La rumeur de la pizzeria
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La rumeur de la pizzeria

Y aura-t-il un avant et un après "Comet ping pong" ? Le Comet Ping Pong est une pizzeria de Washington.

Et c'est une pizzeria qui vit l'enfer, depuis qu'une campagne de plusieurs mois, sur des sites de fausses nouvelles, sur des forums, et dans la fachosphère américaine, l'alt-right, l'accuse d'être au centre d'un réseau pédophile lié à des proches de Hillary Clinton. Cette campagne souterraine n'avait pas transpiré dans les medias européens. C'est chose faite, depuis que le 4 décembre, un citoyen de Caroline du Nord de 28 ans, Edgar Maddison Welch, a fait irruption dans la pizzeria, a mis en joue un employé, et tiré plusieurs coups de feu à l'aide de son fusil d'assaut AR-15. Maitrisé par la police, il a expliqué avoir souhaité vérifier lui-même si des enfants étaient détenus dans les caves ou les arrière-salles de la pizzeria.

Comme souvent, cette longue rumeur a pris corps sur quelques minces bases factuelles. Parmi les mails du directeur de campagne de Hillary Clinton, John Podesta, révélés par Wikileaks, se trouve une conversation avec le propriétaire de la pizzeria, James Alefantis, à propos d'une soirée de levée de fonds en faveur de l'ex-candidate démocrate. Circonstance aggravante, Tony Podesta, frère de John, est un client régulier de la pizzeria. Autre circonstance aggravante (même si l'on ne sait pas très bien dans quel sens) Alefantis fut naguère proche de David Brock, fondateur de Media Matters, site de désintox pro-démocrate (excellente source, que nous citons régulièrement ici). Lequel David Brock, nous apprend incidemment le New York Times, est un journaliste anciennement conservateur, qui a tourné casaque. Dans le flot des mails Podesta, un internaute relève celui-ci sur le forum 4Chan. Et c'est parti.

L'interpellation de Welch est le premier effet concret, dans le réel, de cette irruption brutale de ce que les anciens medias appellent, depuis le Brexit, l'ère de la "post-vérité". Il ne faut certes pas tout mettre sur le dos des délires d'Internet. A Orléans, en 1969, de braves citoyens (et citoyennes) n'avaient pas eu besoin de Facebook ni de Twitter, pour propager une sourde rumeur assurant que des clientes étaient expédiées vers des réseaux de traite de blanches en Afrique, à partir des salons d'essayage de certains magasins de confection gérés par des commerçants juifs. Le fait-divers a fourni la matière au livre-culte d'Edgar Morin, "la rumeur d'Orléans".

Le plus intéressant, dans cette affaire du Comet ping pong, est l'impuissance des institutions à contrecarrer la campagne souterraine. Laquelle n'était pas passée inaperçue des grands medias. Le New York Times, le 21 novembre, y avait consacré un article long et détaillé (cité plus haut). Un modèle d'enquête journalistique précise, factuelle, complète. D'autres journaux traditionnels aussi. Ces articles n'ont apparemment rien arrêté, renforçant peut-être même la rumeur, sur le thème bien connu "si les medias à la botte le démentent, c'est que ça doit être un peu vrai". Quant aux géants du Web, d'après le New York Times, ils se sont signalés par une radicale passivité : ni Facebook, ni Youtube, ni Twitter, n'ont pris de mesure contre les forums ou les comptes, sur lesquels se développait la campagne, et où pululaient les appels au meurtre contre le gérant de la pizzeria ou ses employés.

Quoi qu'elle dise, quoiqu'elle fasse, quel que soit le sérieux de ses journalistes, la presse traditionnelle (ou "la presse des milliardaires", ou "la presse de la mondialisation heureuse" comme vous préférerez) a perdu la bataille contre les multitudes. A court terme, donc, ça ne sent pas bon. Et ensuite ? Guère d'autre espoir, timide, que celui de l'apparition de "tiers-medias", professionnels mais indépendants des pouvoirs financiers, eux-même portés par des communautés soudées et motivées, comme... au hasard, celui que vous lisez précisément en ce moment, dont le nom commence par arrêts, et se termine par images. Le chemin sera long.

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