Olivier Faure en campagne : foutue bienséance !
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Olivier Faure en campagne : foutue bienséance !

Daniel Schneidermann est reparti en Normandie pour suivre Olivier Faure, le premier secrétaire du PS devenu, pour cette campagne, le second de Mélenchon. Candidat en Seine-et-Marne, Faure est venu soutenir les candidats PS-Nupes de Louviers (4e circonscription de l'Eure) et Caen-Est (2e du Calvados). Et il passe aux aveux : au fond, ce qui a manqué au PS, c'est la rage sociale, c'est la colère, c'est "sortir de la bienséance".

CAEN (Calvados) et LOUVIERS (Eure). "Est-ce que Mélenchon a raison de dire que la police tue ?" demande la journaliste de BFMTV à Olivier Faure. Le premier secrétaire du PS s'embarque dans un long tunnel, retrace l'histoire de cette jeune passagère tuée par un tir policier, quelques jours plus tôt, à Paris, explique les bienfaits de la provocation pour forcer le mur des médias. La journaliste patiente. Puis, imperturbable, relance : "Et vous, Olivier Faure, vous diriez que la police tue ?" Sans se démonter : "Je viens de vous répondre longuement, pour vous dire que..." Re-tunnel. 

À maligne, malin et demi :  Faure sait bien que ses tunnels sont inexploitables par BFMTV, qui ne décrochera donc pas sa petite déclaration choc. Dans l'intimité de la voiture qui le ramène de Caen à Paris, je re-relance. "Je comprends parfaitement pourquoi il dit ça, répond Faure. Mais je pense que dans sa position, aujourd'hui, alors que tout le monde doit pouvoir l'imaginer Premier ministre, il ne devrait pas. Et je le lui ai dit". Il le lui a dit dans le secret de la loge, juste avant ce grand meeting unitaire de Caen, le seul qu'auront tenu ensemble les deux alliés, ce 8 juin.

"On m'avait dit : «Il mange les enfants»"

Deux alliés ? Certes, mais l'un pèse tellement plus que l'autre ! À les voir tous deux dans cette soirée commune, le déséquilibre est si flagrant que c'en est presque gênant. Arrivé le premier, Mélenchon a été bunkerisé dans sa loge, pour éviter la foule joyeuse qui prend d'assaut le palais des congrès. Faure aimerait aller discuter avec les militants, mais "Jean-Luc voudrait te voir". Direction la loge, donc. Au meeting, Faure assurera la première partie, annonçant à la blague l'arrivée de la vedette ("On m'avait mis en garde. On m'avait dit : «Il mange les enfants»"), sans toutefois renverser l'asymétrie des blagues : au poids, Mélenchon vanne davantage Faure que Faure vanne Mélenchon. Comment peut-on bien vivre cette situation de loyal second, quand on a reçu en héritage le parti qui a donné deux présidents de la République au pays ? Aux côtés de Mélenchon, il se met invariablement en mode sourire. Attendri ou matois ? Va déchiffrer !

La voiture roule dans la nuit. Faure garde en tête les acclamations de cette grande salle de 500 places ("Je m'étais habitué à des salles plus petites") les "merci pour ce que vous avez fait !" de ce jeune public insoumis qu'il découvre depuis l'accord Nupes. "Pour plein de gens, je suis devenu le symbole de l'unité. Davantage que d'autres, parce que c'est moi qui fais l'effort". Justement, cet effort. Que lui coûte-t-il ? Inlassablement, Faure déroule le film de la désastreuse campagne Hidalgo, et de son incroyable conclusion, ce duo avec Mélenchon, qu'il découvre aussi. Comme d'habitude, il répond avec son cerveau, analytique, distancié, de syndic de faillite qui a tenté de sauver ce qui pouvait l'être après le saccage du quinquennat Hollande : les socialistes interdits de manifs. Mais tout de même, au fond des tripes ? Pas un petit pincement ? "Non. Si je vous réponds avec mon cœur, je pense à tous ces gens qui nous le demandaient, pour leur salaire, pour leur retraite. On ne pouvait pas les laisser plus longtemps attendre". On est bien obligés de le croire. 

"moi, je traduis en langage prolo"

Olivier Faure ne crie pas. C'est le bonheur pour les gens qui travaillent avec lui, mais c'est aussi tout son problème. Sur le chemin de Caen, on a fait étape à Louviers (Eure) pour soutenir Philippe Brun, le jeune candidat PS. Et voici Faure attablé au bistrot face à l'Insoumise locale, Lisa Moreau. Échange de gentillesses au-dessus des diabolos menthe. "La première fois qu'on te voit, t'as pas l'air d'une Insoumise." Rires. "J'ai rangé ma chaîne de vélo". Mais tout de même, "qu'est-ce qui pousse une maman de deux enfants à rejoindre les Insoumis, plutôt que les partis classiques, comme le PS et le PC ?" "Les orateurs ! répond-elle sans hésiter. Quand on sent quelqu'un qui a la même rage que nous, on adhère." Lisa évoque à mots couverts un "parcours chaotique", des années seule avec ses gamins, et même si aujourd'hui elle s'en sort, de CDD en CDD, il y a toujours sa Clio, dont la jauge d'essence est déglinguée, et pas un sou pour la faire réparer ("J'ai toujours un jerrycan à l'arrière, si je tombe en panne")

Énarque, magistrat au tribunal administratif, Philippe Brun a néanmoins porté le Gilet jaune voici deux ans ("le seul énarque Gilet jaune sans doute", s'amuse-t-il). Elle : "Il y a une photo ?" (oui, il y en a une, ci-dessous).  Tous deux forment un duo improbable, mais qui semble fonctionner. "Moi, je présente le programme de la Nupes avec une veste, c'est plus crédible" dit Brun, qui porte en effet une veste (du coup, je l'appelle Brun). "Et moi je traduis en langage prolo", complète Lisa (du coup, je l'appelle Lisa).

La rage. La colère. Cette sacrée colère, que Faure, cet honnête homme, a tant de mal à métaboliser, à exprimer. À Lisa, d'une voix sourde, au-dessus des diabolos : "Je comprends l'attraction de Jean-Luc Mélenchon. Quand on a la rage, c'est dur de le dire avec les mots de la politesse. C'est ce qui nous a manqué, au PS : sortir de la bienséance". Lui-même métis (sa mère est d'origine asiatique), il a certes été en butte au racisme pendant sa jeunesse orléanaise. Il a bien subi une "humiliante" année de chômage. Il a bien commis les fautes de goût d'un jeune "plouc" à la Rubempré, repéré par l'appareil rocardien dans les années 90, et monté à Paris. Mais, chômeur, il était indemnisé. Il n'a pas connu les fins de mois aux patates. 

"La trahison" de François Hollande

Sa vie, pour ce qu'il en raconte, a été exempte "d'accidents de la vie". Toute sa réserve de colère, il la dirige au karcher contre les éléphants de la Hollandie qui le harcèlent sans relâche depuis qu'il a pris le parti, en 2018. Ce soir encore, d'ailleurs, vient de tomber un jugement du tribunal de Paris, saisi par des militants hollandiens : l'accord Nupes n'a pas été exactement conclu dans les règles. Il faudra organiser une convention. "Pas un seul jour de répit". C'est soupiré, plutôt que grondé. Il a la colère soupirante. Et dessinatrice : est-ce pour rester toujours zen qu'il couvre de croquis le gros carnet noir qui ne le quitte jamais (j'ai le droit de le photographier, mais de loin) ? Foutue bienséance !

Car Faure n'a pas pris en traître son monde socialiste avec cet accord Nupes. Un beau jour de janvier 2019, le premier secrétaire du PS a commis le crime suprême en prononçant le mot de "trahison" dans un discours, à propos de Hollande et de sa déchéance de nationalité. J'avoue que je ne men  souvenais pas. "Normal, on voulait que cette déclaration soit solennelle, mais vos confrères s'en foutaient. Même après ça, j'ai dû me battre comme un chien pendant un an et demi pour être invité à la matinale de France Inter. Ils me répondaient «mais pourquoi on vous inviterait ? On a déjà Taubira, Cambadélis...»" Tout de même. Comment le système médiatique, moi compris, a-t-il pu rater le meurtre de Hollande par Olivier Faure ? Je vérifie. Je retrouve ce fameux discours de 2019. Oui, le mot "trahison" y figure bien, mais si prudemment, si bien noyé dans une énumération des acquis positifs du quinquennat Hollande. On ne tue pas avec un pistolet à fleurs. Foutue honnêteté !

Tout de même, quelle responsabilité personnelle se reconnaît-il dans le naufrage Hidalgo ? Une fois encore, il commence à rembobiner. Les dates. Les faits. Je l'interromps (pas facile, depuis l'arrière de la voiture, où je n'entends rien). "Mais votre responsabilité à vous ?" La question semble le désarçonner. Il semble avoir du mal à se vivre en responsable, et pas simplement en commentateur. "Si je vous réponds que j'ai participé au choix d'une mauvaise candidate, ça voudra dire que c'était une mauvaise candidate"Même apparente posture de spectateur à propos des candidatures dissidentes socialistes, rebelles à l'accord Nupes. 

"Ils ont pensé qu'ils n'avaient plus à réfléchir"

Au meeting, il a refusé de faire une photo avec le tract de Alma Dufour, candidate Nupes dans le département voisin, contre laquelle se présente un socialiste, soutenu par sa fédération départementale. Tout juste a-t-il accepté d'enregistrer une vidéo cryptique, respectant toutes les règles de la bienséance. Si on l'imagine tempêtant au téléphone contre les dissidents pour les ramener dans le rang, les menaçant d'exclusion, on se trompe lourdement. Quand je lui demande combien de fédérations PS sont en dissidence, comme celle de Seine-Maritime, la question semble le surprendre. Il compte sur ses doigts. Ça se compte sur les doigts des deux mains. Et vous allez sévir, prendre des sanctions ? "Vous pensez vraiment que beaucoup de dissidents vont être élus ?"

Soyons juste, la bienséance n'interdit pas l'espoir, ni même le calcul. "Ce que je fais, c'est à la fois désintéressé et intéressé." Il fallait en passer par ce moment d'expiation, cette traversée purificatrice du désert comme second de Mélenchon . Pour avoir une chance de redevenir fréquentable (c'est fait), et de ramener ensuite, un jour, éventuellement, le Parti au premier rang, ce parti qui s'était endormi. "Ils ont pensé qu'ils n'avaient plus à réfléchir, qu'il leur suffirait d'attendre les faux pas des autres pour que vienne leur tour"

Mais comment revenir ? Comment redevenir en phase avec l'époque ? Il ne voit pas trop de recette miracle, sinon d'absorber la revendication écologique en faisant marcher ensemble l'écologie et le social : "Les prédateurs sont les mêmes, les victimes sont les mêmes". Je suis sceptique. L'époque est à l'urgence climatique. Et l'urgence ordonne la radicalité, les phrases qui tuent, comme la police. Échange après la fin du meeting. Mélenchon :"On va avoir beaucoup de parlementaires. C'est un défi de les faire marcher ensemble. Ce sont des têtes dures." Faussement envieux, à Faure : "Chez vous, vous êtes beaucoup plus cadrés". Faure, dans un sourire : "On sera moins nombreux". Son fameux sourire. 

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