De la fraîcheur des "révélations"
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De la fraîcheur des "révélations"

Mieux vaut tard que jamais. Révélation du jour

: Mitterrand (François), alors ministre de la Justice, a donné un avis défavorable à la grâce de quarante-cinq condamnés à mort algériens, au début de la guerre d'Algérie. Toute sa vie, celui qui devait devenir en 1981 le président de l'abolition de la peine de mort, aura porté ce remords-là, et aura réussi à empêcher que ces cadavres ne sortent de son placard. C'est le plat de résistance du livre de l'historien Benjamin Stora, et du journaliste du Point François Malye, "François Mitterrand et la guerre d'Algérie", publié cette semaine. Stora était ce matin l'invité de France Inter, où Patrick Cohen l'interrogeait avec gourmandise sur cette révélation.

Révélation ? Pas tout à fait. L'avis favorable de Mitterrand aux exécutions avait déjà été "révélé" voici trois ans, dans cet article du Point, non signé, mais que l'on a tout lieu de croire de la plume de Malye, co-auteur du livre d'aujourd'hui. Tout y était déjà. Pourquoi, alors, vendre aujourd'hui des "révélations" qui n'en sont pas ? Reste, il est vrai, la révélation parmi ces révélations : l'avis favorable donné également par Mitterrand à l'exécution du militant communiste Fernand Iveton, lequel avait déposé dans son usine une bombe qui, découverte à temps, n'explosa pas. En 2007, dans Le Point, Malye assurait ne pas connaître l'avis de Mitterrand sur le cas Iveton. "Dans la biographie de Mitterrand par Giesbert, il est dit que Mitterrand s'était opposé à l'exécution d'Iveton" insistait ce matin Cohen, soucieux de faire mousser les "révélations" de son invité du jour. Tiens donc, Giesbert se serait trompé, et l'erreur serait aujourd'hui rectifiée par un des journalistes de sa rédaction ? Dans sa salle de bains, le matinaute dresse l'oreille, et se précipite sur la biographie de Mitterrand par Giesbert (édition 1996), qui dort en bonne place dans la bibliothèque de tout honnête matinaute.

Ô surprise : le "scoop" sur l'avis favorable de Mitterrand à l'exécution d'Iveton figurait déjà dans un livre publié en 1994, "la main droite de Dieu", auquel Giesbert fait honnêtement référence en note (vous suivez ?) Auteurs de ce livre : Emmanuel Faux, Gilles Perez, et...Thomas Legrand, aujourd'hui éditorialiste à France Inter, et qui devait donc se trouver dans le studio, alors que Stora s'appropriait une révélation qu'il avait lui-même déjà révélée voici seize ans. Le marché des "révélations" est-il si étroit, qu'il soit nécessaire de surexploiter des scoops éculés ? En tout cas, pour tout savoir sur Karachi, sur Bettencourt, sur l'enquête sur les sources du Monde, sur le chèque du fisc à Tapie, rendez-vous en 2050 (avec rééditions en 2060, 2070, etc).


MISE A JOUR à 11h25. La réponse de François Malye :



"Comme convenu quelques précisions concernant votre papier sur Mitterrand :
Je suis bien l'auteur du papier du Point (avec Philippe Houdart) qui date de fin août 2001 et non de 2007.
Concernant l'affaire Iveton, si dans notre livre, nous avons largement cité "La main droite de Dieu" et le témoignage de Jean Claude Périer (que nous avons également interrogé dans le cadre du livre et de notre dcoumentaire)nous apportons un élément de poids : le compte rendu du Conseil supérieur de la magistrature du 6 février 1957 qui confirme que François Mitterrand a bien voté la mort de Fernand Iveton. Vous trouverez un passage du livre sur ce point précis. Il n'y a donc pas de volonté de resservir une révélation déjà connue mais bien de la confirmer par une pièce incontestable et difficile d'accès.
Cordialement
François Malye"

L'extrait du livre :

"Le dossier 9456 de Fernand Iveton a disparu des archives de la Chancellerie. C’est le seul condamné à mort exécuté de cette période dont il ne demeure aucune trace au ministère de la Justice. L’historien Jean-Luc Einaudi, auteur de l’ouvrage pionnier «Pour l’exemple, l’affaire Fernand Iveton», a raconté comment, cherchant à obtenir les documents de cette affaire, il s’est heurté dans tous les ministères concernés à un mur du silence, une conspiration administrative, comme si le dossier Fernand Iveton devait demeurer à jamais dans «l’Enfer» des procédures judiciaires. Mais pourtant il en reste une pièce. Celle qui figure dans les archives du Conseil supérieur de la magistrature auxquels les auteurs de cet ouvrage ont pu accéder. Elle est bien mince -six pages- mais comporte un élément déterminant: François Mitterrand -comme la totalité des membres du CSM- s’est bien opposé à la grâce du seul Européen exécuté pendant la guerre d’Algérie, un homme qui n’avait pourtant tué personne".

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