Légion d'honneur refusée : Piketty n'avait pas été prévenu
Brève

Légion d'honneur refusée : Piketty n'avait pas été prévenu

Très peu écouté par nos dirigeants alors qu'il cartonne aux États-Unis, Thomas Piketty faisait néanmoins partie de la promotion du 1er janvier de l'ordre de la Légion d'honneur... Un honneur que l'économiste a refusé, comme il l'a indiqué à l'AFP. A l'origine de la proposition, la secrétaire d'Etat à la recherche, Geneviève Fioraso, a dû admettre que l'économiste, contrairement aux règles prévues, n'avait "pas été prévenu" de l'octroi de cette distinction.

Thomas Piketty, "rock star de l’économie", a refusé la Légion d'honneur alors qu'il venait d'être nommé chevalier dans la promotion du 1er janvier. Une nomination sur le contingent du Ministère de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche selon le Journal officiel. Le Monde précise que c'est "la secrétaire d'Etat chargée de l'enseignement supérieur et de la recherche, Geneviève Fioraso, [qui] était à l'origine de la proposition du nom de Piketty". Rappelons que cette distinction est demandée par vos proches et que vous ne pouvez en faire la demande en votre nom. Dans l'entourage de l'économiste, on assure que ce dernier n'était au courant de rien et qu'il a découvert l'information jeudi matin. Ce qu'a reconnu la secrétariat d'Etat dans la journée de jeudi.

L'an dernier, c'est le dessinateur Jacques Tardi qui avait refusé "avec la plus grande fermeté" le "hochet" créé par Napoléon, et déjà refusé par Camus, Sartre et Brassens. A noter qu'aux côtés du nom de Piketty se trouve celui de Monique Pinçon-Charlot, sociologue spécialiste des riches et qui n'a pas hésité, lors de l'Université d'été du Parti socialiste en 2013, à accuser les gouvernements – dont le nôtre – d'être complices de l'évasion fiscale.

Boudeur Piketty ? Si l'économiste n'a pas justifié en longueur son refus – il a seulement précisé à l'AFP que ce n'est pas "le rôle d'un gouvernement de décider qui est honorable" et que l'Etat "ferait bien de se consacrer à la relance de la croissance en France et en Europe" – son geste fait écho à une dépêche parue hier et reprise notamment sur le site de L’Expansion. L'agence revenait sur le succès de l'économiste et de son livre "Le capital au XXIe siècle" qui cartonne aux États-Unis... mais dont les conclusions sur les inégalités sont peu considérées en France voire totalement ignorées par nos dirigeants.

Pourtant, côté États-Unis, il existe une véritable "Pikettymania" que nous avions racontée en avril lorsque l'ouvrage de Piketty – un pavé de 960 pages en français et 700 pages en anglais – s’est hissé à la 16e position dans la liste des meilleures ventes du New York Times qui saluait par ailleurs dans ses colonnes, sous la plume de Paul Krugman, "le plus important livre économique de l'année et peut-être de la décennie". Mais, comme toute vedette, Piketty n’a pas toujours fait l’unanimité parmi la presse économique américaine : ainsi le Financial Times a critiqué les conclusions de l’ouvrage sur la montée inexorable des inégalités qui serait une conséquence inévitable du capitalisme. De son côté, l’hebdomadaire Bloomberg Businessweek s’est moqué de la Pikettymania avec une couverture inspirée des magazines pour ados florissantes.

Pour autant, Piketty est très écouté. La preuve selon la dépêche : "Piketty, déjà considéré auparavant comme l'un des grands spécialistes des inégalités, a été reçu par des conseillers de Barack Obama, adoubé par au moins deux Prix Nobel (Paul Krugman, Joseph Stiglitz), et a exposé ses thèses par Skype à Bill Gates". Est-il écouté en France ? Pas vraiment. Pour l’AFP, Piketty est "un économiste prophète partout sauf dans son pays". Et de souligner qu’il n'a jamais été "ne serait-ce que finaliste du «Prix du livre d'économie», attribué par un jury de journalistes et d'économistes, et qui a distingué cette année trois inspirateurs du programme de François Hollande (Philippe Aghion, Gilbert Cette et Elie Cohen), ainsi que l'ancien président Valéry Giscard d'Estaing". Ce dernier a en effet reçu le Prix spécial du jury pour son ouvrage "Europa, la dernière chance de l’Europe".

L’absence de Piketty à ce concours est-elle une surprise ? Organisé par l’association Lire la société et remis à Bercy au mois de novembre, le prix du livre de l’économie ne brille pas par son pluralisme. Selon la fiche wikipedia – qui n’est pas à jour – on trouve parmi les lauréats Alain Minc ou encore Michel Godet, expert indéboulonnable et habitué des plateaux de télévision comme le racontait le film "Les nouveaux chiens de garde". L’association est par ailleurs coprésidée par Marc Ladreit de La Charriere, patron de Fimalac, et Louis Schweitzer, président d’honneur de Renault et compte parmi ses membres l'ancienne ministre Valérie Pecresse, Brice Teinturier de l'Ifop, Alain-Gérard Slama, éditorialiste au Figaro, ou encore Caroline Fourest et Jean-Pierre Chevènement. Pas vraiment un repaire de gauchistes donc.

De même, comme le souligne la dépêche, "le gouvernement, en plein virage «social-libéral», n'a pas accueilli cette publication très chaudement". Au mois de juin, le ministre des finances Michel Sapin a carrément avoué ne pas avoir lu l’ouvrage le jugeant "trop lourd, trop gros". Mais la tiédeur des relations entre les socialistes et l’économiste ne date pas d’hier. Souvenez-vous : Piketty préconisait avant les élections de 2012 une fusion de l’impôt sur le revenu et de la CSG. Cette fusion était inscrite au programme de François Hollande – sans donner de précisions quant aux modalités de sa mise en place – avant d’être abandonnée et ce avant même l’arrivée des socialistes au pouvoir comme nous le racontions ici. L’économiste n’a pas caché sa déception suite à cet abandon et a taclé plus d’une fois le gouvernement et notamment lors de notre émission où Piketty avait souligné son improvisation permanente.

La "Pikettymania" va-t-elle finir par toucher notre gouvernement ? Sapin a fait savoir qu’il profitait des fêtes de fin d’année pour "s’attaquer" au livre de Piketty, et Emmanuel Macron, ministre de l’économie qui dit avoir lu l’ouvrage, s’est engagé à recevoir l’économiste d’ici les trois mois.

Mise à jour à 15h40 suite à l'annonce par Piketty du refus de la Légion d'honneur.

Mise à jour vendredi 2 janvier sur le fait que Piketty n'avait pas été prévenu.

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