Hanouna et la justice : du laxisme français à l’efficacité russe
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Hanouna et la justice : du laxisme français à l’efficacité russe

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On ne souligne jamais assez l'efficacité de la torture. Hanouna l'a fait, lundi 25 mars sur C8, dans une séquence revenant sur l'attentat de Moscou et la présentation devant un tribunal russe de trois terroristes qui avaient été interrogés et torturés. Images à l'appui, commentées en détail ("le mec lui a arraché l'oreille et lui a fait bouffer"), Hanouna, accompagné de ses chroniqueurs-magistrats-experts-en-terrorisme, a lancé un débat. Enfin non, pas exactement un débat. Car voyez-vous, l'usage de la torture ne fait pas vraiment débat dans TPMP. Et gare à celle (oui, une seule chroniqueuse sur neuf) qui condamnerait l'utilisation de la torture. "C'est insupportable, insupportable", lui lance Hanouna. Insupportable oui, comme cette dérive de l'animateur qui fustige depuis des mois tout ce qui ressemble à ce truc un peu pénible qu'on pourrait appeler l'État de droit.

On sentait que ça montait. Ces derniers mois, à chaque fait divers traité dans TPMP, Hanouna et ses chroniqueurs s'en prenaient au "laxisme" de la justice. Sur le plateau de C8, ne prononcez plus les mots "présomption d'innocence", "altération du discernement", "prison avec sursis", "seconde chance" (pour un·e délinquant·e). Tout ça, Hanouna, ça le "rend fou" car voyez-vous : "on marche sur la tête dans ce pays" à cause d'une "justice trop laxiste". "Tous les soirs, on commente des faits divers où la justice n'est pas au rendez-vous. (...) On a toujours l'impression d'impunité ou de laxisme", résume une chroniqueuse. Tous les soirs ou presque, C8 se transforme en tribunal médiatique (avec les photos des victimes ensanglantées sur grand écran pendant toute la durée des séquences).

TPMP est devenue une sorte de cour d'appel où le juge Hanouna est toujours plus sévère que la justice elle-même. Six mois de prison avec sursis pour un étranger qui a frappé un individu ? "Ce mec-là, je le renvoie directement chez lui." Six mois avec sursis pour un individu qui a agressé un médecin de 80 ans ? "Moi, je lui aurais mis sept ans de prison." Seulement deux ans de prison pour l'agresseur d'une grand-mère et de sa petite-fille ? "Ça, pour moi, c'est 20 ans de prison".

Bien évidemment, pendant ces "débats", il ne s'agit pas d'aborder des questions juridiques. Comme le dit Hanouna, un soir où un chroniqueur a osé lui rappeler la gradation des peines et le code pénal : "On ne te demande pas de parler avec le code pénal, on te demande de parler avec ta jugeote. Tu comprends rien à l'émission, en fait".

C'est pourtant pas très compliqué de comprendre le principe de l'émission : quasiment tous les soirs, les chroniqueurs doivent réagir, sous le coup de l'émotion, à un fait divers en répondant à des questions juridiques très pointues : "Trouvez-vous ça normal ?", "Comprenez-vous cette décision ?". Et la bonne réponse est toujours non (c'est pas normal, c'est incompréhensible) car l'unique objectif de chacune de ces séquences est de montrer le laxisme de la justice. Les titres des vidéos sur YouTube ou Facebook sont d'ailleurs bien plus explicites que les bandeaux de C8.

Un laxisme "insupportable" pour Hanouna, qui en appelle souvent au ministre de la Justice : "Je le dis au ministre M. Dupond-Moretti : il faut bouger vite, parce que de plus en plus, il y a des gens qui vont voir ça. Et vous savez ce qu'ils vont faire ? Ils vont se faire justice eux-mêmes."  Se faire justice, c'est une des grandes préoccupations de Hanouna. Quand un père de famille a voulu se venger de l'agresseur de sa fille par exemple, TPMP a consacré au moins trois émissions à l'affaire. Avec cette question : "Comprenez-vous que le père encoure finalement de la prison ferme ?"

Face à ce supposé laxisme de la justice et à l'envie de se venger, Hanouna a une solution. Il l'a trouvée en octobre 2022, lorsqu'a éclaté l'affaire Lola, du nom de cette fille de 12 ans tuée dans le 19e arrondissement de Paris. Quelques jours après la découverte du corps et le placement en détention de la suspecte repérée sur des caméras de vidéosurveillance, Hanouna était catégorique : "Je n'ai pas peur de le dire, pour ce genre de personne, pour moi, le procès doit se faire immédiatement, en quelques heures, et terminé, c'est perpétuité direct, il n'y a même pas de discussion"

À la suite des propos de Hanouna, C8 avait reçu une mise en demeure de l'Arcom (une de plus), pour ce que Télérama avait qualifié de "dérapage". Depuis, il n'est plus question de dérapage mais plutôt de ligne éditoriale assumée.

Débat du jour : la torture, bien ou pas bien ?

Rappeler tous ces épisodes, c'est mieux comprendre le contexte dans lequel s'insère l'émission du lundi 25 mars. Ce soir-là, juste après une séquence sur Mylène Farmer, Hanouna annonce qu'on "va moins rigoler" avec "le buzz du jour".

Sur le plateau, on retrouve les mêmes chroniqueurs qui commentent les faits divers depuis des mois : Gilles Verdez (celui qui d'habitude joue le rôle de gauchiste de service), Valérie Bénaïm (qui est la moins virulente des chroniqueuses dans les séquences faits divers) et ceux pour qui la justice est beaucoup trop laxiste : Raymond Aabou (le plus virulent, favorable à la peine de mort), Géraldine Maillet (contre le laxisme et pour la tolérance zéro des fichés S), Danielle Moreau (rarement la dernière à réclamer plus de fermeté), mais aussi Guillaume Genton, Jacques Cardoze, Kelly Vedovelli et Bernard Montiel.

Trois jours après l'attentat contre la salle de concert Crocus City Hall près de Moscou le 22 mars, qui a fait au moins 144 morts, Hanouna lance un débat résumé ainsi en bandeau : "Images choquantes des terroristes présumés de l'attentat de Moscou : doit-on afficher les terroristes ?"

Les termes du bandeau laissent penser que les chroniqueur·euses vont débattre du bien-fondé d'exhiber des terroristes qui ont été battus et torturés. Mais dès la première minute du débat, on comprend tout de suite que ce n'est pas ça le sujet.

"Est-ce que ça vous choque, ça vous ?", demande Hanouna à Gilles Verdez. Lequel répond que non, car "les exhiber, c'est aussi montrer qui ils sont". Sauf que le chroniqueur n'a pas compris la question : "C'est pas ça que je dis, c'est la torture", le relance Hanouna, sans formuler explicitement la question. Mais on comprend tout de suite qu'il souhaite savoir si Verdez est choqué par la torture. "Non, il faut les faire parler. Je suis désolé, je suis peut-être brutal…", répond le chroniqueur. "Moi je suis d'accord avec vous", lui répond Hanouna. Les termes du débat sont posés.

Un "débat" qui ne dit pas vraiment son nom et qui n'est pas évident à suivre, encore moins à scripter : la plupart du temps, les neufs chroniqueur·euses et Hanouna ne finissent pas leurs phrases et se parlent les un·es sur les autres. Pourtant, en tendant bien l'oreille, quasiment tous les chroniqueur·euses vont faire quelque chose qu'on ne pensait pas possible à la télévision française, en 2024 : afficher une forme de complaisance vis-à-vis de la torture.

Géraldine Maillet, par exemple, n'est pas choquée par ça : "Je ne suis choquée que par les vidéos des terroristes. C'est la seule chose qui me choque." S'agissant de la torture, c'est compliqué de se prononcer pour elle, car voyez-vous, "le problème aujourd'hui, c'est que nous, on parle de notre point de vue nous de démocratie extrêmement faible, avec une justice extrêmement laxiste (...) On condamne tous les soirs notre justice qu'on trouve trop lente. On a un sentiment d'impunité. Donc c'est compliqué pour nous de se positionner par rapport à ça." Bref, c'est compliqué de dire si c'est bien ou pas la torture, vu qu'on est des faibles.

Poussant le raisonnement un peu plus loin, Maillet voit tout de même un petit point négatif à cette pratique : "Je me dis qu'à cause de la torture, on peut aussi dire n'importe quoi." Heureusement, dans ce cas précis, Hanouna rappelle que là, "il y avait peu de doute" sur leur culpabilité. Grave ou pas grave, donc ? "Ce qui peut être grave dans la torture", c'est quand "on te torture pour savoir si t'as fait quelque chose", répond Kelly Vedovelli. Sauf que là, comme il y a les vidéos de la tuerie, bah, vous pouvez en déduire sa réponse.

Au cours du "débat", Hanouna loue la rapidité de la justice russe : "Là-bas, c'est tribunal direct. Ils les font avouer, et tribunal direct." Ce qui, hélas, n'aurait pas été possible chez nous : en France, "ils seraient présumés innocents" (Maillet), "il aurait fallu des avocats, des procès" ce qui prendrait au moins "un an, le temps de savoir si c'était eux" (Aabou). Bref : que de temps perdu. Alors qu'une petite torture, des aveux, et hop, au tribunal direct.

Dit autrement, par Guillaume Genton : "C'est vrai que c'est intéressant de voir qu'il y a d'autres justices qui ne s'embêtent pas avec les notions de présomption d'innocence quand les faits sont avérés. Ils ont été filmés, pourquoi s'embêter avec ça, pourquoi faire perdre du temps, pourquoi ne pas venger un minimum les victimes, même si c'est impossible (...).  C'est beaucoup plus logique de faire ça que d'attendre deux ans pour faire le procès. Dire que ces gens-là sont présumés innocents, c'est insupportable. Si on sait, si on a les vidéos, moi je préfère qu'il y ait ça que de la présomption d'innocence".

De son côté, Danielle Moreau pense que montrer des terroristes qui ont été torturés, ça peut servir d'exemple : "Moi je pense que quand on voit le sort qu'ils ont, certains autres potentiels terroristes hésiteront peut-être à le faire".

Mais de quoi parle-t-on ? Hanouna et ses chroniqueurs vont préciser un peu les tortures, par bribe (aucun ne prononcera une phrase complète) : "Ils lui auraient coupé le sexe", "enlevé un œil et coupé une oreille (...) et la faire bouffer", "arraché une paupière". Hanouna, fataliste : "Ça, en France, c'est impossible les gars, je vous le dis hein, ne croyez pas. Je ne dis pas que c'est bien, mais en tout cas, c'est impossible."

Rappelant que les Américains ont pratiqué la torture, Jacques Cardoze déclare d'ailleurs que "la torture, c'est quelque chose d'abominable". Il est aussitôt repris par Hanouna : "Non mais moi, je vais te dire. Il n'y a même pas de débat, c'est eux qui ont torturé des gens." La torture, c'est l'autre.

Si la torture, c'est pas super, donc, ça peut être utile. N'est-ce pas, Vedovelli ? "Ces gars-là, ils sont prêts à mourir. Mais est-ce qu'ils sont prêts à souffrir comme ça ? Donc peut-être que ça sert à quelque chose de montrer la torture comme ça."

Pour Cardoze, exhiber ces terroristes tuméfiés, ça aurait même une petite dimension pédagogique : "Il s'agit de lutter contre les fake news et contre toutes les hypothèses. Le fait de les voir et de savoir quand même ce qu'il s'est passé, ce qu'ils disent, ça permet de graver quand même dans le marbre un certain nombre d'éléments d'information."

Finalement, sur le plateau, une seule chroniqueuse va réellement exprimer son désaccord au cours de ce débat. C'est Valérie Bénaïm, rebaptisée pour l'occasion "Valérie Dupont-Moretti" par Hanouna. Elle ne cautionne pas la torture, mais elle va avoir énormément de mal à l'exprimer face aux huit autres…

Valérie Benaïm : "L'honneur d'une démocratie, c'est de ne pas torturer, d'essayer de ne pas torturer. Donc évidemment qu'on a tous envie d'une justice…"

Hanouna : "Mais Benaïm, ils n'ont pas été torturé·es, les plus de cent personnes qui sont mortes ?"

Bénaïm : "Ce que je dis est inaudible, je l'entends bien."

Hanouna : "C'est inaudible, je vous le dis. C'est inaudible. C'est inaudible. C'est insupportable, Bénaïm. Insupportable ce que vous dites."

Bénaïm insiste : "J'ai suivi par exemple le procès du Bataclan et pour les familles des victimes, ça a été quelque chose d'absolument important".

Hanouna : "Ils auront un procès quand même, vous n'avez rien compris. Vous dites n'importe quoi, ils auront un procès quand même."

Bénaïm : "Nous, on n'a pas torturé Abdeslam, par exemple."

Cette phrase va faire vriller l'animateur pour qui Salah Abdeslam, l'un des terroristes des attentats de Paris, a des conditions de détention trop favorables : "Vous savez qu'Abdeslam était dans la cellule à côté de Patrick Balkany. Donc voilà ici ce qui se passe (...) on les met vraiment au même niveau. Donc continuez, Bénaïm, vous n'êtes pas la France du passé, Bénaïm, vous êtes la France qui est vraiment finie". 

Un peu plus tard, Hanouna en remet une couche : "La démocratie de Valérie Bénaïm, excusez-moi, moi ça me rend fou. (...) Je n'en peux plus d'entendre ça. En fait, ça me rend fou. Et je pense que les Français, le discours que vient de tenir Valérie Bénaïm, ils n'en peuvent plus de ça. Excusez-moi, ils n'en peuvent plus".

Cette séquence insensée a été repérée par Vu, le zapping de France Télévisions. À ce jour, elle n'a été reprise que par l'aspirateur à clic, le site Melty, sous ce titre : "TPMP : « Tu saoules », Cyril Hanouna agacé par Valérie Bénaïm". Oui, sur C8, quand on fait trois phrases pour critiquer la torture, ça "saoule". Ce soir-là, cette partie de TPMP a été suivie par 1,33 million de téléspectateurs. Combien parmi eux, se sont dit que Bénaïm "saoulait" un peu avec son histoire de démocratie ?

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