Sapir "frustré" par le livre d'Aude Lancelin
L'économiste souverainiste et proche de la Russie Jacques Sapir juge le livre de la journaliste Aude Lancelin, licenciée de L’Obs pour des raisons politiques (Lancelin étant jugée trop à gauche, comme elle racontait sur notre plateau), "utile" mais est pourtant resté sur sa faim. "Ce livre se veut une chronique des dérives du milieu journalistique française, note Sapir. On y voit la montée du pouvoir de l’argent sur une presse que l’on avait cru assainie après l’occupation, et qui se révèle, les années passant, de plus en plus sensible à une forme soit masquée, soit directe, de corruption. On y voit aussi comment le pouvoir, et particulièrement celui de François Hollande, intrigue pour avoir, par le biais de choix bien réglés d’actionnaires, une presse «à sa botte» […] Aude Lancelin a écrit un livre éminemment utile, et il faut l’en remercier chaleureusement."
Mais, toujours selon Sapir, "c’est aussi un ouvrage qui laissera son lecteur frustré, voire insatisfait. Car, Aude Lancelin a en fait écrit au moins quatre livres en un. […] En voulant les traiter dans un même ouvrage, Aude Lancelin s’expose au risque de l’incongruité de certains effets de style."
Par exemple ? "Le monde libre [évoque] les relations financières et actionnariales devenues si importantes dans la presse française. On peut contester l’étonnement, réel ou feint, à cet égard d’Aude Lancelin. On n’a pas les responsabilités, et l’expérience, [qui] furent les siennes sans avoir une idée assez claire de ces relations, des contraintes qu’elles font peser sur les journalistes. Quitte à aborder ce problème, et il fallait certainement le faire, il fallait aller jusqu’au bout, et nous donner sa réflexion sur l’aide d’Etat, sur sa possible réforme ou son éventuelle suppression."
"Confusion entre article d'analyse et article d'opinion"
Sapir regrette également que Lancelin fasse la "confusion entre l’article d’analyse et l’article d’opinion". "Je serai bien le dernier à reprocher à une (ou un) journaliste d’avoir une opinion et de l’exprimer, assure Sapir. Mais je ne peux admettre que cela soit fait en présentant cette opinion comme une analyse, en présentant ce qui n’est que la subjectivité d’un individu comme un fait de raisonnement. Aude Lancelin, ici, partage ce qui fait aujourd’hui le malheur de la profession de journaliste (et le bonheur d’un certain nombre de blogueurs), le fait de confondre les registres. On ne trouve aucune réflexion critique sur sa pratique qui a participé à cette dérive du journalisme français."
Enfin, Sapir porte un reproche plus personnel à la journaliste. Il manque selon lui un rappel dans Le monde libre : "Celui de la violence des attaques dont furent victimes les partisans du "non" au référendum de 2005, ou encore de la sortie de l’euro", avance Sapir, sans pour autant citer d'exemple précis. "Y aurait-il donc de «bonnes» et de «mauvaises» victimes de ces procédés de gangsters qui ont été indiscutablement employés contre Aude Lancelin ? […] Ces méthodes ne sont pas nouvelles ; elles ne datent pas de hier. L’esprit serait plus libre pour prendre la défense d’Aude Lancelin, ce que j’ai fait quand elle fut l’objet de ces basses manœuvres, si elle avait l’élégance de reconnaître qu’elle ne fut pas la première (et qu’elle ne sera hélas point la dernière) d’en être victime."
L’occasion de voir notre émission avec Aude Lancelin : "A L'Obs comme au gouvernement, il y a eu une purge"
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