Reproduction sociale : "L'argent donne du pouvoir, et aussi de la beauté"

Arrêt sur images

Comment capturer en images ou en son la reproduction sociale chez les très riches et chez les très pauvres ? Comment capturer l'imperceptible transmission des codes sociaux, ceux qui vous assignent une place, parfois à vie, chez les dominants ou les domin(...)

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Comment capturer en images ou en son la reproduction sociale chez les très riches et chez les très pauvres ? Comment capturer l'imperceptible transmission des codes sociaux, ceux qui vous assignent une place, parfois à vie, chez les dominants ou les dominés ? Deux œuvres médiatiques, un documentaire d'Arte et un podcast d'Arte radio braquent les projecteurs sur ce qui devrait rester invisible ou inaudible. Deux documentaires dans cette émission avec nos deux invitées : Monique-Pinçon Charlot, sociologue, ancienne directrice de recherches au CNRS, spécialisée dans les très grandes richesses et Delphine Saltel, auteure du podcast "Que sont-ils devenus ?". Mathilde Larrère, notre chroniqueuse et maître de conférence à l'université de Marne-la-Vallée est également sur le plateau.

Les bonnes conditions

On s'intéresse d'abord au film Les bonnes conditions, réalisé par Julie Gavras, diffusé le 17 mai dernier sur Arte (et toujours visible en replay). La réalisatrice a suivi durant 13 ans le parcours de huit adolescents. Tous issus du lycée Victor Duruy, dans le très chic 7ème arrondissement de Paris. Des "filles de" et "fils de"… médecin, journaliste, directeur financier etc. Des enfants bien nés, donc, qui ont grandi dans un milieu très privilégié. Au fil des années, on découvre surtout les événements majeurs de leur scolarité (le bac, les concours des grandes écoles, les prépas). Mais aussi le poids des traditions et des valeurs bourgeoises dans leur choix de vie. "J'ai  beaucoup apprécié ce documentaire (...), réagit Monique Pinçon-Charlot. On voit bien dans ce film le poids des déterminismes dès la naissance, on voit bien que ces jeunes sont rattrapés par l'ordre établi." De son côté, Delphine Saltel a été "sensible"  "à la langue" avec laquelle ils racontent leur parcours et à "leur fragilité". "Ils ne sont pas que des spécimens sociologiques" souligne-elle. 

"La politique n'existe pas dans ces milieux"

Pour Mathilde Larrère, "le manque de politisation de ces jeunes" est "marquant" dans ce film. Effectivement, une seule séquence prend une dimension politique. Nous sommes alors en 2006, les élèves de Duruy sont en Terminale et racontent leur scolarité marquée par la mise en place du CPE, le contrat première embauche -une sorte de période d'essai de deux ans à destination des moins de 26 ans ; sa création a déclenché de grands mouvements dans les lycées et les facultés, forçant le gouvernement à retirer le texte. Mais pour un des élèves, ces étudiants n'étaient que "des moutons de Panurge" qui ne savaient pas pourquoi ils manifestaient. Rien de surprenant pour Pinçon-Charlot : "La politique n'existe pas dans ces milieux. La politique c'est pour nous, la classe moyenne, insiste-t-elle. Ces élèves du lycée Duruy sont dans la synthèse des intérêts de leur classe, c'est-à-dire qu'ils n'ont pas de question à se poser, ils sont les dominants." "C'est le seul moment qui donne à voir ces élèves dans le monde qui les entoure, renchérit notre chroniqueuse. Et ils ressortent les vieux poncifs sur les mouvements sociaux." Pour Saltel, ces jeunes sont en effet "focalisés sur leur parcours personnel". "Un des élèves raconte qu'il ne sort pas du 7ème arrondissement" rappelle-t-elle. "Peut-être la réalisatrice a-t-elle voulu montrer l'absence de politisation de ces jeunes". Notons ici que nous avons sollicité la présence de Julie Gavras sur le plateau, mais qu'elle n'a pas souhaité venir commenter son film.

La beauté des riches, une violence symbolique

Dans ce documentaire ou ceux de Monique Pinçon-Charlot, les riches ou ultra-riches sont approchés dans leur humanité. Ce qui a pour conséquence de susciter l'empathie chez les téléspectateurs, alors que ces riches sont aussi "les agents conscients ou inconscients" de la violence sociale remarque Daniel Schneidermann. Un paradoxe ? "L'empathie fait justement partie de la violence symbolique, de cette violence de classe, répond la sociologue. Non seulement l'argent donne du pouvoir, l'argent donne [aussi] de la beauté, les filles interrogées sont toutes très belles, elles parlent bien." Toujours est-il que Les bonnes conditions ou encore Voyage dans les ghettos du Gotha, film de Jean-Christophe Rosé (qui suit justement Monique Pinçon-Charlot) casse avec la représentation stéréotypée des riches, que l'on peut voir dans des émissions de M6 ou TF1. Images que décortique Pinçon-Charlot, qui explique combien il est difficile dans "les institutions de travailler sur les riches". "Tout est fait pour que vous ne travaillez pas sur les puissants, dénonce l'ancienne directrice du CNRS. Or, "les images des pauvres intéressent beaucoup les puissants", ajoute-t-elle. "A l'inverse, dans l'Histoire, on a toujours travaillé sur les puissants", observe Mathilde Larrère.

Podcast "Que sont-ils devenus" ? 

Changement de décor avec le podcast Que sont-il devenus ?, réalisé par Delphine Saltel. Comme Gavras elle a enregistré les élèves à partir de 2003. Mais cette fois, il s'agit de collégiens d'un établissement classé ZEP, situé dans la cité  Pierre Collinet, à la périphérie de Meaux (Seine-et-Marne). Elle décide de les retrouver plus de 10 ans plus tard pour savoir ce qu'ils sont devenus. On commence par écouter sur le plateau Ange, "son pire souvenir de prof". Quand elle le revoit 14 ans plus tard, il finit par la surprendre. "Moi j'allais enseigner dans ce collège en pensant qu'il fallait les arracher à ce ghetto, explique Saltel. Et qu'il fallait qu'ils échappent à la reproduction sociale mais c'était très naïf de ma part." "Ce podcast est important car il donne la parole à une partie de la population qu'on entend peu dans les médias, relève Larrère. A l'exception de l'émission Périphérie d'Edouard Zambeaux [sur France Inter] qui a été ensuite retirée de la grille mais qui, heureusement, va réapparaître sous forme de podcast sur internet à la rentrée." Pour sa part, Pinçon-Charlot décrypte à travers ce podcast l'existence du "capital social dominé".

Parcoursup : aggraver la reproduction sociale ?

On ne pouvait pas terminer l'émission sans revenir sur Parcousup, déjà abordé la semaine dernière sur notre plateau. Les premiers résultats d'admission dans l'enseignement supérieur public sont tombés le 22 mai dernier. Et dès le lendemain, syndicats, élus, et lycéens ont accusé la plateforme de discrimination à l'égard des jeunes des départements défavorisés, comme on va le voir dans un reportage de France 2. Est-ce que Parcoursup aggrave le processus de ségrégation et de relégation sociale ou est-ce que Parcoursup le rend plus visible ? "Rendre plus visible, c'est aussi aggraver, répond Larrère. On dit à des étudiants qu'ils sont classés à la 8 00o ème place en liste d'attente, et on leur dit vous allez attendre que tous les autres choisissent, ce qui n'était pas le cas avant le système. C'est d'une violence terrible à quelques jours du bac." Pour Pinçon-Charlot, il s'agit aussi "d'une aggravation sans précédent" :  "Il faut voir les quatre critères de Parcoursup, c'est autonomie, méthode de travail, esprit d'initiative et gout d'entreprendre et ça, ça correspond à monsieur Macron, à l'individualisme néolibéral." La sociologue fait référence ici aux critères contenus dans la fiche avenir des lycéens. Elle  permet de compléter les vœux d'inscription qu'ils ont formulés sur Parcoursup avec l'avis des professeurs sur leurs choix d'orientation, en appréciant justement chacun des ces critères. Notons néanmoins que le "goût d'entreprendre" ne figure pas parmi ces critères, comme on peut le voir dans la fiche ci-dessous.

On termine l'émission avec une chronique de Mathilde Larrère sur les graffitis dans l'Histoire, de l'Antiquité à l'occupation de Tolbiac, en passant par le 19ème siècle et, bien sûr, mai 68.


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