"Jean Pormanove" : "Mediapart" avait tout dit. Pourquoi les médias l'ont-ils ignoré ?
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"Jean Pormanove" : "Mediapart" avait tout dit. Pourquoi les médias l'ont-ils ignoré ?

Tous les samedis, l'édito médias de Pauline Bock, cette semaine signé Loris Guémart, envoyé dans notre newsletter hebdomadaire gratuite, Aux petits oignons : abonnez-vous !

Il aurait été judicieux de se préoccuper des contenus de la chaîne la plus suivie de France avant la mort d'un homme. C'est l'une des critiques que l'on peut adresser aux médias, après le décès en direct de "Jean Pormanove" sur la plateforme vidéo en direct Kick, qui suscite un immense émoi médiatique et politique. Et qui conduit naturellement à s'interroger sur l'avant. Rembobinons donc.

En mai et juin 2023, la plateforme de vidéo en direct Kick - fondée fin 2022 par une société australienne de casino en ligne (Stake) peu après que Twitch ait banni les streams de jeux d'argent - débauche des streameurs en vue, en France et surtout outre-Atlantique. Le sujet fait l'objet d'une large couverture médiatique en France. Les sites spécialisés, mais aussi de grands médias économiques et généralistes, se penchent alors sur Kick. Les journalistes mettent en avant la rémunération pour les streameurs, bien plus avantageuse par rapport à la plateforme d'Amazon pour expliquer les transferts d'alors. Mais tous pointent aussi un autre argument propre à Kick : sa modération minimale (pour ne pas dire inexistante) des contenus.

Auprès du Figaro, Kick France met en avant le recrutement de "cinq nouveaux modérateurs". Mais sur France Inter, la journaliste Marion Mariani fait observer : "Quand les dérapages se seront enchaînés face à des millions de jeunes, la plateforme va forcément être rappelée à l'ordre et le paradis va se transformer en enfer. Même si honnêtement, vu les personnalités qui s'y trouvent, c'est déjà le cas." Du côté de la Tribune, il est signalé que "l'Autorité nationale des jeux (ANJ), l'organisme régulateur des jeux en France, a très récemment pris contact avec la plateforme pour lui rappeler la législation en vigueur sur la promotion de jeux d'argent en ligne", qui devra répondre sous peine de "blocage dans le pays".

Du printemps 2023 à décembre 2024, les mêmes médias égrènent des informations laissant penser que la modération de la plateforme n'est pas seulement plus souple que celle du concurrent Twitch, mais surtout déficiente au regard de la dignité humaine. En septembre 2023, BFMTV rapporte qu'une escort a été intimidée en direct. En décembre 2023, 20 Minutes pointe le décalage manifeste entre les conditions d'utilisation de la plateforme et sa permissivité réelle bien plus importante. En octobre 2024, le Parisien relate un bannissement de vidéaste (phénomène quasi inexistant sur Kick) qui avait "invité" une SDF au restaurant puis était parti en plein direct pour lui laisser payer la note.

Les rédactions françaises semblent donc s'intéresser à Kick, et l'ont suffisamment évoqué pour attirer, en théorie, l'attention du régulateur (l'Arcom) et des responsables politiques. En décembre 2024, Mediapart publie une première enquête accablante (plus un résumé vidéo) sur la chaîne "Jeanpormanove", d'après le pseudonyme de son principal souffre-douleur des directs tournés près de Nice. C'est, apprend-t-on, le compte le plus suivi en France. Mais l'intérêt médiatique n'est plus là, semble-t-il. Arrêt sur images fait partie des rédactions qui ratent l'info : nous ne l'avons pas signalée dans les précédentes éditions de cette newsletter.

On ne note, en décembre, que deux reprises de la presse locale, à Nice. Deux contenus sur 20 Minutes et France Inter également. En janvier, le procureur de la République de Nice annonce le placement en garde à vue des deux tortionnaires de direct. Là encore, outre la presse locale - ainsi que les antennes locales de France 3 et de BFMTV - seuls le site spécialisé Next et le Figaro signalent l'information, d'après notre recension. Puis, plus rien. Jusqu'au décès de "Jean Pormanove" ce 18 août. Décès qui, d'après les premiers résultats de l'autopsie, "n’a pas une origine traumatique et n’est pas en lien avec l’intervention d’un tiers".

Aujourd'hui, les médias s'émeuvent des violences vécues par "Jean Pormanove". Ainsi, donc, peut-être aurait-il été judicieux de se préoccuper des contenus de la chaîne la plus suivie de France avant son décès.

Quant au gouvernement (et à l'Arcom), Mediapart dénonce aujourd'hui - à raison - l'absence de toute réaction de la ministre à ses sollicitations lors de l'enquête publiée en décembre. L'on pourrait aussi rappeler un autre fait : en mai 2024, Kick France a annoncé qu'il ne serait "plus permis de diffuser du contenu de casino sur Kick pour l'ensemble de nos utilisateurs francophones". La régulation des jeux d'argent (et la protection des revenus fiscaux afférents) par l'ANJ témoigne bien qu'il est possible d'agir de manière rapide et efficace sur des contenus des grandes plateformes socionumériques. 

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