Le retweet qui arracha le voile
Et Stanislas Guerini vendit la mèche. Dans l'histoire du lent effondrement du "barrage anti Le Pen", le 10 mai 2021 marquera peut-être une date. Une candidate suppléante aux élections départementales de l'Hérault, Sara Zemmahi, ayant posé pour son affiche électorale avec un foulard, le vice-président du Rassemblement national, Jordan Bardella, interpelle sur Twitter la ministre Marlène Schiappa (tweet posté à 19 h 21).
En réaction, une heure trente cinq plus tard, le délégué général de LREM Stanislas Guerini somme les candidats montpellierains de changer de photo, faute de quoi LREM leur retirerait son soutien.
Ce pourrait n'être que la nième escarmouche dans l'increvable feuilleton du voile, que nous suivons fidèlement depuis plus de trente ans. Mais c'est bien davantage, du seul fait que Guerini a retweeté Bardella. Pour les non-familiers du réseau social, permettez-moi un petit cours de "bonnes pratiques" sur Twitter. On ne retweete pas n'importe qui. Le retweet a un sens : il légitime le compte retweeté. Il le considère comme un compte crédible. Il est toujours possible de retweeter en se démarquant, mais il faut alors le signifier clairement, en exprimant sans ambiguïté son désaccord ou sa condamnation.
Un exemple : je suis abonné, sur Twitter, à plusieurs comptes à l'opposé de mes propres convictions - eh oui, mon sacerdoce consiste à tenter de ne pas m'enfermer dans la bulle de ceux qui pensent comme moi. Il arrive que ces comptes m'alertent sur des faits dont je n'aurais pas eu connaissance sans eux, et que je souhaite à mon tour faire partager à mes abonnés, éventuellement assortis d'une réflexion, ou même, ça m'arrive, d'une blague. Mais je m'efforce de résister au réflexe du clic immédiat, et d'aller rechercher une source "neutre". Hypocrite ? Peut-être. Mais il est, sur Twitter comme ailleurs, des hypocrisies salutaires.
Entre twittos politiques, il est une règle de fer : on se retweete dans le même parti, mais jamais au dehors, sinon pour polémiquer. Le retweet de Guerini est, à ma connaissance, une première. S'agissant d'une menace de sanctions sur sommation de Bardella, c'est encore pire : il n'exprime rien d'autre que la soumission. Sur le fond, ce n'est pas une surprise. Ceux qui n'ont pas encore compris que Macron espère arracher sa réélection en mordant sur l'électorat du Rassemblement national ont sans doute passé les derniers mois sur une autre planète. Mais cette stratégie reposait sur la fiction du "barrage" contre le RN. Pire qu'une faute morale (comme aurait presque dit Talleyrand), ce tweet, qui arrache le voile, est une lourde erreur.
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