Antisémitisme : une étrange indifférence
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Antisémitisme : une étrange indifférence

Je rêverais de parler d'autre chose, mais le passé, décidément, ne passe pas. L'accusation d'antisémitisme, heureusement disqualifiante dans la vie politique française depuis 1945, ne doit être maniée qu'avec une extrême précaution.  C'est pourquoi l'accusation d'antisémitisme – enfin !– formulée contre Éric Zemmour par le grand rabbin Haïm Korsia est un moment important.

Interrogé le 28 octobre par Bruce Toussaint sur le fait de savoir si pour sa part il considérait Zemmour comme antisémite, Jean-Luc Mélenchon a répondu : "Qu’un juif soit antisémite est une nouvelle. Sur le moment, ça m’a fait sourire parce que j’aime bien ce type de paradoxe. Je me suis dit : “Mais comment c’est possible un truc pareil ? (...) Mais il me semble qu’il [le grand rabbin de France, ndlr] se trompe, reprend-il. Monsieur Zemmour ne doit pas être antisémite car il reproduit beaucoup de scénarios culturels : on change rien à la tradition, on bouge pas, la créolisation, oh mon Dieu quelle horreur… Et tout ça ce sont des traditions qui sont beaucoup liées au judaïsme. Ça a ses mérites ! ça lui a permis [au judaïsme, ndlr] de survivre dans l’histoire. Donc moi je crois pas qu’il soit antisémite. Enfin je sais pas. S’il est antisémite, il sera condamné. Il est raciste, ça c’est sûr, il a été condamné pour ça". Comparant aussitôt en riant son propre sort judiciaire à celui de Zemmour : "De même que moi je suis un rebelle officiel, puisque j'ai été condamné pour rébellion à 8000 euros et trois mois de prison avec sursis. Je suis un rebelle en sursis, Monsieur Toussaint".

Autrement dit (c'est moi qui traduis) : non, Zemmour n'est pas antisémite. Il est simplement conservateur, attaché aux traditions et à l'endogamie, comme tous les juifs. Badaboum. Devant le tollé suscité par cette essentialisation antisémite sur les réseaux sociaux et, en coulisses, chez de nombreux Insoumis, Mélenchon a publié sur Facebook un laborieux rectificatif où il reconnaît s'être mal exprimé, et apporte deux corrections (je résume encore) : 1) son analyse s'applique à toutes les religions. 2) Elle ne concerne pas TOUS les Juifs. Quant à Zemmour, il est bien "le porte-drapeau de la tradition antisémite de l’extrême droite française." Ouf !

Si l'épisode a soulevé autant d'émotion, c'est que ce n'est pas la première fois que l'accusation d'antisémitisme est lancée contre Mélenchon. Elle l'est d'abord, rituellement, presque à chaque fois qu'il évoque "l'argent", "la finance globalisée", "le financier", "le banquier" "Rothschild", ou même "la globalisation", "la mondialisation", etc. Tous ces procès sont, à mon sens, injustifiés. La rhétorique par allusion, le "on se comprend", est une spécialité de l'extrême droite française. Pas de Mélenchon, ni de la gauche en général.  La critique de la mondialisation, de la finance, de la banque en général, et de la banque Rothschild en particulier, comme d'ailleurs, sur un autre sujet, de la politique israélienne, ressortent du débat politique légitime et nécessaire. Sinon, où irions-nous ? Les Insoumis rappellent aussi la participation de Mélenchon à une marche blanche en mémoire de Mireille Knoll. Sa présence m'y a semblé parfaitement justifiée, de même, quelques années plus tard, à une manifestation de soutien à des victimes d'attentats islamophobes.

Il en va autrement de la sortie de Mélenchon sur Zemmour. Qui me rappelle d'ailleurs une autre étrange sortie à propos du Christ et du peuple déïcide. Dans une courte digression lors d'un débat sur les violences policières, Mélenchon avait lancé "Je ne sais pas si Jésus était sur la croix, je sais qui l'y a mis, paraît-il, ce sont ses propres compatriotes". Comment Mélenchon peut-il ainsi, incidemment, enfourcher certains des clichés les plus récurrents de l'antisémitisme (le peuple déïcide, la fidélité exclusive à la tradition, l'endogamie) ?

Plus loin encore, me revient une énormité de François Mitterrand au soir de sa vie, après la révélation de son amitié persistante avec René Bousquet, affirmant à Jean-Pierre Elkabbach (sans être contredit) que "le statut des juifs de Vichy ne concernait que les juifs étrangers". Comment Mitterrand, se vantant de l'amitié d'un Robert Badinter ou d'un Elie Wiesel, pouvait-il proférer une telle énormité (les juifs français étaient bel et bien visés par le statut) ? Ne pouvant soupçonner ni Mitterrand ni Mélenchon d'inculture historique, et pas davantage d'hostilité aux juifs en général, je n'y vois que deux explications possibles. Primo, une certaine irritation face aux pressions incessantes, sur le politique, des institutions autoproclamées de la communauté (soyons clair : le CRIF) dès lors qu'ils ne sont pas parfaitement conformes à leurs exigences (le président du CRIF Francis Khalifat avait par exemple estimé que Mélenchon "n'était pas le bienvenu" à la Marche blanche pour Mireille Knoll). 

Secundo, une relative... indifférence à la question. En soi, cette indifférence ne me choquerait pas. Il y a bien d'autres urgences, pour un chef d'État aujourd'hui, que le sort des juifs, et je suis le premier à rêver de parler d'autre chose. Mais à ce niveau de culture historique et d'ambition, cette indifférence est, pour reprendre la belle analyse non conclusive de Marc Bloch... étrange.


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Si Zemmour n'était pas juif

 

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