Il aura fallu 70 ans. 70 ans depuis les premières alertes, les premiers témoignages, pour que le voile se lève sur une partie, une partie seulement, des violences sexuelles imputées à l'Abbé Pierre : harcèlement, agressions sexuelles, viols. Les victimes sont parfois mineures, elles étaient religieuses ou bénévoles d'Emmaüs, venaient chercher l'aide de l'Abbé pour un logement ou se nourrir. Comme pour chaque affaire de violences sexuelles, et particulièrement lorsqu'elle touche l'Église catholique, une question revient : qui savait, et n'a rien fait ? Le cas Henri Grouès, le vrai nom de l'Abbé Pierre, en soulève un autre : comment traiter de telles révélations lorsqu'elles touchent une icône aussi populaire, portée au rang de saint médiatique pendant des décennies ?
Nous recevons cette semaine Christine Pedotti, autrice et journaliste, directrice de la publication de Témoignage chrétien ; Arnaud Alibert, prêtre et rédacteur en chef à la Croix ; Patrick Goujon, théologien, auteur de Prière de ne pas abuser (Seuil, 2021), récit des violences sexuelles perpétrées par un prêtre durant son enfance.
"On a tendance à chercher des saints"
L'Abbé Pierre était une icône construite par les médias, mais aussi par l'Église qui profitait de sa notoriété. Pour Christine Pedotti, les révélations qui s'enchaînent démontrent une urgence : "On fabrique des saints à longueur de temps. Dans nos pratiques journalistiques, on a à être extrêmement attentifs, extrêmement réticents, pour monter des gens en épingle, en sainteté."
Comment ne plus répéter les mêmes erreurs ?
L'affaire remet en question tout un pan du travail journalistique : comment parler des grandes causes sans les personnifier ? Comment incarner des idées sans créer des idoles ? "On ne peut pas ne pas se poser la question de qui on est en train de mettre en avant", juge Arnaud Alibert. "Est-ce qu'on est en train d'en faire un héros ? Est-ce qu'on ne va pas découvrir demain que derrière la face policée, il y a en fait un loup déguisé en agneau ? Ça nous pose un vrai problème, et nous sommes à la recherche d'une méthode pour essayer de trouver la bonne distance."
"Les médias ont une responsabilité sociale de parler"
Quel rôle doivent tenir les médias, et particulièrement les médias catholiques, face à de telles révélations ? Arnaud Alibert voit dans le journalisme la possibilité de "rompre le silence" : "Leur prise de parole ne fait pas justice, mais est un élément d'une justice en train de se faire. Les journalistes participent à quelque chose qui pourrait être de l'ordre d'une libération pour les victimes. Et ça, c'est essentiel."
Pour aller plus loin
- Le dossier de la Croix consacré à l'Abbé Pierre.
- La tribune de Patrick Goujon consacrée à l'affaire.
- Notre émission d'octobre 2021 sur le rapport Sauvé.
- L'édito de Témoignage chrétien sur l'Abbé Pierre.
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