Temps de parole politique : LCI et CNews se moquent du CSA
La gauche et le gouvernement multidiffusés... chaque nuit, la droite et l'extrême droite envahissant les plateaux le jour
Aucun média n'a jugé utile de relayer l'information : en juillet-août-septembre, 45 % du temps de parole des représentants LFI sur CNews a été mis à l'antenne entre minuit et 6 h du matin selon le CSA, chargé de faire respecter une relative équité politique à la télévision et à la radio. "Le Conseil a fermement appelé l’attention de la chaîne contre la réitération du recours à ce procédé, ainsi que sur la nécessité d’assurer une exposition des formations politiques plus équilibrées au regard des horaires de diffusion", a en effet écrit le CSA dans un courrier envoyé le 3 novembre au député européen LFI Manuel Bompard, et dévoilé le 8 novembre sur Twitter par Jean-Luc Mélenchon.
Une petite victoire pour LFI après une déconvenue en août : "On avait fait un premier courrier concernant CNews lors de nos universités d'été, puisqu'on avait observé qu'ils avaient diffusé les discours la nuit. Le CSA nous avait répondu, en gros, «circulez y'a rien à voir mais on est très attentifs»", se souvient auprès d'Arrêt sur images Manuel Bompard, qui est aussi le directeur de campagne de Jean-Luc Mélenchon. Alors, lorsque le 17 octobre, la convention de l'Union populaire ne fait l'objet que de quelques minutes d'antenne en journée sur CNews, mais que la chaîne rediffuse deux fois en intégralité le discours du candidat au cœur de la nuit, Bompard décide de saisir de nouveau le CSA. Il s'en est tenu à CNews, mais elle n'est pas la seule chaîne ayant choisi de diffuser (beaucoup) plus de Mélenchon la nuit suivante qu'en journée : si LCI a bien passé 35 minutes en direct le 17 octobre, elle a aussi rediffusé l'intégralité du discours à deux reprises durant la nuit, entre 1 h 14 et 5 h 05 du matin.
"C'est un problème évident du point de vue du pluralisme démocratique. Normalement, il y a quand même des règles qui permettent une forme d'équilibre entre le temps de parole des différentes formations politiques", rappelle en effet Manuel Bompard. Selon ces règles, l'exécutif, c'est-à-dire le président de la République (quand il tient un discours partisan plutôt que relevant de ses fonctions), le gouvernement et leurs conseillers disposent d'un tiers de temps de parole. Les deux autres tiers sont censés être répartis entre les différentes formations politiques (dont LREM), ainsi que les personnalités politiques sans parti au sein des catégories "divers gauche", ou "divers droite". Lesquelles s'appliquent par exemple à Éric Zemmour, ou à Valérie Pécresse et Xavier Bertrand avant qu'ils réintègrent Les Républicains (LR). Le tout en fonction de leur "représentativité". Ce critère, le CSA n'en a jamais détaillé la composition sinon pour indiquer qu'il prend en compte les résultats électoraux récents, les sondages et la présence médiatique.
"On a fait le choix de signaler au CSA à chaque fois qu'on observe ce type de pratiques, mais pour l'instant, on ne peut pas dire que son intervention soit très vigoureuse", explique Manuel Bompard. C'est peu de le dire. Arrêt sur images a recensé l'intégralité des programmations nocturnes des quatre chaînes d'information en continu depuis le 1er octobre. Les nuits de Franceinfo et de BFMTV sont relativement similaires aux journées d'antenne, avec un équilibre entre les différentes formations politiques. Ce n'est pas du tout le cas de LCI et de CNews : la nuit, la droite et l'extrême droite n'existent quasiment pas, au profit de la gauche et du parti au pouvoir – confirmant la recension faite sur les premiers jours du mois d'octobre par Puremédias.
Sur ces deux chaînes, des programmes exclusivement dédiés à éviter de se faire taper sur les doigts par le CSA à cause d'un déséquilibre trop important à l'antenne ont même leur petit nom : chez LCI, c'est La nuit LCI, chez CNews, c'est Politique ou Zap politique. Certaines nuits, les chaînes n'en ont pas besoin, par exemple début octobre sur CNews : les programmes nocturnes sont alors des (re)diffusions d'émissions de la veille ou d'un journal télévisé spécifique. D'autres nuits, elles en usent et en abusent, au détriment de toute logique éditoriale. Comment savoir que ces programmes sont destinés à satisfaire le CSA ? C'est simple : leur déséquilibre politique est si flagrant qu'il ne peut que refléter un déséquilibre inverse hors de cette tranche horaire entre minuit et 6 h, de loin la moins regardée.
Du côté de LCI, la direction n'ose manifestement plus diffuser la même interview plus de quatre fois par nuit. Il faut dire qu'en novembre 2020, nous révélions que la chaîne avait mis à l'antenne 31 fois en quatre nuits la même interview de l'écologiste Yannick Jadot – ce qui avait causé un rappel à l'ordre du CSA évoqué dans son rapport annuel 2020.
Mais la chaîne continue de remplir ses quotas, qu'ils concernent la gauche ou le gouvernement, avec sa programmation nocturne. Dans la nuit du 3 au 4 octobre, LCI a ainsi diffusé trois fois de suite les mêmes 45 minutes de discours du "Campus 2021" de LREM (puis une quatrième fois la nuit suivante). Dans la nuit du 4 au 5 octobre, l'interview par Ruth Elkrief du secrétaire général du PCF Fabien Roussel est rediffusée deux fois. La nuit du 5 au 6 octobre, le secrétaire d'État aux Transports Jean-Baptiste Djebbari passe quatre fois. Les nuits du 9 et du 10 octobre, Darius Rochebin interviewe six fois le ministre de la Justice Éric Dupond-Moretti. "L'Élysée a ainsi remarqué que le discours sur les États généraux de la justice, prononcé par Macron le 18 octobre à Poitiers, n'a pas été diffusé en direct ou même en différé dans la journée, mais au milieu de la nuit", relevait la page deux du Canard enchaîné le 27 octobre.
Le 14 octobre, le député LFI Adrien Quattennens est interviewé deux fois, et la nuit suivante, c'est l'écologiste Julien Bayou, trois fois. Le 19 octobre, c'est au tour du socialiste Olivier Faure, deux fois, puis le 20 octobre d'Anne Hidalgo, deux fois aussi. Enfin, le 1er novembre, LCI propose trois fois le même long entretien entre Ruth Elkrief et Arnaud Montebourg. Seules exceptions à ce déluge nocturne de gauche et du centre : deux interviews de Marine Le Pen, et une d'Éric Ciotti.
Sur CNews, le principal problème de la direction est, selon nos informations, de "rattraper" le temps de parole du gouvernement, puis celui des élus LFI. Des courriels internes sont ainsi envoyés quasi-quotidiennement afin de choisir les séquences qui seront diffusées la nuit. Le but : éviter de recevoir de nouveau une mise en demeure du CSA, ce qui s'était produit en juin lorsque la tête de liste du Rassemblement national aux élections régionales en Île-de-France, Jordan Bardella, avait bénéficié de bien plus de temps de parole que ses adversaires. Ainsi, le Zap politique regroupe en ce moment des extraits de discours d'élus LREM ou LFI dans une séquence de quelques minutes multi-diffusée la nuit… et maintenant aussi en journée, tant la droite occupe son antenne en permanence par ailleurs.
Mais la principale caractéristique des nuits de CNews, lorsque ses séquences d'informations sont interrompues par Politique, c'est la multi-rediffusion d'interminables discours du premier ministre Jean Castex. Du 19 octobre au 8 novembre, nous avons ainsi pu voir, deux à cinq fois par nuit, Jean Castex s'exprimer : au Vatican (19 octobre), à propos du plan de soutien à la santé (20 octobre), concernant la relance du train de fret Perpignan-Rungis (23, 24 et 25 octobre), devant des élus du Cantal (26 octobre, 31 octobre), sur la justice du quotidien (29 octobre), face aux viticulteurs (30 octobre), à Vitry-sur-Seine pour parler du contrat d'engagement des jeunes (3 novembre), à Montpellier pour le "Ségur de la santé" (6 novembre), et au Congrès des maires de Haute-Savoie (7 et 8 novembre).
Si le temps de parole est équilibré grâce aux programmes nocturnes des chaînes d'information en continu du groupe TF1 et de Canal+, le téléspectateur échappe à cette "équité"– on suppose qu'il n'a pas de passion particulière pour les discours nocturnes de Jean Castex ou les interviews multi-diffusées des responsables politiques de gauche. En dévoilant les 31 diffusions de Yannick Jadot par LCI en quatre nuits, nous ne pensions pas fournir aux chaînes info un vademecum
pour continuer leur petit jeu tout en l'aménageant juste ce qu'il faut pour éviter une sanction du CSA. Après publication de cet article, le CSA est revenu vers nous en renvoyant à une interview donnée par son président Roch-Olivier Maistre, donnée le 21 octobre au Monde. "Il
n'est pas interdit d’effectuer
des diffusions nocturnes, mais si l'exception tourne au procédé, il
s'agit d’une dénaturation du principe de pluralisme et nous sommes
fondés à utiliser les outils qui sont les nôtres pour y remédier", répondait-il à une question à propos des diffusions nocturnes de CNews. La dénaturation semble patente, sur CNews autant que sur LCI : reste à "utiliser les outils", l'on suppose.
Le CSA met en demeure CNews, le Conseil d'État la confirme
Le 3 décembre 2021, près d'un mois après publication de cet article, le CSA a diffusé une "mise en demeure" adressée à la direction de CNews. En effet, comme nous l'avions recensé, "une proportion très significative des interventions de l’exécutif et de La France insoumise a été diffusée dans des émissions programmées entre 0 h 00 et 5 h 59", a confirmé le gendarme de l'audiovisuel. Mais la chaîne avait contesté cette mise en demeure devant le Conseil d'État : le 13 janvier 2023, l'instance a confirmé que "concentrer les interventions de certains partis politiques sur des
créneaux horaires où seuls quelques insomniaques sont devant leur télé
est bien une pratique condamnable", a révélé le site l'Informé.
Sollicités par Arrêt sur images, les services communication du groupe TF1 et de CNews, n'ont pas répondu.
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