Editorialistes US : la panique Sanders
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Editorialistes US : la panique Sanders

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Bernie Sanders, candidat revendiqué "socialiste" fait la course en tête aux primaires démocrates, qui débutent à peine. Au grand désarroi de certains chroniqueurs réguliers du New York Times et du Washington Post, régulièrement accusés par les soutiens du candidat d'être biaisés.

"Les médias n'arrêtent pas de tomber amoureux - de n'importe qui sauf de Bernie Sanders". Difficile de faire plus clair que ce titre d'un édito du Washington Post du 12 février. La chroniqueuse média du quotidien revient sur la manière dont "les médias" se sont enamouré des candidats, les uns après les autres, depuis le début de la campagne des primaires démocrates aux Etats-Unis (qui doivent désigner le candidat qui fera face à Trump fin 2020). D'abord une flopée de candidats aujourd'hui retirés, puis Joe Biden, "expérimenté, solide, empathique" - et qui aurait ses chances face à Trump. Puis Amy Klobuchar, qui peut se targuer notamment d'un soutien des éditorialistes du New York Times. "Et pourtant, jamais les médias mainstream n'ont tourné leurs yeux enamourés vers le candidat en tête, Bernie Sanders. Tout l'inverse", commente Margaret Sullivan. Et d'ajouter : "Si l'on regarde phrase par phrase, la couverture des informations n'a peut-être pas reflété de biais anti-Sanders, mais la mise en page de cette couverture - les choix de titre et les éléments mis en avant - l'a parfois fait"

S'il est rare d'entendre un journaliste du Washington Post en parler, la critique revient souvent dans la bouche des partisans du seul candidat "socialiste" de la campagne des primaires, et même dans les propos de Sanders lui-même. Des propos qu'il tenait déjà en 2016, lors de la précédente campagne, comme le rappelait en décembre de cette année-là Le Monde DiplomatiqueEn première ligne des médias attaqués, il y a quatre ans comme aujourd'hui, on retrouve... le Washington Post lui-même. L'édito introspectif du quotidien le mentionne d'ailleurs en passant, comme un exemple parmi d'autres : "Au Post, la chroniqueuse Jennifer Rubin a été tout aussi dure" avec Sanders. 

Elle n'est pas la seule. Nous avons parcouru les éditos des pages "opinions" du Washington Post et du New York Times consacrés à Sanders, entre la fin janvier et la mi-février. Des éditoriaux qui, comme ils tiennent régulièrement à le rappeler, n'engagent pas la rédaction, mais simplement leurs auteurs. Si tous les éditos traitant du candidat socialiste ne sont pas à charge, il en ressort une impression tenace : l'hypothèse que Sanders puisse remporter les primaires démocrates fait peur. 

Sanders, le "vieux grognon" qui se "ronge les ongles" et "Tousse"

"Les Démocrates ont peur et ils ont de bonnes raisons". La phrase se retrouve, sous différentes variantes, autant dans des éditos du New York Times que du Washington Post, ici, ici ou encore là. Mais qu'est-ce qui fait donc peur au Parti démocrate - et aux éditorialistes ? De la vingtaine d'éditos chacun publiés respectivement dans les deux journaux sur la période du 27 janvier au 20 février, on peut tracer quelques lignes de panique communes. A commencer par la personnalité même du candidat - et de son "armée" de soutiens : les "Angry Bros", les "potes énervés". 

Le 31 janvier, suite à une enquête du New York Times sur le harcèlement auquel se livrent certains soutiens de Sanders, un édito revient sur cette "armée en ligne qui ressemble plus aux soutiens de Trump qu'aucun des deux [Trump et Sanders] ne veulent l'admettre". "Aucun autre candidat démocrate n'a autant de soutiens vénéneux", insiste l'édito. Avant de dénoncer le "fanatisme" et "l'adoration" desdits soutiens et la faiblesse des condamnations de Sanders. Conclusion alarmiste du chroniqueur : "Il n'y a pas de raison de penser que [les "Angry Bros", sic] vont perdre de leur influence s'il gagne la Maison Blanche - tout comme la présidence de Trump a encouragé et renforcé beaucoup de ses pires soutiens. Est-ce là ce que le Parti démocrate veut ? [...] C'est le moment d'y réfléchir à deux fois".

Une comparaison avec Trump que le Washington Post n'hésite pas non plus à dégainer, dans un édito du 27 janvier, qualifiant la "campagne à la Trump" de Sanders de "catastrophe pour les Démocrates". Et opposant Pete Buttigieg, candidat "mature" qui saura unir le parti à Sanders, "incapable" qui ne sait que polariser ses adversaires.

A côté d'éditos qui appellent les autres candidats à insister sur son état physique (il a fait une crise cardiaque il y a quelques mois, dont il se dit aujourd'hui parfaitement remis), ou qui pointent son caractère de "vieux grognon rigide", le Washington Post s'est illustré le 4 février par un article "opinion" qui s'est amusé à décortiquer dans tous ses détails l'attitude de Sanders avant les résultats des caucus de l'Iowa (dont aucun résultat définitif n'a pu être publié). Le chroniqueur n'épargne rien à ses lecteurs : Sanders, nous décrit-il "commença par grignoter [l'ongle de] son pouce gauche, puis son index, puis le majeur. Il répéta le processus avec sa main droite, jetant les petits bouts mâchouillés dans la poubelle sous son bureau". Pire encore, nous raconte le chroniqueur qui dit avoir étudié "des heures durant" le "langage corporel" du candidat lors d'une session du Sénat : malade, Sanders "toussait et éternuait, mouchait son nez, dégageait sa gorge, respirait bruyamment, gonflait ses jours, avalait de l'eau et suçait des bonbons". Le tout sans prêter attention à ce qu'il se passe autour de lui, ou prendre des notes. Horrifié, l'auteur conclut : "En regardant Sanders, je ne pouvais m'empêcher de me demander : est-ce que c'est vraiment ce qu'il est en train de se passer ? Les Démocrates pourraient-ils vraiment désigner ce gars ?"

Sanders, ce "rêveur fou"

Derrière sa personnalité, c'est également son programme qui est visé. Un programme qui n'a pas de chances d'être appliqué, si l'on en croit les éditos des quotidiens américains. "Bernie Sanders ne peut pas gagner", clame ainsi le 31 janvier un chroniqueur du New York Times. Tout simplement parce que "les Etats-Unis n'ont jamais été un pays socialiste". Fin de l'histoire : le "vieux grognon" qui a pour lui sa "passion" et son "authenticité" peut remballer ses "rêves fous". Car Sanders est un grand rêveur : l'expression "pipe dream" ("rêve fou", "utopie") revient plusieurs fois sous la plume d'éditorialistes des deux quotidiens (son programme de santé universel, par exemple, est un "rêve fou", nous apprend le WP). Et pour certains, son programme écologique n'est rien d'autre qu'une "pensée magique".

Certains voient même en Sanders un véritable danger, à l'exemple d'un édito du Washington Post titré sur les "risques de la politique extérieure" de Sanders, rappelant que dans les années 1980, le couple Sanders est allé en lune de miel... en URSS (l'édito rappelle également les multiples soutiens aux "régimes socialistes autoritaires" en Amérique Latine il y a plusieurs décennies). Un édito du New York Times s'alarme lui du "chaos terrifiant" du Parti démocrate et du "pari sauvage" que représenterait une nomination de Sanders. "Les Démocrates perdront avec des fondamentalistes apocalyptiques", peut-on lire ce 7 février, référence à Sanders. Et de conclure : "Au rythme où vont les choses, le sort de la démocratie américaine pourrait bien se résumer à Bernie ou rien. J'envie ceux qui trouvent cette perspective plus exaltante que terrifiante".

Pour d'autres encore, l'affaire est entendue : face à Trump, Sanders n'a aucune chance. Inutile donc de voter pour lui, son "éligibilité" (en anglais "electability", le fait d'être un candidat qui a des chances d'être élu) n'étant pas imaginable face au président sortant. "Les écueils potentiels pour le Parti démocrate s'il désigne Sanders vont plus loin que la possibilité de perdre face à Trump à nouveau", lit-on ainsi dans une chronique du 5 février publiée par le New York Times. "Il est possible que le Sénat reste dans les mains des Républicains et [Sanders] menacerait les espoirs de réélection de plus de 40 Démocrates qui ont gagné contre des Républicains dans des districts modérés en 2018". Quand du côté du Washington Post, on se demande si Sanders ne serait pas "une catastrophe potentielle en cette année d'élection". Pour un autre édito du même quotidien, la question est d'ailleurs tranchée : "Bernie Sanders est un risque que l'on ne peut pas courir en cette période de péril national". Car pour gagner contre Trump, il faudra un candidat "qui ne s'aliène pas une grande partie de notre pays et ne met pas en danger notre économie. Sanders n'est pas ce candidat".

"Bernie Sanders a déjà gagné"

Malgré l'ambiance diffuse de peur panique, Sanders garde quelques soutiens dans les pages opinions des deux quotidiens. Ainsi, certains lui reconnaissent d'avoir de la "continuité" dans ses idées, une stabilité politique et idéologique que n'ont pas tous ses rivaux. D'autres tendent à minimiser les critiques tenaces sur la politique étrangère du candidat. Un chroniqueur du Washington Post, que la perspective d'un duel Sanders-Trump inquiète, reconnaît cependant que les propos du candidat démocrate "font émerger un homme politique structuré par son opposition aux interventions militaires à l'étranger mais aussi par la conviction que les Etats-Unis doivent faire tout ce qui est en leur pouvoir pour soutenir la démocratie et résister à l'autoritarisme". Un résumé bien loin des descriptions apocalyptiques d'un "socialiste" nostalgique des autoritarismes communistes. D'autres se demandent même si le duel Sanders-Trump tournerait forcément à l'avantage du président sortant.

Dans un article du 12 février, un chroniqueur du New York Times estime de son côté que "Bernie Sanders a déjà gagné". "Qu'il gagne la Maison Blanche ou non, il a déjà transformé le parti démocrate", résume-t-il, car il a imposé des thématiques et orientations politiques jusqu'ici absentes au sein du parti . Des propositions politiques qui sont commentées, approuvées, critiquées dans les médias... mais sur lesquelles d'une manière ou d'une autre, on ne peut pas faire l'impasse.

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