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"Nous sommes tous des cochons allemands"

Pourquoi nos assiettes sont-elles devenues un champ de bataille ? se demande André Gunthert. Parce que s'établit une nouvelle norme, qui s'installe dans la conscience collective. Condamnation de l'élevage intensif ; création de souches de bactéries résistantes aux antibotiques.  Et surtout, à la place de victime, émergence de cette figure centrale : le cochon.

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"création de souches de bactéries résistantes aux antibotiques"
A mettre en relation avec ça:
L’OMS alarme sur le « grave manque » de nouveaux antibiotiques dans le monde
Très bien cette chronique ! elle fait appel à la réflexion et encourage à l'approfondissement. Merci !
Et grand merci ! à Arya pour qui j'ai voté ; son propos reflète parfaitement ma propre pensée et mes engagements de végétalienne ... anticapitaliste ;)...pour faire court.
Bonjour,

Je voudrais vous remercier particulièrement pour un point de cette chronique, celle qui est mise en exergue par le titre, d'ailleurs. Il s'agit de la comparaison claire et sans équivoque du traitement inhumain réservé à la (future) viande et aux travailleurs dans l'industrie. Pour avoir lu un certain nombre de papiers, vu des vidéos promeuvant la cause animale et le véganisme, c'est pratiquement la première fois que je vois apparaître aussi clairement ce parallèle, qui me semble pourtant fondamental.

En soi, je ne peux que me réjouir de cette prise de conscience qui touche en particulier les jeunes (ceux qui ont la vingtaine notamment). Comme vous le soulignez, changer son comportement et ses habitudes n'a rien d'anodin, et le faire pour des raisons majoritairement altruistes (écologie et bien-être animal, même si la santé est aussi un point souvent avancé) me paraît bien augurer d'une génération qui a peut-être conscience que la recherche de la "bonne affaire", du "moins cher" et de l'optimisation de son bonheur (et son argent) personnel n'est pas forcément l'alpha et l'oméga de l'existence. En bref, je me dis que c'est un premier pas, et que tous ces véganes et autres activistes plus ou moins engagés sont peut-être le début d'une prise de conscience que la société individualiste atteint ses limites.
Pourtant, force est de constater que tout cela va rarement plus loin. Il est tout de même frappant de constater qu'aujourd'hui, il est plus facile de se proclamer défenseur des animaux que défenseur des travailleurs. Dans le premier cas, vous serez peut-être assimilé à un bobo ou un hippie, vous vous prendrez quelques remarques sur le "cri de la carotte" et autres âneries faciles à démonter. Dans le second, vous serez rapidement associé à un stalino-chavisto-castriste dangereux qui veut envoyer tout le monde au goulag, qui en est resté au concept éculé de "lutte des classes" alors qu'on a "bien vu que ça marchait pas, la preuve Staline". Dans le premier cas, vous êtes moderne, éventuellement victime d'un effet de mode*. Dans le second, vous êtes au mieux un vieux croûton dépassé, au pire un dangereux extrémiste.

Peut-on dès lors considérer inquiétant qu'il soit plus facile d'attirer l'empathie envers des animaux, forcément "innocents", qu'envers des travailleurs exploités, ou des pauvres, ou des réfugiés ? Evidemment, c'est plus compliqué. Parce que les travailleurs, déjà, ne sont pas zigouillés à la fin (enfin, la plupart, on va exclure les suicides au travail et les morts prématurées par crise cardiaque ou autre accident). C'est plus difficile de trouver des "images choc" avec du sang et des cris, la violence est plus feutrée. Et puis on ne peut pas vraiment prouver qu'ils ne sont pas, au moins en partie, "responsables de leur situation", n'est-ce pas ?

C'est aussi là que se trouve une limite du "discours végane", à mon avis. Car, si les arguments rationnels irréfutables ne manquent pas, tels que la contribution de l'élevage à l'augmentation des émissions de gaz à effet de serre, ou la proportion de terres cultivables "gâchées" pour l'élevage (il faut 7 calories végétales pour produire 1 calorie animale), ce n'est pas là-dessus que prospère et s'étend le mouvement, mais bien en faisant appel aux émotions. Les images-choc des abattoirs ne font pas appel à notre raison, mais provoquent un état émotionnel de sidération qui nous empêche de réfléchir plus avant. J'aurais aimé d'ailleurs, de la part de spécialistes de l'image, qu'il soit étudié le parallèle entre les stratégies audiovisuelles des associations telles que L214 ou autres auteurs de documentaires "choc", et celle des médias plus "mainstream" passant en boucle des images de violence lors d'événements tels que les attentats**. Dans les deux cas, l'émotion immédiate et la sidération nous empêchent de faire autre chose que de réagir (et non réfléchir) en se disant "c'est horrible, il faut que ça cesse". Tant que nous sommes soumis au rappel constant de ces émotions par un martèlement des images, nous sommes incapables de les mettre suffisamment à distance pour produire un discours cohérent et sommes en quelque sorte obligés d'adhérer à celui que nous servent les gens qui nous présentent ces images.

Evidemment, me direz-vous, arrêter de manger de la viande ne fait de mal à personne (pour peu que l'on se renseigne sur les compléments alimentaires tels que la vitamine B12). Peut-on pour autant considérer que la fin justifie les moyens, et se soustraire à un vrai débat de fond en privilégiant l'émotion et en arrêtant là la réflexion ? Si devenir végétarien ou végane n'est pas un choix individuel uniquement mais un acte politique, alors il faut se donner les moyens de le penser en tant que tel, en l'inscrivant dans un contexte plus large et non comme une cause miraculeusement isolée du reste de notre société. Malheureusement, pour cette jeune génération dont je parlais plus haut, il semble que ce soit encore un gros mot. C'est d'ailleurs là que le bât blesse, qu'il a toujours blessé en ce qui concerne l'écologie et le changement climatique.

En ce qui concerne le véganisme, (et je m'arrêterai là pour ce pavé), si je souscris à la plupart de ses arguments, je pense qu'il fait fausse route en considérant comme une fin en soi l'arrêt total de l'exploitation animale, car c'est oublier un peu vite que l'homme fait partie, qu'il le veuille ou non, d'un écosystème et d'une chaîne alimentaire, et qu'il est vain de souhaiter qu'il n'ait plus aucune influence sur les autres espèces de la planète. Par sa simple présence, par l'extension de son habitat au détriment des autres, par la pollution et l'industrialisation, il contribue d'ores et déjà à l'éradication de la plupart des espèces animales. Les cochons ou les poulets en batterie n'en sont qu'un symptôme, une petite partie de l'iceberg. Si nous l'éliminons, ce sera déjà bien, peut-être. Mais à mon avis, il est urgent de réfléchir plus largement à la façon dont nous pouvons nous inscrire durablement dans notre écosystème, d'une façon respectueuse de l'environnement, des animaux et de l'humain puisque tout cela ne peut fonctionner qu'ensemble. Mais cela implique aussi de ne pas avoir peur d'une critique plus radicale du système capitaliste dans sa globalité.

*Il y a 5 ans, tout le monde ne jurait que par Dukan qui vendait son régime 100% viande à toutes les sauces pour perdre des kilos, des fois on peut avoir l'impression que le véganisme, c'est juste la nouvelle tendance...

** Désolée pour le hors sujet, mais j'en profite honteusement (quoique discrètement) pour faire la pub de l'excellent "Sidérations, une sociologie des attentats" de Gérome Truc
Cher André,

J'aurais aimé que vous abordiez plus précisément cette conséquence de l'élevage intensif, à savoir la maltraitance humaine : ces travailleurs détachés, polonais ou roumains, sous-payés et exploités, aussi méprisés que les cochons allemands, et que vous rappeliez que sur ce point, l'Allemagne, c'est un peu la Chine de l'Europe.

A part ça, c'était nickel ! Merci à vous.
"Je regrette évidemment que cette chronique, enregistrée mercredi et rédigée avant la diffusion de la dernière édition de Cash Investigation, n'ait pas mieux souligné le lien, à mes yeux évident, entre la maltraitance animale et celle qui vise l'humain." dit André Gunthert
Celui qui ne comprend pas ce lien évident dans la chronique ne l'a pas bien écoutée. Dans un de mes commentaires j'ai même ajouté à cet aspect de maltraitance humaine mise en exergue par l'extrait de Charlie Chaplin "une alimentation industrielle de l'homme qui n'a de correspondant que l'alimentation industrielle des animaux"
Quant à l'éditorialisation, je ne serai pas aussi critique envers elle. Il n'est guère besoin sur une Une d'Arrêt sur Image de donner la liste des ingrédients ou de le faire à la Barbara Kruger, c'est à dire avec des punch lines qui sont sensées frapper les esprits mais qui perdent de leur force par leur stéréotypisation. Rappelons que cette artiste utilise des formules à l'emporte-pièce comme "I shop therefore I am" où le slogan mis en œuvre des centaines de fois est lui même l'écho du tiroir caisse

Si on ne peut tout attendre de l'implication individuelle pour changer, on peut en attendre beaucoup et l'on ne peut s'en remettre uniquement à la loi. On ne décrète pas le respect par décret même si parfois il faut user de la menace. Si l'on prend l'exemple du tri des déchets, la loi est là mais dans le secret de l'anonymat d'un habitat collectif, certains fourguent allègrement des non-recyclables dans la poubelle à papiers mais néanmoins à force de pédagogie, ils sont de moins en moins à le faire.
Reste la révolution : cochons de tous les pays, unissez-vous !... ou plutôt unissons-nous !!!
J'ai toujours été fortement opposé a la responsabilité individuelle de chacun dans le changement des comportements. Ça ne fonctionne pas, ça n'a jamais fonctionné et ça ne fonctionnera jamais. Prenons l'exemple de la viande que vous venez de prendre. Que veut dire "devenir tous responsables" ? Moins manger de viande, tous, individuellement, par choix. Ou de la viande élevée dans de meilleures conditions. Bon très bien. Donc les pauvres doivent arrêter définitivement de manger de la viande, sinon ils cautionnent d'une manière ou d'une autre l'industrie alimentaire, par contre les riches pourront continuer a manger de la viande élevée sainement ? C'est le concept ? Vous trouvez pas que ça pue du cul, quand même un peu ? Et ça, encore, c'est en imaginant que tout le monde sur terre (sauf peut être les éleveurs industriels), soit convaincu qu'il faille changer notre mode d'alimentation. Or on sait pertinemment que ce ne sera jamais le cas. Donc, en voulant tous nous responsabiliser, vous créez une nouvelle rivalité entre ceux qui sont favorables aux changement et ceux qui ne le sont pas, ceux qui ont les moyens de ce changement et ceux qui ne les ont pas.

Non, non, et encore non. Comme pour le tri des déchets, la consommation d'eau, ou d’électricité, ou peu importe quoi, la responsabilité individuelle ça ne fonctionne pas. La seule véritable manière de faire changer les choses, c'est par la loi, en imposant ce changement aux entreprises qui sont responsables (et non pas en implorant le consommateur de changer son mode de consommation). Interdisez leur de polluer en utilisant des transports de fret inutiles sur des milliers de km pour pouvoir bénéficier des salaires au rabais de la Chine, interdisez leur d'utiliser des matières non bio dégradables pour leurs emballages, interdisez leur la maltraitance animale, et tous les problèmes seront réglés, sans avoir a compter sur la bonne volonté et les moyens d'action de tout un chacun. Mais tant qu'on aura ce double discours : la souffrance animale, la pollution, les excès dans l'utilisation de l’énergie, c'est la responsabilité individuelle de tout un chacun, par contre l'industrie capitaliste, on peut l'obliger a rien... Eh ben on continuera d'arriver a rien. Pourtant, c'est bel et bien aux causes de ces dysfonctionnements qu'il faut s'attaquer, plutôt qu'a leurs effets. Ça sera bien plus efficace.
je serais donc la seule à trouver cette chronique décevante ? Portée par la moraline et le lieu commun plutôt que par une solide réflexion critique ? À m'interroger sur la double fonction de ce déferlement d'images de souffrance animale, à craindre qu'elles ne produisent, comme le font les images de souffrance humaine, autant ou plus d'accoutumance et de banalisation chez certains que, chez d'autres, de radicalisation empathique ? À constater que la baisse de consommation de viande risque plus, aujourd'hui, de précipiter la disparition de l'élevage paysan que celle de l'industrie d'exportation allemande ou bretonne (poulet) ? À trouver que l'assimilation souffrance animale / mise à mort des animaux n'est pas une évidence éthique ? La critique peut-elle se contenter de produire une glose redondante, calquée sur le discours manifeste des images, sans s'interroger ni sur leurs impacts effectifs, dans toute leur diversité et leurs contradictions, ni sur les messages sous-jacents ?
Un travail du couteau, propre et précis.
Un boucher donnant du réel à la viande qu'il découpe.

Faut-il vous l'emballer?
Non, merci j'ai dégusté sur place. Dois-je dire que je l'ai dévoré et apprécié?
Au revoir M'sieurs Dames!


Merci
De l'Arret sur images pur sucre !
Merci pour ce décorticage.

Même si je doute que chacun dans son coin arrive à changer le cours des choses en modifiant ses habitudes de consommation.
Pour reprendre le titre d'une critique de Mikaël Faujour dans le Monde Diplomatique de ce mois : "Les colibris n'éteindornt pas l'incendie"
Très bonne chronique et je vois que déjà André Gunthert est bien congratulé

Longtemps j'ai essayé de n'être pas kosher par un souhait de me distancer de ces "sourates" de la Torah et des commandements d'un d ieu qui est pareil à ces parents qui interdisent aux enfants de monter aux arbres, de jouer à la balançoire, de cueillir des fleurs... de boire les fonds de verre

Et donc j'ai bouffé du porc, du khazer, comme tous les autres au zinc des bistrots

Mais il est vrai que depuis plusieurs années, cette viande qui s'étale à profusion et plus qu'aucune autre, et moins chère que toutes les autres, en empilage de 4 tranches ou de saucisses, knacks etc sur des dizaines de mètres de rayon est le plus sûr signe d'une alimentation industrielle de l'homme qui n'a de correspondant que l'alimentation industrielle des animaux. Et donc un certain dégoût s'est installé, mais cela va aussi pour ce malheureux Gouda dont on s'étonne qu'il puisse inonder les supermarchés de Stockholm à Séville en passant par Prague et Galway (les vaches néerlandaises doivent pisser le lait comme vache qui pisse pour faire de tels tonnages de ce fromage)

Et donc c'est par un écœurement devant l'ingurgitation que nous faisons de porc et d'autres aliments dont on nous gave que nous avons chez nous commencé à réduire nos achats en supermarché. D'ailleurs si le mot Yiddish pour porc est khazer (fleysh), l'argot pour un glouton à NewYork et ailleurs est khazar

Mais, question viande, il n'y a pas que le porc, le poulet aussi est mis à l'index

Maintenant, André Gunthert dit une chose sur la peau rose du cochon et son association imagière à l'homme... cela n'est pas vrai pour tous les cochons ni tous les hommes.

Merci à André Gunthert
Juste un commentaire pour souligner la qualité de chacune de vos chroniques, je les attends toujours avec impatience. À voté !
GRAND MERCI !!!!

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