"Le vertige MeToo" : Caroline Fourest multiplie les erreurs
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"Le vertige MeToo" : Caroline Fourest multiplie les erreurs

...et Judith Godrèche lui répond

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C'est l'un des événements médiatiques de cette rentrée littéraire : la sortie du nouvel essai de Caroline Fourest, "Le Vertige MeToo", qui promet de "disséquer les ombres et lumières d’un séisme qui a changé nos vies". Reçue de partout, l'essayiste a pu dérouler son propos, avant que "Mediapart" ne révèle de nombreux mensonges parus dans son livre. Mais Caroline Fourest multiplie aussi les approximations lors de sa tournée promotionnelle.

C'est l'essai "qui ne va pas manquer de faire bondir la planète féministe" (Elle). "La femme qui dérangeait les femmes" (la Tribune du dimanche). Et surtout, à en croire certains journalistes, un grand bol de "nuance", après des années à célébrer les vertus du mouvement de libération de la parole des femmes, #MeToo.

En cette rentrée littéraire, Caroline Fourest sort son dernier essai, Le vertige MeToo, présenté par son éditeur, Grasset, comme un "éclairage indispensable pour ne pas transformer une révolution en terreur, et garder le cap, celui de la lutte contre les abus de pouvoir." "Cinquante nuances en zone grise", abonde le site de la maison d'édition. Un élément de langage repris par l'Express : "Caroline Fourest revient tout en nuances tant sur les conquêtes que sur les excès d'une révolution qui, depuis 2017, a bouleversé nos sociétés." "Un plaidoyer pour la nuance", insiste le bandeau de C à vous, tandis que Patrick Cohen, dans son édito, parle d'un livre à "mettre entre toutes les mains", et de questions abordées "avec prudence, et je dirais même avec davantage de doutes et de retenues que dans vos autres ouvrages."

Une promotion tapis rouge, donc, pour une habituée des médias et des plateaux télé, chroniqueuse sur LCI chez David Pujadas, et directrice éditoriale de l'hebdomadaire Franc-Tireur. À peine entachée, dans un premier temps, par l'irruption sur France Inter d'une auditrice, victime de violences sexuelles, qui estime qu'il est encore "trop tôt" pour appeler les victimes à censurer leur parole, et qu'elle observe autour d'elle "encore trop de femmes qui se taisent."

"Mediapart" riposte

Puis arriva Mediapart. Dans son espace blog, le site d'investigation publie, le 13 septembre, un long billet intitulé "Les mensonges de Caroline Fourest", signée par la journaliste de Mediapart, Lénaïg Bredoux, codirectrice éditoriale et responsable aux questions de genre.

Il faut dire que l'autrice tape fort sur le site d'investigation depuis plusieurs années, et continue de le faire dans son dernier livre. Elle écrit par exemple qu'en France "le procureur médiatique MeToo le plus actif, Mediapart, vient de la gauche radicale. Et il choisit ses cibles en fonction de l'appétit de son public, qui aime surtout croquer du people et du puissant : blanc ou juif, moins musulman." Une accusation "insupportable" pour Lenaïg Bredoux d'autant qu'elle ne se fonde, selon elle, sur "aucune base factuelle." 

Des chiffres et des faits

Aux approximations contenues dans le livre de Caroline Fourest, visant Mediapart, la rédaction tente de répondre par des faits. Mediapart aurait fait le "service minimum" sur l'affaire Tariq Ramadan, selon l'essayiste ? Le site d'investigation riposte avec des chiffres : "Notre dossier consacré à cette affaire emblématique compte pourtant 28 articles. À titre de comparaison, notre dossier sur les accusations visant Gérard Depardieu est doté de 12 articles ; celui sur Gérald Darmanin en dénombre 22..."Mediapart aurait "mis en valeur" l'avocat général Matthieu Bourrette, qui a requis une relaxe partielle dans l'affaire Ramadan ? Le site rappelle l'avoir reçu en 2021, sur son plateau, alors qu'il n'était pas encore en charge de ce dossier.

Lenaïg Bredoux produit aussi la preuve d'un autre mensonge - au moins par omission - paru dans le même ouvrage : l'autrice affirme n'avoir jamais été contactée dans le cadre d'un papier de Mediapart, publié en novembre 2016 et intitulé : "Les croisades de Caroline Fourest." Mediapart publie pourtant, dans son billet de blog, un mail daté du 8 novembre 2016, dans lequel l'autrice répond à Mathieu Magnaudeix, auteur de l'article : "Merci pour votre intérêt mais l'exercice ne m'intéresse pas. Mes livres vous éclaireront mieux que moi."

Cette (longue) liste est complétée par un courrier adressé à Grasset, éditeur du livre. Dans cette lettre, rendue publique, Carine Fouteau, présidente de Mediapart, regrette qu'"aucun des journalistes dont les noms sont cités et livrés à la vindicte publique et plus généralement personne au sein de Mediapart n'a été sollicité pour recueillir nos observations et apporter une contradiction aux graves imputations de nature diffamatoire publiées." Elle ajoute: "Nous regrettons que vous n'ayez pas estimé indispensable de faire respecter cette obligation majeure par votre autrice avant de publier ces propos."

Débat public "dégradé"

Pourquoi, face à des accusations jugées "insupportables", ne pas avoir porté plainte ? Interrogée par ASI, Lenaïg Bredoux répond : "À ce stade, nous avons décidé de répondre par le billet de blog. Nous avons un espace d'expression dans les colonnes du journal qui nous permet de dire les choses. essayer de contribuer à un débat public." Ajoutant : "On ne peut pas accepter d'avoir un débat public aussi dégradé, parce qu'on perd de vue les faits. On peut avoir tous les désaccords possibles, mais il faut qu'ils s'arriment à des faits, à des choses factuelles." Au moment de la publication de cet article, le 19 septembre, Mediapart n'avait reçu aucune réponse de la part de Grasset.  

Cette riposte de Mediapart a-t-elle eu des conséquences sur la promotion du livre de Caroline Fourest ? Pas vraiment. Mais invitée par Benjamin Duhamel sur BFMTV, le 15 septembre, deux jours après la publication du billet de blog, l'essayiste a tout de même dû répondre sur ce sujet. Multipliant à cette occasion, de nouveau, les approximations. "Ce qui est amusant, commence-t-elle, c'est que la façon dont ils répondent à mon livre, c'est exactement les mêmes techniques de propagande que celles utilisées par Tariq Ramadan, quand je le mettais en cause." Elle développe : "Ils m'accusent de mensonge en niant que Edwy Plenel a fait des conférences avec Tariq Ramadan."

C'est parfaitement faux : Mediapart, dès 2017, s'était déjà exprimé sur les deux rencontres qui ont eu lieu, fin 2014 et début 2015, entre l'ex-président de Mediapart et l'intellectuel musulman, condamné pour viol en septembre 2024 par la Cour de Justice de Genève. Interrogée par Benjamin Duhamel sur le mail produit par Mediapart, qui atteste du fait qu'elle a menti sur l'absence de contradictoire, l'autrice reconnaît : "Moi ce texto (sic), je suis très honnête, quand je me trompe sur un point, je le dis. Donc cette phrase, elle n'est déjà plus dans la deuxième version qui est réimprimée." Elle est pourtant toujours visible dans la version numérique du livre, ce 19 septembre. Contactée par ASI, pour vérifier notamment cette information, Grasset n'a pas donné suite à notre demande d'interview.

Droit de réponse

Sur BFMTV, Caroline Fourest ajoute : "La différence entre moi et Mediapart, c'est que moi ça fait deux mois qu'ils ont un droit de réponse de ma part pour des choses fausses qu'ils ont écrites sur moi, et ils ne le corrigeront jamais." 

La réalité est plus complexe et difficile à trancher. Contactée par ASI, Caroline Fourest n'a pas répondu sur ce sujet. De son côté, Mediapart confirme qu'un droit de réponse leur a bien été adressé, suite à la publication sur leur site, en juillet 2024, d'une interview écrite d'Aurélien Bellanger, auteur de l'autre livre évènement de cette rentrée littéraire : Les derniers jours du Parti Socialiste (Seuil, 2024)Le roman est présenté ainsi dans l'article de Mediapart : "Au travers de doubles, assez transparents, de Laurent Bouvet, Philippe Val, Raphaël Enthoven, Caroline Fourest, il (Aurélien Bellanger, ndlr) suit les évolutions de cette nébuleuse qui se vit comme une néo-maçonnerie garante des piliers républicains et qui porte en elle le glissement de plus en plus islamophobe et autoritaire d'un gouvernement, de médias, de hauts fonctionnaires de plus en plus acquis à ce discours". 

Le nom de Caroline Fourest apparaît à une autre reprise, dans la même interview, dans une réponse de l'auteur qui déplore que Caroline Fourest, "membre éminente du mouvement", soit encore invitée sur les plateaux télé, notamment au soir des résultats des élections législatives. 

Quel est le contenu exact de ce droit de réponse ? Ni Mediapart, ni Caroline Fourest n'ont voulu dans un premier temps nous répondre sur ce point. Pourquoi Mediapart ne l'a pas publié ? "Comme le veut la loi, nous avons adressé une réponse à Caroline Fourest en recommandé pour lui expliquer que sa demande ne satisfaisait pas aux dispositions légales. Mais si elle nous en adressait un nouveau, répondant cette fois à ces mêmes obligations, nous serions évidemment amenés à le publier", répond Lenaïg Bredoux, sans plus de précisions sur les dispositions légales que n'aurait pas respectées Caroline Fourest. 

Après publication de cet article, Caroline Fourest nous a finalement transmis ce droit de réponse, dans lequel elle conteste deux points. L'essayiste dément d'abord faire (ou avoir fait) partie du Printemps républicain : "Bien qu'il s'agisse d'une association laïque de gauche, je n'ai pas signé leur manifeste et n'en suis pas membre." Elle conteste également une autre réponse d'Aurélien Bellanger qui déclarait : "Voir aujourd'hui un journal comme Franc-Tireur, qui a fabriqué les conditions de la victoire du RN, faire une « une » « anti-RN » avec un petit astérisque, bien sûr, pour dire de ne pas voter LFI, cela a quelque chose de pathétique." Ce à quoi Caroline Fourest répond, à propos de l'hebdomadaire qu'elle dirige : "Il lutte depuis son premier numéro contre l'extrême droite, il a appelé à faire barrage au RN et notre appel à s'abstenir, notre astérisque, ne concernait qu'une poignée de circonscriptions présentant des «candidats LFI pro-Hamas». Ce qui n'a en rien favorisé la victoire du RN et s'appelle faire barrage à l'extrémisme." 

Marionnette 

Toujours sur BFMTV, Caroline Fourest s'attaque, là aussi sans retenir ses coups, à deux figures féministes françaises : Adèle Haenel et Judith Godrèche. À propos de la première, elle dit : "Elle est devenue, pardon, la marionnette d'une organisation de procureurs, qui est aveuglée par la vengeance, la révolution anticapitaliste, qui décide aussi quand est-ce qu'on dénonce des viols. Si le violeur est racisé, ce n'est pas notre sujet. Les viols du Hamas, ça, par exemple, c'est de la résistance, on les dénonce pas. C'est un vrai problème de faire ça au nom du féminisme." Contactée par ASI, Adèle Haenel n'a pas souhaité réagir aux propos de l'essayiste. Judith Godrèche, en revanche, a répondu aux questions d'ASI, pour tenter de corriger à son tour un certain nombre de contre-vérités, contenues dans l'interview de Caroline Fourest. 

À propos de la relation entre Judith Godrèche et Benoît Jacquot, contre qui l'actrice et réalisatrice française a porté plainte pour viol sur mineur en janvier 2024, Caroline Fourest déclare sur le plateau de BFMTV : "Elle a été mariée avec lui pendant six ans." Insistant ensuite, sur le même thème : "Quand elle devient procureure de toute la famille du cinéma et qu'elle met en cause toutes les personnes qui ne sont pas intervenues […], que pouvaient faire les gens autour d'elle ? Est-ce qu'ils pouvaient la divorcer de force ?" 

"Je n'ai jamais été mariée de ma vie avec Benoît Jacquot"

De fait, ils ne pouvaient pas. Judith Godrèche et Benoît Jacquot, dont la relation a duré six ans, et a commencé alors que l'actrice en avait 14 et le réalisateur 39, n'ont jamais été mariés. Contactée par ASI, Judith Godrèche confirme : "Je n'ai jamais été mariée de ma vie avec Benoît Jacquot. Quand notre histoire a commencé, j'étais une enfant. D'ailleurs, c'est une des raisons pour lesquelles mon discours a eu un impact. Caroline Fourest peut-elle vraiment croire qu'une mineure de 14 ans a épousé Benoît Jacquot ? En France, ce serait illégal." Questionnée à ce sujet par ASI, Caroline Fourest répond par écrit : "Je voulais dire «Comme mariée depuis six ans».Pour le reste, elle "assume chaque mot, même s'ils sont durs à entendre. Je crois ce débat nécessaire pour alerter contre la pédocriminalité et ses complices. On ne peut accuser la famille du cinéma d'être responsable d'un manque de protection sans questionner le manque de protection des parents."

Sur le plateau de BFMTV, l'essayiste s'en prend en effet au père de Judith Godrèche : "Je vais plus loin qu'elle, en fait, en féminisme", déclare-t-elle à Benjamin Duhamel, à propos de Judith Godrèche. "Il n'y a pas de jeune fille de 14 ans qui rentre dans ce milieu et qui vit ce qu'elle a vécu sans responsabilité parentale. C'est le père qui signe les décharges pour qu'elle puisse vivre tout ça. C'est le père qui va draguer des jeunes filles de son âge en lui disant «Tu peux devenir comme Judith». Donc j'interroge moi la racine pédocriminelle derrière tout ça. Et ça, peut-être que ça ne fait pas plaisir, mais ce débat est profond."

Pour étayer ses propos, elle s'appuie sur le témoignage anonyme d'une "ex-camarade de lycée de l'actrice", citée dans une enquête de Libération sur les "secrets de la métamorphose de Judith Godrèche". Qui affirme : "J'avais 15 ou 16 ans, il m'a invitée à prendre un café chez lui en me disant que j'étais aussi belle que Judith, que je pourrais aussi faire du cinéma, en me montrant une immense affiche d'elle. Je suis partie en courant." Auprès d'ASI, Caroline Fourest confirme s'appuyer sur l'article de Libération, et maintient ses propos.

Suffisant pour porter de telles accusations à la télévision ? Ce n'est pas l'avis de Judith Godrèche. "Ce qu'elle dit de mon père, elle me l'apprend", dit-elle à ASI. Avant de développer : "Dans sa bouche, c'est mon père qui devient pédocriminel. Jamais elle n'a dit ça de Benoît Jacquot, ni de Jacques Doillon. Accuser publiquement mon père, qu'elle ne connaît pas non plus, sans se soucier un seul instant de ce que ça peut lui faire, ou me faire, c'est un contrefeu pour protéger les accusés : et si on cherchait un autre coupable ?"

"Parler pour moi"

L'actrice ajoute enfin : "Quand elle raconte ma vie à la télévision, elle que je n'ai jamais rencontrée, quand elle écrit un livre sans m'avoir jamais contactée, quand elle parle de ma famille, de mon environnement, de mes amis d'enfance, de la violence que j'ai subie, elle parle à ma place. Cela me rappelle une scène, pour la promotion d'un film, où l'on voit Benoît Jacquot parler de moi, parler pour moi, en mon absence, à côté de ma chaise que j'ai laissé vide. Voilà ce que Caroline Fourest me fait revivre." Contactée par ASI, l'avocate de Judith Godrèche, Laure Heinich assure qu'elle et sa cliente ont envisagé de porter plainte, avant de renoncer à cette idée : "Cela vaudrait une plainte en diffamation, qui pourrait être qualifiée. Mais c'est beaucoup d'énergie dépensée, et beaucoup d'honneur à lui faire."

En attendant, la promotion de Caroline Fourest se poursuit. Ce 17 septembre, elle était reçue par Amandine Bégot sur RTL. L'interview de neuf minutes, qui ne contient aucune question gênante, débute ainsi : "Je vous le dis tout de suite, ce livre il est passionnant, vraiment, et je ne dis pas ça parce que vous êtes là face à moi, mais parce qu'il fait réfléchir." Il fait aussi vendre. Selon une source dans le monde de l'édition et des chiffres qu'ASI a pu consulter, l'essai de Caroline Fourest se classe à la 5ème place des essais les plus vendus cette semaine en France, avec 4 200 exemplaires.

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