"Je ne suis pas un homme" : du bon usage d'une panique
Le matinaute
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chronique

"Je ne suis pas un homme" : du bon usage d'une panique

Mais qu'est-ce qu'ils leur ont fait, les bisexuels, les pansexuels, les transexuels, les non-binaires ? Qu'est-ce qu'ils leur ont fait, pour s'attirer tant de haine, tant de sarcasmes ? Tout le week-end, la fachosphère s'est déchainée sur Twitter contre l'invité de notre émission, Arnaud Gauthier-Fawas. Tout le week-end, Twitter s'est délecté à se repasser en boucle le "sketch", "je ne sais pas ce qui vous fait dire que je suis un homme, mais je ne suis pas un homme".

Qu'est-ce qu'ils vous ont donc fait, tous ceux qui doutent de leur sexe de naissance ? Tous ceux, tous comptes faits, qui auraient préféré être de l'autre côté ? Ou des deux côtés à la fois ? Ou d'aucun côté ? Toutes les filles qui jouent à la guerre, et sont plus tard attirées par des femmes ? Tous les garçons qui jouent à la poupée, et sont plus tard attirés par des hommes ? Ou par des femmes. Ou par les deux. A la fois. Ensemble ou séparément. Tous ceux, toutes celles, qui, comme Océan, ont entrepris la longue transition d'une rive à l'autre. Ou même, sans l'avoir entreprise, veulent simplement "dire" qu'ils ne se reconnaissent pas dans la binarité ? Vous y voyez un caprice de gosses de riches d'une époque où l'on n'a plus ni faim ni froid ? Peut-être. Et alors ? Vous préféreriez le froid, et les cartes d'alimentation ? En quoi vous-même, les binaires, les sûr.e.s de vous, les bien dans vos braguettes, en quoi vous sentez-vous menacés ? Pourquoi cette panique ? Est-ce simplement la peur des toilettes neutres ?


Tout cela dit, et même si cette objection-là s'est étrangement moins exprimée sur Twitter ce week-end, ce choix d'un barbu, d'apparence blanche, de refuser toute appartenance au camp des hommes blancs, ce choix ne va pas de soi. Qu'il le reconnaisse ou non, Arnaud Gauthier-Fawas court bien moins de risque de se faire harceler dans la rue, que s'il était une femme. Il court bien moins de risque de se faire contrôler au faciès que si sa peau était plus sombre. Qu'il le veuille ou non, il jouit des privilèges de son sexe apparent, et de sa couleur de peau. N'y a-t-il pas une sorte d'entourloupe, ou de déni, à se proclamer dominé, alors que l'on présente les caractéristiques physiques du dominant ?

Tout cela dit, aussi, il faut bien reconnaître que notre invité s'est montré le pire porte-parole possible pour la cause qu'il souhaitait défendre. Quand Arnaud Gauthier-Fawas entre dans une boulangerie, et que la boulangère le gratifie d'un "bonjour Monsieur", il est peu probable qu'il lui lance son pain au chocolat à la figure, et lui reproche de l'avoir mégenré. Autrement dit, Arnaud Gauthier-Fawas sait qu'il envoie a priori tous les signes (prénom, voix, barbe, vêtements) d'une appartenance au genre masculin, agressivité comprise. C'est à lui, porte-parole d'un mouvement LGBT, potentiellement amené à intervenir dans la sphère publique, qu'il appartient d'anticiper ce malentendu, de la manière la plus pédagogique et, pourquoi pas, bienveillante.  Même dans le cadre d'un plateau de télé, dont je ne sous-estime pas la violence. Voilà quelques questions que j'aurais pu poser à Arnaud Gauthier-Fawas, si pris de court par le happening, je n'en avais pas perdu toute présence d'esprit. Peu importe : elles sont maintenant posées. Et tant mieux.


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