient Lindgaard"Je ne sais pas pour cette ferme", admet Lemaître. Est-ce que la Ferme respecte toutes les règles ? "Non, mais parce qu'on n'a pas eu le temps de se régulariser, précise Sarah. Concrètement on a eu deux mois entre le moment de l'abandon du projet d'aéroport et la destruction de notre habitat, de notre ferme. Vous comprenez bien qu'on ne peut pas faire en si peu de temps une démarche d'installation agricole formelle. C'est plus d'un an de parcours et M. Lemaître peut le confirmer. Et surtout on ne veut pas se laisser imposer des normes qui vont détruire tout ce qu'on a inventé sur la ZAD." 


La tension monte sur le plateau. "Est-ce que ça ne vous dérange pas, Madame, de mettre en péril le cheptel départemental, parce que vous n'avez pas les contrôles, ni les papiers nécessaires ? " interroge Lemaître. 


Or, les compte rendu vétérinaires ont été envoyé à un organisme dépendant de la chambre d'agriculture, répète Sarah. "Sous quel nom ont-il été envoyés ?", lance Lemaître. "Corentin Blot", répond Sarah, qui a déclaré 10 brebis. Réponse du président de la Chambre : "On va vérifier, il n'y a pas que le cas de madame, ils sont beaucoup à ne pas être dans les règles."


Le formulaire simplifié : "ultimatum" pour les zadistes


Passons à la nouvelle phase qui a débuté le 13 avril. La préfète de Loire-Atlantique a mis en place un formulaire individuel simplifié à destination des zadistes qui doivent le retourner avant le 23 avril s'ils veulent rester sur la ZAD. Les zadistes refusent-ils la signature de ce formulaire ? "Non, répond Sarah. Il y a un gros malentendu, on ne défend pas à tout prix l'anonymat, l'idée c'est de ne pas personnifier la lutte."


Nous sommes le 20 avril, l'échéance est donc dans trois jours. Que va-t-il se passer ? "Aujourd'hui même une délégation du mouvement va déposer un ensemble de fiches agrafées les unes avec les autres, nos projets sont interdépendants (...) , annonce Sarah. Mais aussi très divers, les fiches contiennent aussi des projets sociaux, culturels, de vie rurale, d'artisanat."


Réaction de Lemaître, le débat devient houleux ."Nous on n'a pas à juger de ce que vont déposer les zadistes, on rappelle qu'un projet collectif doit être porté par des individus qui ont un statut d'agriculteur, on est loin d'être arrivés là. On nous explique qu'on va agrafer des noms sur des projets collectifs, nous n'acceptons pas." "On dit que la chambre d'agriculture refuse des projet collectifs, ajoute-t-il. C'est absolument faux, il y en a plein sur le département (...) à partir du moment où les personnes ont un statut d'agriculteur et qu'elles sont reconnues." "Monsieur Lemaître a une mauvaise foi profonde, il sait très bien que le temps que ça prend de s'inscrire et on a envoyé des courriers auxquels on n'a jamais de réponse", défend Sarah.


"Et cela n'a jamais été l'agriculture paysanne qui a empoisonné la société, c'est l'agriculture industrielle", poursuit-elle en tapant du poing. "Et à la presse vous n'en parlez que comme un marché de niche de l'agriculture biologique, on a l'impression que les aspects environnementaux c'est très secondaire, les aspects humains, de solidarité, on a l'impression que ça ne vous préoccupe absolument pas. Nous, notre projet, il incarne un projet très différent que de vouloir faire du bio, parce que c'est un marché de niche."


"La chambre est ouverte à tous les porteurs de projets (...) mais il y a un minimum de procédures et ce laboratoire n'a aucune limite, ni aucun périmètre", s'enflamme Lemaître." "Tout ce qu'elle a fait sur la ZAD, la chambre d'agriculture, c'est empocher un maximum d'argent, pour que les agriculteurs puissent avoir un maximum d'avantages."


Macron "de mauvaise foi" ?


On termine sur l'interview d'Emmanuel Macron par Edwy Plenel et Jean-Jacques Bourdin, qui exprime des reproches sur la forme de projet mis en place sur la ZAD. Selon Sarah, il était impossible de déposer - avec les délais imposés - les formes classiques de projets agricoles sur la ZAD. "C'est d'une mauvaise foi absolue", pointent Sarah mais aussi Lindgaard.

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