Le plan com' réussi du stagiaire non payé de l'ONU
"Pris au piège de ses mensonges, il ne contrôle plus son histoire". A lire le chapeau du quotidien suisse Le Temps, la presse internationale semble s'être fait piéger. De la Tribune de Genève au New York Times en passant par L'Express et le New Zealand Herald, tous ont raconté l'histoire de ce stagiaire de l'ONU contraint à passer ses nuits sous une tente sur une rive du Lac Léman à Genève, faute de rémunération. Un stage qui devait durer six mois dans une ville où les loyers sont (très) chers. Un stage qui finalement n'a duré qu'une semaine car le Néo-zélandais de 22 ans a démissionné le 12 août, après avoir réussi un plan de communication qui visait à faire parler de la situation des stagiaires non rémunérés que (presque) personne ne soupçonnait.
(Entre autre) Le Monde et The Guardian ont couvert le sujet
Dès le lendemain de sa démission, Hyde publie une tribune dans The Intercept, le site de Glenn Greenwald (journaliste américain à l'origine des révélations d'Edward Snowden), et raconte avoir orchestré ce coup médiatique. Ne trouvant que des propositions de stages non rémunérés qu'il devait décliner faute d'une situation financière confortable, Hyde et sa petite amie (qui se trouve dans la même situation) décident d'agir : "Notre idée était simple. J'allais prendre un stage non rémunéré, y aller puis trouver un moyen d'alerter sur cette situation et de réaliser un documentaire". La tente lui offrait ainsi, outre un hébergement, un élément supplémentaire pour construire une belle histoire. Un mail anonyme a ensuite suffi pour faire venir les médias alléchés.
Capture d'écran de l'article du magazine en ligne The Intercept, titré "David Hyde, le stagiaire non payé de l'ONU qui vivait dans une tente raconte son histoire"
"Je voulais créer une petite étincelle à Genève pour que les journaux évoquent le problème des stages non rémunérés", écrit-il encore. Une étincelle qui s'est transformée en un feu d'artifice médiatique, suivi d'une mobilisation des Genevois qui ont, en nombre, offert de l'héberger. Tout en témoignant sa gratitude, David Hyde remarque : "La responsabilité d’assurer le bien-être des stagiaires n’incombe pas à ces gens généreux, mais plutôt aux organisations et aux entreprises qui les emploient". De nombreux articles ont ainsi évoqué "l'inconsistance morale de l'ONU qui défend les droits humains sans les appliquer" incitant le porte parole des Nations unies, Ahmad Fawzi à expliquer cette politique. Renvoyant à "une décision de l'Assemblée générale de New York" qui interdit la rémunération des stagiaires (et d'embaucher les stagiaires dans les six mois qui suivent leur stage), Fawzi a indiqué que les agences de l'organisation, indépendantes, peuvent décider de les rémunérer, certaines le faisant déjà.
Le Temps critique la manipulation de David Hyde
Pourquoi révéler le pot aux roses alors que le plan de communication avait été parfaitement mené ? Hyde n'en dit rien. Peut-être l'envie d'être reconnu comme lanceur d'alerte - d'où le choix de The Intercept ? Selon Le Temps qui - sans avoir couvert le sujet à l'origine - réagit après la révélation dans un article à charge titré "La saga mensongère du stagiaire non payé de l'ONU", Hyde se serait trouvé empêtré dans ses mensonges : "Il admet un peu, provoque, esquive, joue la sincérité tout en entretenant la confusion, comme sur ce fameux documentaire qu’il avait à l’idée. Le redresseur de torts se retrouve piégé". Sur le site Jet d'encre en revanche, à qui le Néo-zélandais a accordé une interview après ses révélations, c'est un tout autre David Hyde qui explique notamment : "Je leur [la rédaction de Jet d'encre] ai révélé toute l’histoire sous réserve qu’ils respecteraient mon choix du moment pour révéler toute la vérité. Ils ont compris mon souhait de laisser du temps aux autres stagiaires et organisations pour capitaliser sur le "momentum" que l’histoire initiale avait suscité". Stagiaire dépassé ou pro de la com' ? L'histoire aura en tout cas mis en avant l'association "Pay your interns" (Payez vos stagiaires), qui regroupe les stagiaires mécontents... de l'ONU, créé cette année.
Par Julia Gualtieri
L'occasion de (re)voir notre émission sur cette nouvelle figure des scandales politico-médiatiques : le lanceur d'alerte.
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