Trump la paix, et Trump la guerre
8 octobre 2025, Maison-Blanche. Marco Rubio, secrétaire d'Etat américain, vient annoncer à Donald Trump, alors en pleine réunion, que Israël et le Hamas sont "proches d'un accord"
. Il chuchote d'abord la nouvelle à l'oreille présidentielle, avant de lui glisser un papier que, selon Le Monde
, déchiffrent aussitôt les photographes présents dans la pièce.
Un collaborateur chuchote à l'oreille du président impassible. D'abord, chasser de son souvenir la reminiscence inévitable mais non pertinente, de George W. Bush apprenant, le 11 septembre 2001, alors qu'il visite une école de Floride, le choc du deuxième avion contre la deuxième tour du World Trade Center. C'est à dire apprenant que les USA sont "under attack"
, tout comme Israël est devenu "under attack"
le 7 octobre 2023. Une école contre la Maison Blanche, une nouvelle catastrophique contre une heureuse nouvelle : rien à voir. Rien à voir, sauf l'impassibilité du visage présidentiel, son mutisme, son interdiction de partager quelque émotion que ce soit, joie ou peur, avec le public -et devant des caméras.
Trump, lui, ne se trouve pas dans une école. Il préside une réunion de cabinet, doublée d'une conférence de presse devant des "journalistes patriotes" (Le Monde
), consacrée à la lutte contre les "antifas". Sa secrétaire à la Justice, Pam Bondi, y explique comment démanteler l'hydre "antifa" "du sommet à la base"
selon la même méthode que les gangs de narco-trafiquants. Depuis l'assassinat de Charlie Kirk, dont les "antifas" ont été instantanément tenus responsables par l'administration contre toute vraisemblance, cette entité aux contours incertains est promue ennemi intérieur numéro Un de l'Etat.
Sitôt la nouvelle connue, Trump a saisi son téléphone et s'est invité sur Fox News
. Comme le raconte le journaliste Philippe Corbé, qui fait vivre l'aventure trumpienne dans sa newsletter bi-hebdomadaire de Substack
, il y a tenu un discours exalté et décousu. Echantillon :“Gaza sera un endroit paisible, bien plus sûr. Évidemment, elle a été détruite, pas seulement par Israël… Cela dure depuis des années et des années… Certains disent que c’est un accord pour 3000 ans. D’autres disent 500. Mais beaucoup disent que c’est un moment historique, unique depuis 3000 ans. Rien ne sera jamais plus grand que cela.”
Au delà des hyperboles, une remarque de Corbé m'a frappé. "
Cette première étape de l’accord entre Israël et le Hamas, si elle se confirme, est un succès diplomatique réel,
écrit-il.
Et s’il parvient à faire aboutir le plan dans son ensemble, il faudra le dire aussi".
Pourquoi le préciser ? Cela pourrait aller de soi ! Mais j'ai l'impression que Philippe Corbé précise cela comme un avertissement qu'il s'adresse à lui-même, et peut-être aussi à la rédaction de France Inter
, qu'il dirige par ailleurs. S'efforcer de dire la réalité, toute la réalité, même ses aspects paradoxaux, inattendus, ceux qui contreviennent à nos propres présupposés, ceux qui nous dérangent, pourrait sembler une exigence élémentaire du métier. Mais tous les journalistes savent que rien n'est plus difficile que de penser contre soi-même.
Correspondant (excellent) du Monde
à Washington, Piotr Smolar a scindé ce moment en deux articles distincts. Trump-la-paix, et Trump-la-guerre-civile, qui crée de toutes pièces un ennemi imaginaire, et envoie l'armée pour terroriser les villes américaines démocrates. Ce sont pourtant deux aspects contradictoires de la politique du même président, qui entrent en collision à cet instant-là.
Donald Trump est un président illibéral, aux limites du fascisme, ou du techno-fascisme, une figure menaçante pour les libertés, pour la planète, pour la démocratie américaine, pour nous Européens, une racaille internationale pour qui la non-attribution à sa personne du Nobel de la paix (décerné demain vendredi) serait "un affront aux Etats-Unis"
. Et en même temps
, du fait même de sa vanité, de la peur qu'inspire la violence personnelle qui émane de lui, il aura peut-être contribué (restons prudents) à une avancée importante sur le "chemin" d'une paix éventuelle entre Israël et le Hamas. Y a-t-il deux Trump ? Se fondent-ils en un seul, et dans ce cas, de quelle nature est le lien entre les deux ? Rarement aura-t-il été si difficile de penser l'un et l'autre en même temps.
Le blog Obsessions est publié sous la seule responsabilité de Daniel Schneidermann, sans relecture préalable de la rédaction en chef d'Arrêt sur images.
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