La révolte écolo dans les grandes écoles, "une lame de fond"

Arrêt sur images

Une vidéo YouTube bouleverse les élites économiques

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L'émission
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  • Avec
    Arthur Gosset et Marine Miller et François-Xavier Oliveau
  • Presentation
    Nassira El Moaddem
  • Préparation
    Nassira El Moaddem et Yves Magistrini
  • Réalisation
    Antoine Streiff
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Leur vidéo, diffusée sur YouTube, en est déjà à près de 900 000 vues en un peu plus de deux semaines, 12 millions toutes plateformes confondues, d'après un décompte du ministère de l'Agriculture relayé par MediapartCette vidéo, c'est celle de huit jeunes diplômés de l’école d’ingénieurs AgroParisTech, soit l’Institut national des sciences et industries du vivant et de l’environnement, sous la tutelle du ministère de l’Agriculture. Il forme cadres, ingénieurs et chercheurs en agronomie.

Dans leur discours, prononcé lors de la remise de leurs diplômes d’ingénieurs agronomes le 30 avril 2022, leur voix tremble mais le propos est on ne peut plus clair : ces jeunes diplômés affirment avec force ne pas vouloir contribuer à une agriculture qui "mène la guerre au vivant et à la paysannerie". Ils appellent à "bifurquer", à sortir de la voie pourtant toute tracée devant eux. Qu’est-ce que cette démarche dit de cette génération ? Quelle est l'importance de ce mouvement ? Comment le récit médiatique a pris le relais ? Pour y répondre, trois invités : Marine Miller, journaliste éducation au Monde et autrice de Révolte : enquête sur les jeunes élites face au défi écologique (Seuil), Arthur Gosset, diplômé en génie environnemental de l'École Centrale Nantes et réalisateur du documentaire Ruptures qui suit six étudiants de grandes écoles à la recherche d'un nouveau chemin, et François-Xavier Oliveau, directeur d'une société d’investissement qui accompagne PME et ETI dans leur transition écologique, et auteur de La crise de l'abondance (éditions de l'Observatoire).

"Ces jeunes-là savent parler aux médias"

Marine Miller, qui suit de près les étudiants et jeunes diplômés, a su très vite, avec cette vidéo des AgroParisTech,"qu'il se passait quelque chose. Elle a buzzé immédiatement dans toutes mes bulles de filtre. J'ai été assez surprise car on n'en avait pas vu tant que ça, des vidéos de cet acabit-là [...] sur le fond, ils vont assez loin dans leur discours, en expliquant notamment leurs motivations. Sur la forme, ils sont huit à prendre la parole". Autre élément à prendre en compte, le profil de ces étudiants : "Ces jeunes-là, ce sont ceux à qui on donne la parole dans les médias. On reconnaît en eux leur capacité d'orateurs. Ils ont passé des concours, des oraux, ils savent parler aux médias, ils ont une façon d'être qui coïncide bien avec le désir des journalistes de raconter des histoires"

C'est une évolution par rapport à la vidéo de Clément Choisne, un autre diplômé de l'école d'ingénieurs Centrale Nantes, la même année qu'Arthur Gosset. En décembre 2018, Clément Choisne annonce qu'il veut bifurquer lui aussi, mais il est seul sur scène. Autre différence : "Il dit «je doute et je m'écarte», les huit de l'Agro ne doutent plus, ils sont passés du constat à l'action, explique Marine Miller. Eux, ont déjà trouvé leur voie, alors que Clément, quand il fait son constat, il est encore en train de chercher". "À l'époque, ce discours de Clément Choisne était perçu comme minoritaire, se souvient Arthur Gosset, mais c'est surtout ce qu'il a provoqué en interne à l'école qui est intéressant [...] Le corps professoral a compris l'enjeu. Avant on était quelques-uns à se battre à faire évoluer les cursus. On était peu écoutés, la direction nous voyait comme des marginaux [...]. Aujourd'hui, plusieurs personnes sont responsables de la partie RSE (responsabilité sociale et environnementale, ndlr) à  l'école centrale de Nantes et la première option «low tech» sur les technologies durables va voir le jour l'année prochaine à Centrale Nantes. C'est la première fois en France qu'une école d'ingénieurs propose ce type de parcours". 

Reste que beaucoup "s'autoforment" encore aux questions environnementales, selon l'expression d'Arthur Gosset, notamment à travers les vidéos et conférences de personnalités, comme l'ingénieur Jean-Marc Jancovici, très apprécié, parfois adulé, même, de nombreux étudiants des grandes écoles. "Jancovici est le prof de toute une génération, confirme Marine Miller, un prof un peu gourou certes, mais il a formé des milliers de jeunes à travers ses vidéos sur YouTube".  

"On a besoin de gens qui s'engagent dans la technique"

Les huit jeunes diplômés ont tous décidé de sortir des cadres traditionnels. Finis les grands groupes pour faire carrière. Installation en apiculture, en agriculture vivrière, engagement contre la bétonisation ou contre le nucléaire sont les voies qu'ils ont décidé d'embrasser à leur sortie d'école, ont-ils expliqué sur la scène de leur école. Un choix critiqué dans plusieurs articles de presse, notamment dans Le Pointqui décrie des étudiants qui "restent indifférents aux famines", des enfants gâtés en somme."Des agro-déserteurs" regrette François-Xavier Oliveau, auteur d'une tribune publiée dans les Échos s'adressant aux huit d'AgroParisTech, qui croit plutôt à l'action à l'intérieur des entreprises pour lutter contre le dérèglement climatique et pour la préservation de l'environnement . "Je pense que c'est la meilleure solution, celle dont on a besoin d'urgence. On a besoin de gens qui s'engagent dans l'ingénierie, dans la science, dans la technique", explique Oliveau sur notre plateau. 

S'il dit ne pas vouloir émettre de jugement de valeur sur leurs décisions, il estime "que ce n'est pas le meilleur choix collectivement parlant". "Là où moi je ne partage pas cette opinion, répond Arthur Gosset, c'est le côté «Ils ont forcément plus d'impact en allant dans le système». Je ne suis pas d'accord, car quelqu'un aura plus d'impact dans un endroit où il se sent bien, où il se sent vivant. Quelqu'un qui va travailler dans des grands groupes à fort impact carbone, si ça ne lui correspond pas, il finira en burn-out à 35 ans et il n'aura rien apporté de bon" (voir extrait ci-dessous). 

"Les grandes entreprises n'arrivent plus à attirer ces talents"

Nombre de diplômés des grandes écoles refusent désormais d'aller travailler pour les entreprises qui n'acceptent pas de transformer leurs modèles de production et de développement. Et ils assument ce positionnement. C'est le sens du discours de deux étudiants polytechniciens en juin 2019, passé presque inaperçu. "Les grandes entreprises n'arrivent plus à attirer ces talents [...] C'est une tendance générique qui date d'il y a une dizaine d'années déjà, relève Marine Miller. J'étais il y a deux semaines avec le directeur d'une école d'ingénieurs , l'une des meilleures en France, qui me disait : «En dix ans, on a eu un inversement de tendance : avant, 70 % de nos diplômés allaient dans les grand groupes contre 30 % dans les PME, aujourd'hui, c'est l'inverse»". "C'est exactement ce qu'il faut faire, mettre la pression sur les entreprises, estime François-Xavier Oliveau. C'est de là que viendra le changement. Il faut absolument faire basculer le système et pour cela, il faut qu'il y ait des gens qui rentrent dans l'entreprise et mettent cette pression".  

Pour aller plus loin :

- Lire La révolte : enquête sur les jeunes élites face au défi écologique, Marine Miller, éditions du Seuil, octobre 2021.
- Regarder "Bifurqueurs : mettre ses compétences au service de ses valeurs", émission À l'air libre, Mediapart.
- Lire "L'appel pour un réveil écologique" signé par 33 000 étudiants depuis 2018.
- Ruptures, documentaire signé Arthur Gosset, 2021. 

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