Après Charlie, "L'Apôtre" fait peur à la police
enquête

Après Charlie, "L'Apôtre" fait peur à la police

Crainte de réactions musulmanes : deux projections annulées

C'est l'histoire d'un film, sorti en salles en octobre, dans lequel un musulman se convertit au catholicisme. Après une sortie en France dans une certaine indifférence en octobre 2014, deux cinémas, à Neuilly puis à Nantes, l'ont déprogrammé en janvier, sur recommandation de la police. Comme si après Charlie, tous les films n'étaient plus visibles de la même manière.

Et en janvier, deux projections furent annulées. Le 9 janvier, Cheyenne Carron, réalisatrice du film L'Apôtre reçoit un premier mail, signé par l'association "Bible à Neuilly", qui organisait la séance ciné-débat du 12 janvier : "Chers amis. Vu les circonstances actuelles, le commissariat de Police de Neuilly nous a demandé de reporter la séance du ciné-débat organisée lundi prochain". Le 15 janvier, second mail, signé cette fois par la Fédération des Associations Familiales Catholiques de Loire-Atlantique : "Bonsoir madame. La DGSI nous a vivement conseillé d'annuler notre soirée débat du 23/01 autour de la projection du film L'Apôtre devant les risques d'attentats, cette projection pouvant être perçue comme une provocation par la communauté musulmane. Devant ce cas de force majeure, nous sommes contraints d’annuler cette soirée. Nous ne savons pas pour l’instant à quelle date il nous sera possible de reprogrammer cette soirée".

La bande-annonce du film


Jusque là, pourtant, tout allait pourtant bien pour L'Apôtre. Aussi bien que possible. Ayant essuyé des refus des filières traditionnelles de financement et de distribution du cinéma, la réalisatrice avait trouvé un mode de financement original, comme elle le raconte au site Boulevard Voltaire (créé par Robert Ménard) : "Après cinq longs métrages, le CNC refuse toujours de m’aider. Mais, ce film, je voulais absolument le faire. Alors un jour, voyant le magazine Challenges qui recensait les 100 plus grandes fortunes de France, j’ai pris les 10 premiers de la liste, je leur ai adressé une courte lettre, ainsi que le DVD de mon précédent film. Je leur ai expliqué que je cherchais un petit budget pour faire un film important. Trois mois plus tard, l’un d’eux m’a envoyé cet argent, et j’ai fait mon film".

Le film ? L'histoire d'un jeune musulman d'aujourd'hui qui, touché par la grâce, decide de se convertir au catholicisme. Ce qui suscite de violentes réactions de son entourage, notamment de son frère, et lui vaut d'être traité de traître et d'apostat. Les musulmans y sont montrés aussi rigides dans leur foi que les catholiques y sont tolérants et accueillants. Le film est d'abord diffusé au Lincoln, à Paris, avant d'être accueilli dans deux autres cinémas de la capitale : aux Sept Parnassiens, dans le quartier de Montparnasse et au Balzac, sur les Champs-Elysées. Des projections uniques sont aussi organisées à Lyon ou Montauban. Sans qu'aucune polémique ne vienne émailler les débats qui suivent parfois les séances.

Et même les critiques étaient bonnes ! On pouvait, par exemple, lire dans Le Monde daté du 30 octobre 2014 : "De bout en bout, la lumière domine. Avec sa franchise un peu brute, Cheyenne Carron parvient à faire de son sujet polémique un message d'espoir et de tolérance comme on en voit rarement. Son film s'offre tel qu'il est, tout simple dans sa forme, mais si vrai et finalement si beau dans ce qu'il montre de l'homme qu'on se prend à espérer". Ou dans Le Parisien : "Loin de vouloir faire de son long-métrage un choc des civilisations, la réalisatrice délivre un message de tolérance, sans tomber dans la prêche d'une grenouille de bénétier".

La réalisatrice : "Si on peut caricaturer Mahomet, on devrait aussi pouvoir voir mon film"



Mais le 7 janvier, le destin de L'Apôtre change. Ce jour-là, les frères Kouachi assassinent une grande partie de la rédaction de Charlie Hebdo. C'est donc dans ce contexte que sont annulées les projections de L'Apôtre. Contactée par @si, la réalisatrice, catholique, ne comprend toujours pas : "Je n'ai jamais acheté Charlie Hebdo mais je trouve ça bien que ça existe. On ne peut pas, d'un côté, prôner les caricatures de Charlie et d'un autre interdire mon film. Si on peut caricaturer Mahomet, on devrait aussi pouvoir voir notre film".

Une déprogrammation soudaine et rapidement récupérée par une partie de la droite et de l'extrême droite. Franck Louvrier, conseiller régional UMP, et ancien porte-parole de Nicolas Sarkozy à l'Elysée, parle par exemple de "recul incompréhensible" : "Quelques jours après la marche républicaine à Nantes et au nom de notre attachement à la liberté d'expression, nous voici confrontés à un recul incompréhensible. Porteur d'un message de paix, ce film, salué par la critique cinématographique, est nommé pour le César 2015 du meilleur jeune espoir masculin grâce à l'acteur principal Fayçal Safi. En tant qu'élu républicain je ne peux cautionner une telle autocensure qui ne fait que céder à la peur et aux diktats des extrémistes".

Sur le site du Front National, David Rachline, maire de Fréjus s'est aussi étonné "de telles consignes", "à l'heure où l'ensemble du Gouvernement défend à longueur de journée la liberté d'expression". Sur Twitter, Florian Philippot s'est aussi interrogé :

Comment réagit la réalisatrice à ces multiples récupérations politiques ? "Je suis très triste que ce ne soit pas des gens de gauche qui me soutiennent", nous confie-t-elle.


A propos de la déprogrammation : "Ce n'était pas interdit, juste déconseillé"

Reste une question : qui a pris la décision de déprogrammer la projection de Nantes ? Une grande partie de la presse estime que la DGSI et la préfecture sont derrière les deux annulations de Nantes et Neuilly. Contactée par @si, la préfecture de la Loire-Atlantique assure pourtant n'avoir fait "aucune démarche pour demander l'annulation de cette projection". Et de rappeler que la DGSI avait également démenti être intervenue dans cette affaire quelques jours plus tôt. Que s'est-il donc passé ? Contactées à plusieurs reprises par @si, les Associations Familiales Catholiques du 44 (AFC), qui organisaient la projection du film à Nantes, ont accepté de nous en dire un (tout petit) peu plus : "On a eu des contacts auprès de la police. On ne souhaite pas polémiquer avec eux, mais les contacts ont bien eu lieu. Les forces de police nous ont contacté, en nous déconseillant de projeter le film. Ce n'était pas interdit, juste déconseillé". Le film devrait d'ailleurs, selon l'AFC, être projeté à Nantes dans les semaines qui viennent.

La réalisatrice ne semble, en tout cas, pas à une polémique près. Comme elle l'a déjà avoué au site Causeur, son prochain film traitera du racisme anti-blanc. Elle détaille à @si son nouveau projet, dont le tournage commencera en mars : "Ça va être un superbe film sur le rejet du petit blanc. En banlieue, qu'on le veuille ou non, ça existe". Pourquoi vouloir réaliser un film sur ce sujet, dénoncé en 2012 par Jean-François Copé dans son "Manifeste pour une droite décomplexée" ? "J'ai une amie qui vivait en banlieue et subissait cette violence, de la part de noirs ou d'arabes". Avant d'ajouter : "Il y a de très beaux films sur le racisme anti-noir mais jamais rien sur le rejet du petit blanc".

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