13-Novembre : la haine d'un père
Que faire de la haine d'un père ? Patrick Jardin n'est pas une partie civile comme les autres. "Le père de Nathalie, 31 ans, tuée au Bataclan, viendra à la barre pour
«cracher sa haine»,
comme il dit, le 26 octobre"
écrit le Monde
, qui lui consacre un portrait. "Je suis incapable de pardon"
déclare au Monde
Patrick Jardin, sympathisant de longue date du Front national, et aujourd'hui, de Zemmour, "qui dit aux Français ce qu'ils veulent entendre depuis bien longtemps".
Et d'enchaîner les jugements colorés par cette haine, et cette incapacité au pardon. A propos de l'attentat de Christchurch, en 2019, dans deux mosquées (51 morts) : "
Brenton Tarrant a eu le courage de faire ce que je voulais faire et que je n’ai pas fait. Aujourd’hui encore, parfois, j’y pense." A propos de la commémoration des quarante ans de l'abolition de la peine de mort : "Quand on entend toutes les atrocités décrites dans le procès du Bataclan, on voit bien que ces raclures de cabinet ne méritent pas qu’un jour on leur accorde une seconde chance !"
La haine. Pas seulement "le désarroi". Pas seulement même "la colère". Non. La haine. Pure et simple. Sans appel. Un bloc. Que faire de la haine d'un père qui a perdu sa fille dans l'attentat du Bataclan, et qui correspond si peu à l'image de douleur, de résilience, et de sagesse, que souhaitent sans doute voir la grande majorité des lecteurs du journal ? Quelle place lui donner ? Comment la retranscrire ? Avec quels mots ? Tout en regardant en face cet objet insoutenable, sans en rien dissimuler, le portrait de Stéphanie Marteau ne porte aucun jugement. "Cracher sa haine"
est placé entre guillemets dans la bouche de Jardin, Marteau elle-même se contentant de le qualifier "d'homme en colère"
.
Sauf qu'une première version du portrait était titrée : "Au procès des attentats du 13-Novembre, la colère d'un père haineux"
. Bronca immédiate anti-Monde
sur Twitter, d'internautes pro-Jardin n'ayant pour la plupart pas lu l'article sur abonnement. Comment donc ? Le Monde
se permet de qualifier de haineux un père poussé à bout par la mort de sa fille ! C'est Jardin lui-même, qui affirme son désir de "cracher sa haine"
. Il assume sa haine. Mais l'adjectif "haineux"
, avec ce suffixe dépréciatif (penser à rageux, cultureux, baveux, foireux, etc.) transporte le jugement du côté du journal. Sous pression, le Monde
a dû modifier son titre pour "la colère sans limite d'un père"
donnant ainsi l'impression, inverse, de s'abstenir de toute réprobation, face à l'apologie de l'assassinat de Patrick Jardin. Que faire de la haine d'un père ?
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