Les photographes et Macron à Marseille : un "pool" pas cool
article

Les photographes et Macron à Marseille : un "pool" pas cool

Des photojournalistes s'inquiètent de la communication "verrouillée" en Macronie

Offert par le vote des abonné.e.s
Des photojournalistes dénoncent les dérives d'une gestion toujours plus stricte du "pool" de photographes accrédités pour accompagner le président : à Marseille, les journalistes "hors pool" sont tenus à distance, voire privés d'accréditation. "Soit tu es avec le président, soit tu ne vois rien," résume l'un d'eux.

Selfies avec des jeunes, café-gâteau avec les habitantes des quartiers nord, grands discours avec les policiers : la com' du président-candidat Emmanuel Macron, en visite pour trois jours à Marseille, a été pensée au millimètre près. Mais derrière l'image béton, les fissures : les photojournalistes locaux, accrédités en "pool" (groupe) restreint, ou carrément privés d'accès, dénoncent des consignes trop strictes et une tendance au contrôle qui frôle l'excès.

Photojournalistes pré-selectionnés

 Le président Macron serait-il obsédé par le contrôle de son image ? Ce 1er septembre, jour d'arrivée présidentielle dans la cité phocéenne, le photojournaliste marseillais Théo Giacometti, accrédité par Le Monde pour couvrir la visite de Macron, pousse une gueulante sur Twitter contre le "pool" de photographes prévu : "Seulement trois photojournalistes sont autorisés à couvrir l'événement. (...) Le président verrouille sa communication, tout le monde utilisera les mêmes images." Il s'inquiète pour la liberté de la presse, sous ce gouvernement qui "pousse toujours plus loin les limites et empêche les journalistes de travailler".

Principe du "pool" : pour éviter une trop grande masse de photographes, quelques-uns sont sélectionnés par les attachés de presse pour suivre de près le président pendant un certain temps - souvent pour une ou plusieurs "séquences", comme une conférence ou un rendez-vous dans un espace confiné. Le "pool" compte généralement un ou deux photographes d'agence de presse (AFP, Reuters...), et deux photographes de quotidiens, l'un national, l'autre local. Les autres photographes peuvent être accrédités, donc autorisés à suivre le déplacement, mais très loin du président. Ce qui inquiète Giacometti lorsqu'il tweete, c'est que sur les trois jours de déplacement présidentiel à Marseille, le "pool" est permanent et reste inchangé : ceux qui auront accès l'auront pour trois jours, et les autres n'auront rien. 

a a énervé tout le monde" explique-t-il à Arrêt sur images. Tout était poolé, il n'y avait aucune séquence libre de prévue, donc aucun photographe non poolé ne pouvait travailler." Quelques heures plus tard, volte-face après plusieurs plaintes adressées au "comité de liaison" chargé de la gestion des médias : le "pool" a finalement été modifié pour faire alterner les photographes accrédités, et Giacometti ainsi que d'autres collègues auront accès à quelques séquences. Ce ne sont donc pas seulement trois photographes qui ont eu finalement accès, de près, à la visite jupitérienne, mais une petite dizaine. "Tout est resté poolé mais les pools ont été attribués différemment, dit-il. Aucune place en dehors des pools, mais une avancée quand même." 

Un "excès de zèle" habituel à l'Élysée

Rien de très nouveau sous le soleil, marseillais cette fois : pré-sélections d'initiés et mises en scène photographiques sont monnaie courante en Macronie. En juillet 2020, nous vous racontions le détail d'une après-midi "séance photo" à l'Élysée, où les photojournalistes avaient "interdiction de prendre des photos avant et après la séance, qui pourraient donner une impression de fouillis et de non-respect de la distanciation sociale en ces temps de crise sanitaire". Les équipes macronistes étaient allées jusqu'à attribuer aux journalistes des places très précises et édicter des règles si strictes qu'un photojournaliste s'était plaint qu'il "n’existe plus aucune liberté de photographier" au palais de l'Élysée. Les équipes avaient reconnu auprès d'ASI "un excès de zèle".

Si Théo Giacometti a pu "sauver [s]a commande" pour Le Monde, grâce aux changements effectués par le comité de liaison pour inclure davantage de journalistes dans le pool marseillais, pour d'autres photojournalistes, c'est la douche froide.

"On nous a mis de côté et on nous a dit de ne pas aller voir les habitants"

Franck Bessière, photojournaliste indépendant basé à Toulon, avait lui aussi prévu de couvrir le déplacement de Macron à Marseille. Mais quelques heures avant l'arrivée du président sur la côte, Bessière a appris que son accréditation avait été rejetée. "Rien, même pas hors du pool !" s'est-il agacé. "Aucun de mes collègues marseillais n'est accrédité."

Contacté par ASI, Bessière oscille entre colère et lassitude. Il reconnaît, bien sûr, la nécessité d'organiser des pools dans certaines situations : une rencontre dans une salle de réunion exiguë, par exemple. "Mais tout autour, il faut s'organiser pour que tout le monde puisse bosser. Si on ne permet pas aux indépendants d'aller à des séquences hors pool, par exemple à une prise de parole sur pupitre comme au Congrès de la nature [auquel va assister Macron, ndlr], alors on ne bosse plus du tout !" En effet, si les journalistes radio peuvent se partager des sons, les photojournalistes ne peuvent pas revendre des photos qui ne sont pas les leurs. Tout le monde perd au change, explique-t-il : "Il y en a trois qui bossent, mais ils sont tous en pool, donc ensemble, donc ils ont tous les mêmes images." Pour la diversité des regards, on repassera.

Théo Giacometti regrette de ne pas avoir pu "faire d'image" lors de l'arrivée du président dans le port de Marseille, le 1er septembre : il n'était pas dans le pool. "Soit tu es avec le président, soit tu ne vois rien," résume-t-il. Aller parler aux habitants des quartiers nord réunis devant l'école Bouge, visitée par Macron ce 2 septembre, s'est révélé mission impossible : "On a été mis de côté, on nous a dit de rester là et de ne pas aller voir les habitants." Il observe une "volonté très claire de marketer, de communiquer." Mais uniquement en contrôlant l'ensemble du dispositif : "Hier, au dernier moment, il [Macron] a voulu aller à Bassens, dans les quartiers nord, alors la cité a été nettoyée au dernier moment. Ce matin, il n'a vu que les gens dans l’école, parce que ce n'était pas prévu de parler aux parents d'élèves. Il ne montre que ce qu'il veut."

Pire que sous Hollande et Sarkozy

Il y a quelques années, la couverture photographique d'une telle visite ne dépendait pas dans sa totalité du bon-vouloir des équipes présidentielles. Bessière a couvert les mandats Sarkozy et Hollande et se souvient : le système du "pool", qui a été introduit sous Sarkozy, existait déjà. La visite de François Hollande à Marseille avec le président mexicain d'alors, Enrique Peña Nieto, avait par exemple été "poolée" : les deux présidents avaient pris un bateau où la place était limitée. "Il y avait par exemple six séquences dont quatre poolées [accessibles uniquement au pool], et toute la presse accréditée pouvait assister aux deux autres. Donc quand on était indépendant, on avait moyen de bosser." Il soupire : "Petit à petit, ça a glissé." 

Depuis Macron, tout est "hyper maîtrisé", dit Bessière. "Ça a commencé dès sa campagne. Maintenant, même pour les ministres, ils font des pools !" Pendant le quinquennat de François Hollande, il existait déjà un "pool Matignon", mais il était très large et uniquement mis en place pour les espaces exigus. "En extérieur, à l'époque, c'était hors pool pour tout le monde. Maintenant, si Jean Castex passe, c’est tout poolé ! On ne peut plus bosser." Giacometti abonde : la conférence de presse prévue à Marseille le 2 septembre après-midi, près de la plage du Prado - en extérieur, donc - n'avait, par exemple, nul besoin d'être "poolée", selon lui. "Il y a de la place, donc aucune raison d'empêcher les photographes de venir. Et pourtant, tout est poolé. Les collègues qui sont photographes indépendants ne peuvent rien faire du tout." Bessière alerte : il n'est pas le seul, dans la profession spécialisée dans la photo politique, à "songer à arrêter", tant le travail devient compliqué. La promesse de la ministre de la Culture Roselyne Bachelot, annoncée le 30 août, d'aider les photojournalistes pigistes en lançant une "grande commande photographique" pour un budget de plus de 5 millions d'euros, le fait doucement rigoler. "Notre ministre Roselyne Bachelot devrait commencer par dire à la direction de la communication de l'Élysée de nous laisser bosser."

"Est-ce que le candidat Macron triera les journalistes ? 

Franck Bessière se dit "véritablement inquiet" pour l'élection présidentielle : "Est-ce que le candidat Macron va trier sur le volet les journalistes qui vont couvrir ses déplacements ?" Si tel est le cas, dit-il, des meetings du futur candidat, "on n'aura que la version officielle. C’est de la propagande, et ça me choque. Il y a une dérive de la communication, qui prend le pas sur le journalisme." 

Contactée, la direction de la communication de l'Élysée n'a pas pu répondre avant publication. 

Partager cet article Commenter
Manu, McSam et Carlito

 

Cet article est libre d’accès
En vous abonnant, vous contribuez
à une information sur les médias
indépendante et sans pub.

Déjà abonné.e ?

Lire aussi

"Tenue unique" : quand les médias paraphrasent Macron

Au lieu d'employer cet élément de comm', aux contours très flous, avec des guillemets

Presse et idéologie d'extrême droite: le précédent François Coty

Avant les médias de Vincent Bolloré, il y a eu les journaux du parfumeur corse François Coty

Gabriel Attal, influenceur-premier ministre, en guerre contre les écrans

"Le Figaro" au départ et à l'arrivée de cette hypocrite séquence médiatico-politique

Voir aussi

Ne pas manquer

DÉCOUVRIR NOS FORMULES D'ABONNEMENT SANS ENGAGEMENT

(Conditions générales d'utilisation et de vente)
Pourquoi s'abonner ?
  • Accès illimité à tous nos articles, chroniques et émissions
  • Téléchargement des émissions en MP3 ou MP4
  • Partage d'un contenu à ses proches gratuitement chaque semaine
  • Vote pour choisir les contenus en accès gratuit chaque jeudi
  • Sans engagement
Devenir
Asinaute

5 € / mois
ou 50 € / an

Je m'abonne
Asinaute
Généreux

10 € / mois
ou 100 € / an

Je m'abonne
Asinaute
en galère

2 € / mois
ou 22 € / an

Je m'abonne
Abonnement
« cadeau »


50 € / an

J'offre ASI

Professionnels et collectivités, retrouvez vos offres dédiées ici

Abonnez-vous

En vous abonnant, vous contribuez à une information sur les médias indépendante et sans pub.