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La Révolution arabe et ses mensonges

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Morale de l’Histoire : pour transformer le réel, invente-le d’abord - et ne dis pas que tu l’inventes. Mets le souci du Bien au dessus du souci du Vrai – en nos temps obsédés de transparence et de vérité, ce renversement philosophique est pour le moins... révolutionnaire. Se confirme au passage cette intuition, que l’expérience privée peut déjà faire éprouver dans un bizarre frisson hésitant entre la jouissance et la honte: que c’est à coup de mensonges que la liberté se conquiert.

Judith, vous partez de l'hypothèse qu'une révolution qui instaure une démocratie est un Bien, indépendemment de comment elle le fait. Le but visé, certainement, est la mise à bas d'un tyran, qui pille, humilie et tue son peuple. Au fil des âges, différentes stratégies ont été tentées pour se débarasser du tyran. A Rome, des poignards ont (maintes fois) transpercé César, en France, la guillotine a raccourci le roi. Mais ni Rome ni la France ne se sont débarassées du réel problème : le monarque.

La révolution n'est donc pas à penser comme un changement institutionnel seul, mais une transformation de la société qui vise à l'émancipation des individus.

Vous placez la situation en Tunisie dans un conflit de valeurs : le Bien contre le Vrai. Mais ce sont là deux absolus, et dans votre équation, vous n'avez réellement d'absolu que la violation du Vrai.

Le Bien n'est pas dans l'instauration d'un régime démocratique. Ceci n'est qu'un mieux. C'est un mieux important, qui mérite qu'on se batte pour lui, mais ce n'est pas le Bien. Le Bien, c'est la vertu morale, une émancipation complète, une capacité à juger et à agir en conscience pour soi et pour le bien commun en toute circonstance. Ce bien commun est le degré de capacité de chacun à s'émanciper, l'espace dans lequel chacun peut évoluer pour se cultiver afin d'être (ou non) partie de cette communauté humaine entièrement émancipée. La démocratie est en effet une étape dans l'émancipation, mais elle n'est qu'un cadre institutionnel qui ne suffit en rien -- on voit dans les démocraties européennes comment le cadre institutionnel peut être détourné, et où ce cadre sert d'alibi à la spoliation des ressources et la privation des libertés. Une révolution institutionnelle seule n'est donc pas le Bien.

Faut-il condamner le mensonge qui a permis cette révolution (si le cas est avéré) ? Oui. Tout mensonge est nocif. Toute manipulation de la vérité est une violence faite à l'émancipation de chacun, une défiance envers la capacité de chacun à se soulever pour des causes justes, donc un ennemi du Bien. Ne pas le condamner, c'est légitimer toute autre action du même type. On dira "oui mais l'intention est bonne". C'est un argument sans intérêt, car toute intention est évidemment bonne, pour celui qui l'a.

Faut-il revenir en arrière ? Non. Les événements, qui dépassent les choix individuels de ceux qui ont manipulé l'opinion, ont fini par aboutir à une opportunité de mieux pour tous. La situation actuelle n'est pas le fruit du mensonge seul, mais résulte aussi de l'action de milliers d'autres personnes.

Rien n'est gagné en Tunisie. Il n'est pas bon d'absoudre la manipulation de l'opinion, d'où qu'elle vienne, car elle est une insulte à la capacité de chacun de se mobiliser pour des causes justes. Le résultat de cette action, néanmoins, se trouve avoir apporté un mieux (en corrélation mais sans détermination de la manipulation initiale). Il n'y a là aucun conflit d'absolus.
Je trouve ça un peu fort de dire que toute cette histoire (révolution tunisienne printemps arabe, etc) repose sur un mensonge sous pretexte qu'un mensonge en a été un déclencheur.

L'histoire de Mohammed B est peut être une invention, mais le mal-être, le ras le bol, la misere et la colère des tunisiens eux sont bien réels, et existaient bien avant. De plus c'est bien ce ras le bol, qui a fait que le mouvement a pris et perduré, les gens ne sortaient pas manifester juste pour la memoir de Mohammed B, ils le faisaient parce qu'ils avaient tout un tas de bonnes (et justes) raisons de le faire.

En gros ce que j'essai de dire, et pour reprendre encore un autres expression populaire, le fait que la goutte d'eau qui a fait déborder le vase était en réalité une goutte d'huile, ne devrait faire oublier que pour arriver à ce résultat le vase devait déjà être bien rempli et depuis un bon bout de temps.
"Le Capitaine a déjà évoqué par ici cette révélation qui m’a littéralement subjuguée quand je l’ai découverte dans mon Libé de samedi, sous la plume de Christophe Ayad (grâce lui soit rendue pour ce travail journalistique absolument remarquable): la Révolution tunisienne, et par extension le Printemps arabe, ont pris leur essor sur… une fable" J. Bernard

Il y a mieux à faire en matière d'enquète. Vous connaissez le grand mouvement d'opinion quasi révoutionnaire qui s'est produit autour de Jerusalem il y a un peu plus de 2000 ans. Est on sûr que le crucifié (celui du milieu) était fils d'une vierge ? Avait-il un diplôme courant ou d'études supérieures ? Quid de ses relations avec les prostituées? Quelles magouilles avec le grand commerce de l'époque ? Etait-il vraiment réduit à faire des tours de passe- passe pour nourrir ces collaborateurs ? Cette révolution s'est-elle répandue en raison d'un mensonge médiatisé ? Si oui, à qui profite le crime ?
Est-il bien nécessaire de chercher à jeter le discrédit ou la suspicion sur les Tunisiens révoltés ? Est-ce pour aider ceux qui refusent d'apporter la solidarité de la France à ceux qui croient encore en elle ?
'T façons, Judith, la vérité, c'est très surfait.
Les gens vivent mieux dans le mensonge. Ou plus précisément, dans le non-dit.
Jusqu'à ce que ça pète.
Comme disait le Docteur House, comédien de série à ses heures:

"les fumeurs qui arrêtent de fumer ne sont pas guéris, c'est qu'il ne vivent pas assez longtemps pour reprendre la cigarette "

Le principal, c'est d'être persuadé d'être guéri. On peut au besoin se raconter de jolies histoires.



Bon faut dire qu'un ami journaliste infiltré m'a aussi rapporté l'une des conversations quotidiennes de cette brillante équipe médicale. En voici un extrait:

* House : Il me faut un avocat !
* Wogler : Qui avez-vous tué ?
* House : Personne, mais il n’est que 11h !
* Fille : Les garçons ne peuvent pas me serrer trop longtemps sinon j’ai trop chaud
* House : Les femmes ne peuvent pas me serrer trop longtemps car je ne les paye que pour une heure
* Wilson : Je vais te dire quelque chose : le syndrome d’Asperger est une forme atténuée d’autisme. Les sujets présentent typiquement de graves difficultés de communication et un repli sur soi. Des problèmes pour accepter les conventions sociales et une forte réticence à ce que l’on change leur cadre de vie, leur routine, ou leur moquette !
* Cuddy : House ne souffre pas de ça ! Le diagnostic est beaucoup plus simple : c’est un con !
* House : Si vous parlez à dieu, vous êtes croyant. S’il vous répond c’est que vous êtes schyzo !
* Cameron :On va pas laisser le bourreau dans la même chambre que la victime !
* House : Y a des fenêtres !





Merci pour cette chronique, Judith.
Je ne sais pas ce qu'il y a de féminin dans l'article, mais je connais son genre: celui que j'adore! Brillante analyse du rôle de la fiction, de sa capacité à changer le monde par une relation complexe au Vrai, ou bien à décevoir.
Merci beaucoup Judith Bernard
J'ai la solution à tous les problèmes soulevés par Judith !

Vous connaissez la fable du laboureur et ses enfants, de La Fontaine ?

"
Travaillez, prenez de la peine :
C'est le fonds qui manque le moins.
Un riche Laboureur, sentant sa mort prochaine,
Fit venir ses enfants, leur parla sans témoins.
Gardez-vous, leur dit-il, de vendre l'héritage
Que nous ont laissé nos parents.
Un trésor est caché dedans.
Je ne sais pas l'endroit ; mais un peu de courage
Vous le fera trouver : vous en viendrez à bout.
Remuez votre champ dès qu'on aura fait l'août.
Creusez, fouillez, bêchez, ne laissez nulle place
Où la main ne passe et repasse.
Le Père mort, les fils vous retournent le champ
Deçà, delà, partout ; si bien qu'au bout de l'an
Il en rapporta davantage.
D'argent, point de caché. Mais le Père fut sage
De leur montrer avant sa mort
Que le travail est un trésor .
"


Voila, donc la solution aux problèmes posés par Judith, c'est : est-ce que le laboureur a menti à ses enfants en leur disant qu'ils trouveraient un trésor en fouillant bien dans le champ ?
[quote=Judith Bernard]quel Mal sommes-nous prêts à faire pour permettre qu’advienne ce que nous jugeons Bien?

De grandes campagnes publicitaires fincancées par des appels sur internet.
Utiliser les armes (puisqu'on nous fait la guerre) des manipulateurs vampires de tous poils pour arriver à détruires leurs bases. Utiliser les techniques publicitaires, techniques de communication , construire des plans à longue échéance avec scénario de manipulation de l'opinion.

Qui me dit que j'ai raison, qui me dit que cette méthode n'est pas aussi dangereuse que ce qui existe ?... alors restons comme nous sommes et subissons, les autres ne se posent pas autant de questions méthaphysiques. Il suffit de se mettre des garde-fous. C'est à constuire.
Actuellement notre seul pouvoir réside dans notre droit de grève et nos manif "bon enfant" ... à qui ça fait peur ? Ça sert uniquement la soupe à ce que je combats. (grèves = flemmards casseurs , manif = amusement, fête populaire, enfantillages).
Il y a au moins une erreur factuelle dans cet article de Libération : le mensonge qui a été inventé l'aurait été le jour suivant la mort de Monsieur Bouazizi.
Or, il est mort le 4 janvier après s'être immolé le 17 décembre. Et Ben Ali est parti le 14 janvier. Tout le monde est d'accord pour dire que la révolte part de Sidi Bouzid, après l'immolation.
Donc c'est après son immolation que le storytelling, exact ou pas, est parti.

Tout cela n'est guère professionnel de la part du journaliste de Libé. Cela jette le discrédit sur le reste de son article.

Quant au fait qu'il y a mensonge ou pas, et je me suis déjà exprimée dans l'autre forum à ce sujet, Si vous êtes dans la réalité, le discours pour galvaniser les troupes rend compte de la réalité, et la plupart des détails sont anodins. Il s'est passé cela, telle personne a agi ainsi, peu importe qui elle est, peu importe qu'elle soit un policier ou une policière, c'est un membre des forces de l'ordre, et ça n'a pas d'importance. Cela ne change pas grand-chose à sa signification. La réalité ne choisit pas. Peu importe.

Par contre, si vous désirez raconter une histoire qui galvanisera les troupes, plus rien n'est anodin.
La Tunisie était le plus avancé des pays en matière de droits de la femme. L'avortement y est autorisé. Les femmes commençaient à émerger, à être convenablement éduquées, et prenaient du poids dans la société tunisienne, tout doucement. Ben Ali, gâteux, avait laissé le pouvoir de fait à sa femme Leïla Trabelsi et à la famille de celle-ci.
On peut penser que les hommes étaient effrayés par ce pouvoir grandissant des femmes. Ce n'est pas réservé à la Tunisie, ici aussi, en France, on voit bien que c'est un problème, sauf qu'on a quand même davantage avancé sur ce terrain depuis quarante ans.

Dès lors, dire qu'un homme s'est suicidé du fait de l'abus de pouvoir flagrant d'une femme pour indigner les troupes et leur donner de l'énergie, ça a une signification si c'est inventé. D'autre part, l'homme n'avait pas de travail, et la femme en avait. Aïe.

L'histoire de la révolution tunisienne de ce fait ne se lit plus du tout de la même façon.

Aujourd'hui, tous les observateurs disent qu'en juillet, lors des élections de la constituante, le seul parti qui aura suffisamment eu le temps de se structurer et de dominer la constituante serait le parti Ennahda, le parti islamiste. S'ils réussissaient leur coup, cette constitution pourrait bien être défavorable aux femmes. D'ailleurs, les Tunisiennes en ont bien conscience.

A la lumière de cet aimable mensonge, on pourrait imaginer que ça n'a rien d'un hasard, et que ce qui a germé est ce qui a été semé dès le début.

Les mensonges des humains en disent plus sur eux que la vérité.
Le péché originel en somme.
Kaliayev doit mourir car le monde idéal qu'il veut après la révolution n'a pas de place pour les assassins.
Pour composer avec la vérité afin d'obtenir un bien il faut un cynisme qui parait peu compatible avec les idéaux d'une juste révolution ou une certitude sur l'aboutissement qui n'appartient qu'aux fanatiques. Pour les autres, le doute du "jusqu'où ?" les empêchera de faire le premier pas sur une voie qu'ils devinent bien trop sombre.
Les révolutions ne se font pas avec des gentils, même si eux savent où est le bien, elles se font avec des méchants qui sont dans des camps différents.
Une histoire un peu semblable, quoi que sans mensonge : Rosa Parks n'est pas la première femme noire à avoir refuser de se lever dans les bus de Montgomery ; simplement, les autres avaient des défauts (grossesse hors mariage, parents alcooliques, etc.), et les leaders des droits civiques, qui attendaient leur symbole, voulaient quelqu'un d'irréprochable.

Je soupçonne que ce qui vous frappe, dans cette histoire, ce n'est pas tant le mensonge en lui-même que le changement de perspective qu'il implique : à savoir que le mythe de la révolution, le messianisme du soulèvement populaire causé spontanément par l'événement inattendu, est en fait faux, qu'il cache le travail, la fabrication par des gens convaincus qui ont accommodé les événements comme il le fallait et causé l'éruption. Nous ne sommes plus dans l'ère de l'épopée mais dans celle du roman, et le bien, la justice et la vérité s'écrivent sans majuscule.

Le mythe de l'émancipation ne viendra pas aujourd'hui effectuer notre rédemption collective par la grâce du peuple et nous sortir des remous de l'Histoire pour faire advenir le règne du Bien commun : il faudra nous accommoder, là aussi, du moyen terme et des niveaux de gris qui font nos vies.
Mais après tout, voir la Tunisie et sa révolution comme ce qu'elle sont et non comme de simples symboles, n'est ce pas la meilleure façon de leur rendre hommage ?
"Et pour tous les idéalistes du monde, comment admettre que le projet révolutionnaire, censément fondé sur les valeurs de Justice et de Fraternité, s’incarne inauguralement dans un mensonge injuste et fratricide?"

L'idéalisme est la branche réactionnaire de la philosophie, pas étonnant que les idéalistes (vous apparemment Judith ?) aient du mal à admettre la révolution en général.
Dans votre chronique je lis beaucoup de mots à majuscule, de concepts métaphysiques... c'est presque touchant. Il serait temps d'apprendre que la lutte politique n'est pas une lutte morale et que la révolution ne se fait pas pour des idées platoniciennes. Il serait temps de lire Marx et Lénine, de dépasser le stade du socialisme utopique du début du XIXième siècle et les considérations oiseuses du genre peut on sacrifier la Vérité à un bien supérieur ? aaah Seigneur ma morale kantienne en est toute émue ! etc...
Soyez heureuse qu'ils aient simplement menti, s'ils veulent vraiment se débarrasser de la junte militaire encore au pouvoir il faudra faire bien pire.
J'adore, tous les ingrédients du posteur pollueur moderne sont réunis :

Le ton péremptoire : "L'idéalisme est la branche réactionnaire de la philosophie". Mais ça sort d'où ça ? Je dois manquer de culture générale mais j'avoue, la pertinence de l'assertion ne me saute pas vraiment au visage.

La suffisance : "C'est presque touchant". Moi perso si je dis ça une connaissance qui m'expose ses idées sur un sujet qui lui tiens à coeur, c'est vraiment que je ne le porte pas dans mon cœur et que j'ai envie de lui faire comprendre qu'elle a chopé le melon !

Le donnage de leçon : "Il serait temps d'apprendre... Il serait temps de lire...". Bin oui quoi, grandissez un peu Judith bordel !

La sentence définitive qui vous montre que, vraiment, vous n'avez rien compris : "Soyez heureuse qu'ils aient simplement menti, s'ils veulent vraiment se débarrasser de la junte militaire encore au pouvoir il faudra faire bien pire." Que vous être naïve chère Judith, le monde est bien plus cruel, dur et froid que votre enthousiasme béat ne vous le laisse percevoir. Mention spéciale pour le "Soyez heureuse", il manque juste le rire sardonique de Blofled dans un James Bond à la fin façon "Estimez-vous heureux d'avoir pu assister à ce chef d’œuvre avant de mourir Bond, mouwahahaha !" Ok ok, je m'emballe un peu :)

Alors après peut-être que CamilleBolivar est beaucoup plus intelligent(e) que nous tous, mais admettons que ce soit le cas, il me semble qu'il est toujours possible de faire comprendre à quelqu'un qu'il se trompe sans le prendre d'aussi haut. Quand à moi... j'ai kiffé ce texte de Judith !!!!!
Il faut se méfier d'un commentaire qui dit à la fois à quelqu'un qu'il n'a rien compris et qu'il est naïf car cela sous-entend : "moi j'ai tout compris et je suis très perspicace."
Si une lutte politique n'est pas une lutte morale, qu'est-ce que ça peut bien être ?
Une lutte de pouvoir(s)?
Les révoltés tunisiens et égyptiens (et autres) n'ont mené leur lutte politique que pour une question de pouvoir ?
Non, je veux dire que quand les conditions de vie deviennent assez insupportables pour qu'ils se révoltent, ce n'est pas (que) moralement qu'elles sont devenues insupportables. C'est qu'un moment vient (pourquoi? comment? je ne sais pas) où ils croient avoir le pouvoir d'agir sur la situation.
Ok, là tu parles de la manière dont les choses arrivent, de leur possibilité concrète d'éclosion ; mais la cause profonde de cette lutte, les fondements qui font qu'il y a, finalement, au moment où il y a pouvoir d'agir, lutte ?
la cause profonde selon moi est le sentiment d'injustice !
pas d'idéal, pas de théorie fumeuse, simplement à un moment donné de sa vie l'impression d'être le dindon d'une farce que quelques privilégiés pensent pouvoir jouer sur ton dos ad vitam éternam !

un jour, tu sors de tes gonds et tu leur dis stop, ta rage est telle que tu es capable de mettre leur tête au bout d'une pique, colère incontrôlable et incontrôlée !
ce jour-là, selon moi, ce sont tes tripes qui parlent, alors que jusqu'à ce jour ultime tu tentais désespérément de conceptualiser pour accepter l’inacceptable !
le sentiment d'injustice : moteur selon moi de toutes les révoltes ; et lorsqu'il est partagé par tout un peuple, moteur de toutes les révolutions.....
Et le sentiment d'injustice, n'est-ce pas un problème moral ?
tout dépend : si tu parles "du" moral, alors je dis oui :)
mais si tu parles de "la" morale je dirais non
Sur quoi tu fondes ton jugement de ce qui est juste ou injuste ?
Pour ma part, je dirais:
À partir du moment ou la liberté et les droits de chacun sont suffisamment confidentiels [c'est-à-dire, que l'on pourrait facilement étendre sans que cela n'empiète sur la liberté et les droits de son voisin] pour que l'on puisse se dire que l'on se trouve de plain-pied dans l'injustice.
Sans même parler de comparatif avec les privilégiés.

J'ai rien inventé, comme tu vois :-)
Mais qu'est-ce qui justifie qu'une société telle que tu l'as décrit soit meilleure qu'une qui ne serait pas comme tu l'as décrit ? À partir de quoi te justifier envers quelqu'un qui soutiendrait qu'une société dans laquelle certains sont privilégiés au détriment des autres, c'est normal, voire même positif ?
En partant du postulat comme quoi, l'homme ou la femme de type Être Humain vit mieux quand il ou elle jouit de davantage de liberté, sans que ce fait établi ne remette en question celle de son voisin ou de sa voisine. Et là, je me lance dans la publicité des bienfaits du bien-être, de l'épanouissement personnel, de l'enrichissement intellectuel subséquent qui se trouve être favorisé dans ces conditions de vie, etc etc.
Ce qui est ma définition du mot meilleur.

À ta seconde question, je répondrais que si ce quelqu'un appartient à ce monde de privilégiés, il est normal qu'il trouve ce fait normal et positif. Après tout, les éminences grisées de l'UMP disent la même chose sous une autre forme (bien évidemment).
S'il appartient à celui des non-privilégiés, je dirais qu'il y a plusieurs options, les principales étant pour moi les suivantes:

- il est payé ou tire avantage de ce qu'il soutient.

- il est obligé de me dire ça sinon sa famille va mourir sous le coup des privilégiés qui l'ont à l’œil.

- il n'est pas payé ou ne tire pas avantage de ce qu'il soutient, auquel cas il est mûr pour être embauché d'office (sans entretien) dans le secteur où je travaille. Et dans bien d'autres j'imagine.

- C'était une boutade. Sacré Roger, va.
l' Être Humain vit mieux quand il ou elle jouit de davantage de liberté

Et c'est quoi, ça, sinon l'affirmation d'une valeur morale ? D'une certaine vision (pas du tout partagée pas plein de gens, ni si évidente que ça, dont certaines conséquences peuvent être discutées, etc.) de l'Homme, de ce qu'est la liberté (parce que ça, c'est pas très évident), du bienfait que serait cette liberté, etc. ?
Je dirais que c'est plus l'affirmation selon moi d'une valeur de bon sens, qui effectivement, n'est peut-être pas la valeur la plus communément partagée. Peut-être pas si évidente que ça, bien que selon moi toujours, le fait établi d'avoir plus de liberté de mouvement, de penser, de s'exprimer, de réussir à avoir un impact quel qu'il soit sur quelque chose sur la société étatique dans laquelle on vit, est naturellement positif.
Et dans l'absolu, tout peut-être discuté, donc oui, probablement aussi, les "conséquences" que tu esquisses.
La preuve: comme ici, comme quoi le principe de liberté ne serait pas évident selon toi.
Sauf que là tout de suite, je ne vois pas ce qui est matière à l'être dans ce que j'exprime ci-dessus; sur la liberté individuelle tant qu'elle n'empiète pas sur celle de l'autre.
Si tu as des exemples sous le coude.

Pour en revenir, donc, à ce que je considère de bien ou de mal dans ce qui m'environne (et donc, pour te rejoindre, de ce qui est moral ou pas, puisque faisant appel à ma propre échelle de valeurs), j'aurais tendance à me baser davantage sur l'éthique, plutôt que sur la morale; dans le sens où mes perceptions de ce qui me semble être juste ou pas, se réajustent en fonction de mon expérience personnelle, et de ce que j'apprends de celle des autres.

L'on pourrait se dire que c'est blanc bonnet bonnet blanc, mais selon moi, et pour ce que j'en sais, la morale en tant que socle de valeurs à caractère plus ou moins universel est bien plus figé, et donc moins tolérant aux changements continuels qui invitent le plus souvent à réviser sa propre opinion sur un sujet donné.

Les nuances qu'il me semble apporter, tendent à penser qu'il est moins question d'éviter à tout prix de se réclamer de la morale, que justement de chercher à extraire des concepts qu'elle englobe et donc je parle ci-dessus afin non pas de la nier, mais surtout de définir au mieux une échelle de valeur peut-être moins connotée.

Après, tu sais bien que les jugements que l'on apporte aux événements sont aussi façonnés par nombre de paramètres contextuels et temporels, que l'on ne parlera pas nécessairement en utilisant le même cheminement de pensée, d'un fait passé, en cours où à venir.

Parce-que cette fameuse morale n'est peut-être pas en fin de compte, le truc incontournable auquel tu aboutis ci-dessous dans ta réponse à Compunet: mais une référence à inclure dans les critères à prendre en considération sur un événement donné: l'étude des motivations et des faits qui ont conduit à la réalisation de cet événement, de la façon dont on le perçoit en fonction de ce que l'on ferait soi-même si l'on s'y retrouvait directement impliqué, dont il serait géré dans le cadre des lois en vigueur de notre propre système.. tout en étant conscient que l'on n'aurait pas eu le même jugement mettons, dix ans auparavant.

La morale, en définitive, n'est d'après ce que j'en ai compris dans la discussion de dessus et d'en dessous, qu'un machin englobant un système de valeurs, mais qui n'est pas en tant que tel, la référence à suivre immédiatement afin de se dire, comme la Parisot dont tu prends exemple plus bas, que le pauvre n'a que ce qu'il mérite - pour faire simple.
Ce qui ne veut pas dire que je nie cette même morale: simplement, que je me réfère plus à ce que je considère comme faisant donc, partie du bon sens, de l'éthique.
À des valeurs qui d'après mon avis, sont plus pragmatiques que la morale elle-même, qui n'est principalement, dans les différentes définitions que j'en ai lues grâce à cette discussion qu'une doctrine (même positive) qui ne prend pas en compte, elle, les composantes extérieures qui font que l'on dit qu'un événement, qu'une chose, qu'un fait; sont plus justes que d'autres.

Je ne suis pas certain, même si je me comprends, d'être clair sur tous les plans que j'exprime (notre Damien Farfadet s'exprimerait certainement de manière plus précise que moi :).
En gros, je dirais pour finir que ce qui se manifeste ici est plus une méfiance vis-à-vis de la morale, que d'un rejet en bloc de celle-ci, et que c'est peut-être pour cette raison qu'on tend à l'éviter, peut-être par méconnaissance, peut-être à tort ou à raison...
peut-être pour les raisons (vraies ou/et fausses) que j'en ai donné dans mon argumentaire perso.


Il me semble toutefois que tu n'as pas à désespérer de cela... même un "petit peu".

Je crois qu'on a sous la main ce qu'il faut pour ce faire, d'autrement plus gravissime.
Très très brièvement là-dessus. Le classique de John Rawls, sur la "Théorie de la justice". En fait une sorte de méta-théorie (une théorie sur comment théoriser sur une société juste), qui à la fois pose la liberté comme centrale -la liberté de poursuivre ses aspirations- et relativise les aspirations elles-mêmes : il ne s'agit pas de leur contenu, il n'y a pas de présupposé sur "ce qui rend le citoyen heureux". Le seul critère étant la possibilité qui lui est donnée de "devenir ce qui le rend heureux", quoi que ce soit. Donc une liberté bien spécifique, qui n'implique pas forcément des grandes libertés au sens total et romantique. Une façon d'articuler ensemble les doutes de Djac sur la liberté comme valeur morale intrinsèque et absolue, et l'intuition de Fan sur le rôle fondamental de la liberté dans la construction du bonheur social. Une société juste maximiserait "une liberté" spécifique (et la maximise d'ailleurs de façon spécifique), qui est une sorte de méta-liberté, et, on pourrait presque dire, une liberté de choix des libertés revendiquées. C'est-à-dire aussi le choix de rejeter, dans un projet de vie individuel, certaines libertés.

Ca n'épuise pas tout, parce que si on se sert de cette théorie pour, comme j'ai tendance à le faire, juger "moralement" les sociétés en fonction de l'écart qu'elles produisent entre rôles imposés et aspirations personnelles, il faut juger non seulement des libertés (grosso modo société) mais aussi des productions sociales de ces aspirations (grosso modo culture). Par exemple évaluer les mécanismes de production de frustration -production parfois délibérées- qui jouent sur la construction d'aspirations que la société brise par ailleurs (problème particulièrement complexe en contexte mondialisé). Au moins, considérer que ce n'est pas une question de contenu propre, mais simplement une question d'harmonie entre aspirations et possibilités, évite de décréter le malheur de gens qui se sentent heureux, et de leur en imposer un malgré eux, même lorsque leurs propres labyrinthes seraient incompatibles avec nos propres aspirations...

Et cela peut valoir pour les "libérations" forcées, c'est-à-dire les impositions de libertés qui se veulent valeurs objectives et universelles, mais qui ne sont que relatives. Typiquement, les problématiques individualisme/communautarisme, les libertés de marché, la stigmatisation "féministe" des femmes au foyer (suspectées par défaut de renoncer à leur liberté), certaines pressions sexuelles en périodes de "libération des moeurs", etc...
Quel charabia !
J'aime bien le concept de "libérations forcées". Toi, je t'ordonne d'être libre! Quelle violence... Sauf à considérer qu'un individu est par nature incapable de choisir ce qui est "mieux" pour lui, je considère que les états d'âme (il ne s'agit que de ça) d'un individu face à tous les choix possibles sont un prix très raisonnable à payer.
Par ailleurs souhaitons que notre avenir ne se joue pas entre un modèle de société "protestant" (sic) et un modèle "ultra-libéral" (re-sic), le premier étant si je comprends bien "vertueux" quand le deuxième serait "pervers". Certains asinautes sont assez flippants quand même...
Il faut compter avec les forces de frappe colonialistes qui peuvent prendre des formes assez variées (on voit à l'oeuvre la grosse bertha de la normativité socio-économique européenne, ces jours), mais dans l'absolu, on constate plutôt des multitudes d'hybridations locales. Même si le modèles se mordent les uns les autres, se contaminent asymétriquement, même si certains dominent violemment -et même si on peut regretter les toujours irréparables disparitions de certains systèmes, qui de toute façon se seraient transformés en d'autres choses avec le temps- les uniformisations restent toujours relatives. On ne se retrouvera jamais avec un modèle terrien unique, ni même avec une simple alternative entre deux modèles. Je crois qu'il n'y a pas tellement d'angoisse à avoir là-dessus.
Bon quelques coquilles ("dont je parle ci-dessus"... "grâce à cette discussion[large],[/large] qu'une doctrine" entre autres).
Sorry


EDIT - Réponse simultanée de IT pendant mon correctif - merci de ces précisions ^^)
"éthique : science qui traite des principes régulateurs de l'action et de la conduite morale."

Je trouve que tu tourne un peu autour du pot, quand même... :o) Juste pour pas avoir à appeler un chat un chat. Tsss.
L'éthique, ça fait scientifique, ça fait rationnel, et j'ai l'impression qu'on retrouve dans cette préférence des bouts de l'idéologie du Progrès, qui nous fait encore repousser tout ce qui serait de l'ordre de choses instinctives, psychologiques, ou encore...morales, tout ce qui est pourtant bel et bien à la base du fonctionnement humain, mais que voilà repoussé farouchement avec une grimace de dégoût - de là à y voir, très profondément, une haine de l'Homme, à vouloir le barricader dans du soi-disant calcul rationnel, il n'y a qu'un pas que je franchis allègrement, non pas te concernant, toi, personnellement, mais concernant la société en général.

Quand tu dis "bon sens", je pense immédiatement à la common decency d'Orwell : où il dit effectivement qu'une morale de bon sens existe, basée sur des valeurs simples, de "bon sens" en effet, mais efficaces, et portant en germe une société décente. Mais il n'y a pas de raison de ne pas l'assumer comme morale, de ne pas l'endosser comme lutte politique, et encore moins, en tout cas, que de penser que c'est secondaire, à mettre entre parenthèse, etc.

Ainsi, quand tu parles de liberté allouée à chacun de façon à ce que ça n'empiète pas sur celles des autres, d'abord il est faux de dire qu'elle n'est pas communément partagée puisque c'est une des valeurs de base du libéralisme - difficilement réductible à quelques-uns...

Ensuite, le problème qui vient, c'est quelle liberté ? Liberté, si on sort des cas extrêmes évidents, c'est bien vague, et surtout, quelle assurance a-t-on de savoir consciemment si on est libre ou emprisonné de quelque chose ? Et veut-on toujours être libre ? Fumer, c'est être sous l'emprise de la nicotine, donc une perte de liberté, pour autant le fumeur a-t-il spontanément vraiment l'envie d'arrêter ? C'est transposable à beaucoup d'aspects de la vie. Alors tu me diras peut-être : "hé oui, mais rationnellement, la fumeur a intérêt d'arrêter, pour sa santé. C'est un problème rationnel, si on a les connaissances suffisantes pour trancher, voilà, suffit d'y réfléchir".
Il y aurait alors quelque chose dans ta manière d'envisager qu'on peut être libre, qu'il suffit de connaissances sur soi pour savoir repérer à coup sûr sa liberté, qui rappelle fortement "l'intérêt bien compris" des libéraux, cette vision d'une société d'acteurs rationnels qui poursuivent rationnellement leur intérêt, le tout s'équilibrant (comme par magie). Sauf que les intérêts sont pas si souvent aussi rationnels que ça, de même qu'une recherche de liberté propre.
S'il y a bel et bien valeurs morales implicites à un mouvement de rébellion, même dans ce cas extrême cela s'exprime et s'extériorise essentiellement d'abord comme sentiment, comme l'expriment Compunet et Florence.

Alors, à part évènement caricatural (genre être sous le joug d'un dictateur), dans une société de régime démocratique représentatif comme la nôtre, la poursuite de sa liberté propre me semble donc être en résonance avec la poursuite rationnelle de son intérêt propre, de manière trop proche pour que ce ne soit pas un problème - dans le sens où cela, encore, renforce le propos libéral économique de "loi du marché", champ où chacun poursuit son intérêt propre, le seul Droit procédural étant la seule instance restante qui tranche les dépassements - quand une liberté empiète sur celle d'un autre.

De plus, poser que la liberté doit se rechercher pour chacun (dans la limite de ne pas empiéter sur celle des autres), et que dans le même temps tu oublies, ne mets pas en pratique, n'affirmes pas, des valeurs (de bon sens !) comme le partage, ou la confiance, quels freins existeraient alors qui empêcheraient que ce fondement moral n'engendre une société d'individualistes, recherchant leur liberté propre, tout en se méfiant profondément du voisin qui potentiellement pourrait empiéter sur sa liberté ?
Or, globalement, c'est bien ce qui arrive en partie à nos sociétés occidentales libérales. L'explosion du nombre de procès pour tout et n'importe quoi montre qu'on n'accepte plus la moindre écorchure de la part des autres à sa petite liberté, à sa petite monade individuelle qui finit par passer au-dessus de tout le reste dans l'ordre des priorités.


Alors, évidemment que je vois toutes les bonnes intentions qui t'animent (et que je partage), dans cette volonté de liberté pour chacun. En plus, je te soupçonne d'avoir d'autres valeurs morales que tu ne t'avoues pas... ;o) Si tu estimes que chacun a droit à sa liberté, c'est bien, par exemple, que tu sous-entends que tout Homme y a droit, qu'il y a donc, par défaut, égale dignité, égale considération, à porter à chaque être humain. C'est pas une valeur morale forte, ça, par hasard ?

Simplement, je vois que les valeurs morales influent fortement, en profondeur et durablement, la forme que prend une société. Une société basée sur l'éthique protestante du travail selon laquelle est respecté celui qui travaille dur pour amener un bien à la communauté, et où l'accumulation pour soi-même n'a aucun intérêt en soi, ne donne pas la même société basée sur l'individualisme-roi (rendu possible par la privatisation de la morale - chacun la sienne dans son coin) plongé dans un libre marché. Laquelle des deux est meilleure, quelle troisième trouver, c'est un débat à la fois moral et politique.

Ce n'est donc pas du tout, du tout, anecdotique, et se refuser qu'une lutte politique soit une lutte morale, c'est se rendre totalement désarmé, laisser la morale dominante reine, et occulter les conséquences profondes (et concrètes) de sa propre politique - sans qu'il soit question non plus, évidemment, d'accepter des principes moraux par trop restrictifs, carcans arbitraires qui n'ont aucun sens et deviennent mortifères, c'est aussi une question de discussion, de débat.

C'est ainsi que ton principe de liberté pour chacun, tout optimiste soit-il, reste trop neutre, et c'est le principe assez généralisé de la gauche actuelle depuis un certain temps maintenant. Or, ce principe ainsi limité prépare malheureusement un terrain fertile et tout prédisposé à accueillir la loi du marché. Il n'y a de ce fait aucun hasard à la transformation du PS, devenu aussi libéral que l'UMP sur les questions économiques.
Or, ça fait partie prenante du gravissime, et cela nous indique que, tant qu'on reste sur ces mêmes bases, on s'en sortira pas.
C'est effectivement l'une des définitions du mot, mais pas la seule, comme tu as dû le lire quelque part, Djac. Si j'ai insisté sur l'éthique, c'est qu'il me parait plus évolutif, comme je l'ai écrit, alors que la morale, pour ce que j'en sais - et même si cela est une bonne chose en général - est bien plus manichéenne. En cela, elle ne tient pas forcément compte des circonstances, de la trame qui font qu'un événement se soit produit.
Si tu préfères, je dirais que tu laisses à penser que ne pas se référer à elle alors que tout à l'air de s'y prêter, est synonyme de lui tourner le dos. Je ne trouve pas, et d'ailleurs, je ne vois pas où les deux termes sont irrémédiablement opposés. Je ne fais pas davantage appel à ma raison qu'à mes émotions: ça ne change à rien à ce que je ressens, et je ne me retrouve pas à une patte d'oie en train de peser le pour et le contre - éthique vs morale.
Tout comme le bon sens, pour y revenir. La "morale de bon sens" que tu cites, je ne sais pas ce que c'est littéralement, au quotidien. Je ne vois donc pas de raison, non plus, de l'assumer comme morale comme tu dis. Je peux les associer si je m'arrête dessus et si je me retrouve être un peu perdu, un peu désorienté, et auquel cas je pense que je me raccrocherai, pour quelle que raison que ce soit, aux valeurs morales dont bien sûr je ne nie pas l'importance.
Mais je sais bien, au fond de moi, qu'elles ne sont pas les seules à me faire avancer.
La "morale de bon sens" - "l'éthique comme synonyme et rien d'autre de la morale"...
ce qui nous sépare sur ces points précis, c'est que je n'appréhende pas les uns et les autres comme issus de, ou faisant partie intégrante de la morale. Ce n'est pas histoire de compartimenter les concepts à tout prix - je ne le fais ici que pour tenter de préciser la façon dont je vois les choses par rapport à toi - mais d'ouvrir la perspective que oui, la morale, stricto sensu, est une partie intégrante en terme d'influence, d'une société. Mais pas que.

En d'autres termes, la distance croissante, selon toi, entre l'homme, la femme, le politique; et la morale, est grosso modo la source des plaies que nous considérons comme telles toi et moi et bien d'autres j'imagine bien, et que tu cites très bien d'ailleurs.
Selon moi, c'est l'une des origines du problème effectivement, mais comme les définitions que je me fais, parmi les multiples existantes, des notions de bon sens, d'éthique - de pragmatisme dans une certaine mesure ? j'y reviens dans une seconde - étant tout aussi importantes, complémentaires, mais surtout pas forcément de simples ramifications de la morale. Ce sont des idées pour moi tout aussi importantes, mais aussi à mon sens, indépendantes dans la pratique. Et là je pourrai paraphraser une partie de mon post précédent, sur l'aspect généralement connoté de la morale, et plus évolutif des autres concepts.
Je reviens brièvement sur ce que je veux dire en évoquant le pragmatisme, essentiellement pour bien préciser qu'à part la rime commune, je ne le considère pas comme une forme de fatalisme face aux événements. Je le pointais surtout pour émettre l'hypothèse, à tort ou à raison, que l'on peut adopter, à un moment donné où l'on ne sait plus que penser dans un contexte pré-établi, une démarche de la même manière que comme je disais un peu plus haut, me référer à la morale. Sans nier aucunement des émotions difficiles à contenir, à gérer; je peux aussi adopter une attitude qui ne se réfère pas nécessairement à quelque chose qui ressemble à un postulat - une règle de morale, pour rester dans le concret. Et qui ne serait pas non plus une tentative aveugle de "rationalisation", de faire appel à ma capacité de réfléchir; mais simplement, de prendre en compte le pourquoi, le comment, dans un processus qui vise justement, à ne pas porter un jugement hâtif qui pourrait conduire à un acte immédiat, qui peut être regrettable par la suite (mais ça, on est d'accord, on ne le sait qu'a posteriori) - et consécutif à quelque chose de moral qui parait juste au départ, mais qui peut se révéler une catastrophe par la suite, parce-que l'on aura pas pris en compte le fait de tenter de connaitre les causes des effets dans lesquels l'on se retrouve être empêtré d'une certaine manière. Ce n'est encore une fois, pas au niveau du raisonnement que je place les choses, mais plutôt sur le plan d'une certaine capacité d'évaluation, d'adaptation à ce dont je ne m'attendais pas... - c'est ce que je veux entendre, par "pragmatisme".

Et c'est pourquoi je ne souscris pas au fameux pas que tu franchis allègrement - de conclure au dégoût de la morale, à une haine profonde de l'Homme - ce fameux calcul rationnel que tu évoques. Ce, même si je te remercie bien de ne pas m'y associer :-)
Pas parce-que je considère cela comme faux, mais parce-que ta notion de société en général, même après y avoir réfléchi moi-même longtemps et depuis longtemps, je ne sais toujours pas ce que cela peut vouloir dire. Un courant dominant ? Mouais.

Et aussi, je n'ai pas dit que la "liberté allouée à chacun de façon à ce que ça n'empiète pas sur celles des autres, (...) n'est pas communément partagée", comme tu présentes la chose après citation en disant que c'est faux.
Je parlais d'emblée d'une certaine idée de bon sens que je me faisais, avant d'évoquer la notion de liberté individuelle.
C'est pour ça aussi que je ne comprends pas l'exemple choisi de la cigarette. Non pas qu'il est mauvais, bien au contraire puisque les conséquences sont aussi dangereuses pour celui qui fume que celui qui se trouve dans sa proximité. Mais principalement parce-que je n'ai pas de jugement moral envers lui - même si évidemment mon opinion, en tant qu'ancien fumeur, est que son intérêt est d'arrêter ^^ - et que je ne vois pas, même en extrapolant, le parallèle que je pourrais faire avec les libéraux. À la limite et dans l'état des connaissances actuelles, je dirais simplement que je trouve l'interdiction de fumer dans les lieux (couverts) publics est une bonne chose. Mais c'est tout.
Je crois qu'il est tiré de ton erreur de départ, c'est-à-dire en mettant comme admis qu'effectivement, j'aurais considérée la liberté allouée (tu noteras la notion de quantification :-) comme non communément partagée.
En effet, dans cette perspective, ça tient debout.
Et je partage aussi ton avis sur les freins inexistants pour contrecarrer l'individualisme, car c'est vrai que c'est un gros problème. Je suis d'accord aussi avec l'approche politique que tu as finement apportée, mais tu devais déjà t'en douter.

Cependant, concernant ton post originel sur ce que tu énonçais comme étant relatif au désespoir, le gars est p'têtre obtus, mais l'étiant toujours point d'accôrd avec c' qu'eul disant d' même. Et c'est pas grave d'ailleurs.

Par ailleurs, je trouve la notion "d'harmonie entre aspirations et possibilités " de IT particulièrement intéressant -_-.

Et je crois bien qu'on va quand même s'en sortir, ceci mis à part.

Pas le choix.




EDITH - si vous avez des précisions ou des corrections, Judith, je suis preneur, car je ne suis pas en terrain familier, et Djac est une vraie brute avec moi ;-) *
Moi qui suis si doux d'habitude


* je plaisante
Ce fil est assez intéressant je trouve, (la liberté est une notion ambiguë tout ça), mais un peu frustrant aussi. On aimerait bien savoir quels interdits (hors ceux que les lois imposent communément) sont acceptables, voire souhaitables, et selon quels critères "moraux".
Toujours très gêné par ceux qui mettent de la "morale" partout, qui se battent pour des "valeurs", concepts réversibles et ambigus eux aussi.
Cf.le "mot" de Nietzsche dans Par delà le bien et le mal: "Il n'y a pas de phénomènes moraux, il n'y a qu'une interprétation morale des phénomènes". Des années plus tôt, il en avait illustré la pertinence dans un écrit moins connu "De la vérité et du mensonge au sens extra-moral". Cela mérite d'autant plus d'être rappelé que "la moraline", comme il nous appris à la caractériser, a recommencé de sévir à partir de la fin des années 1970 avec ce que l'on a appelé - par involontaire antiphrase - "la nouvelle philosophie". Que cette moraline puisse s'accompagner de peu scrupuleux comportements, Ferry vient de le démontrer encore tout récemment. Qu'il n'y ait pas lieu pour autant de verser dans un antimoralisme niais, Nietzsche aussi, après d'autres, l'aura établi. Mais, quant à s'en inspirer dans l'analyse des "événements politiques", qui osera aujourd'hui s'y risquer ?
je ne parle pas de "juste" ou "injuste", et donc je ne juge pas
je parle de "sentiment d'injustice", on est dans le subjectif, collectif peut-être mais subjectif, ce qui laisse à chaque révolte et à chaque révolution le choix de sa cause à défendre....
Tu ne juges pas, donc, pour toi, tout se vaut ? Pas de juste, pas d'injuste, juste des "sentiments" ? N'importe quelle cause trouve grâce à tes yeux, ou n'importe quelle cause t'es indifférente ? Il n'y a finalement aucune cause importante, si ce ne sont que des sentiments, par définition fugaces, versatiles et influençables ?
ouille ouille ouille on s'égare là :)
tu me demandais mon "jugement" sur le juste et l'injuste et je t'ai juste répondu que je ne jugeais pas le juste et l'injuste mais le sentiment d'injustice qui ne pouvait se juger puisque c'était un sentiment et donc du subjectif...humpffff
alors toutes les causes sont importantes individuellement puisqu'elles découlent d'un sentiment d'injustice... c'est juste qu'elles ne mènent pas toutes collectivement à une révolution...
je reprendrai ce que dit Flo : "c'est l'injustice concrète", (et là c'est le mot "concrète" qui est important :on ne philosophe pas avec la misère, la répression ou l'humiliation) "qui peut déclencher la colère" ; injustice si concrète qu'elle peut mener à la révolte et aboutir sur une révolution...

je te rappelle ta première question : "Si une lutte politique n'est pas une lutte morale, qu'est-ce que ça peut bien être ?"
une lutte politique, (celle de l'indigné actuel, tunisien, grec ou autre) pour moi , n'est pas une lutte "morale" quand elle sort des tripes des individus soumis, humiliés, réprimés ou miséreux !
elle sort de ce sentiment d'injustice qui fait que l'on a plus d'autre choix que le combat, et la lutte devient alors question de survie... la question "morale" viendra peut-être plus tard lorsque l'individu aura à nouveau le temps et l'énergie pour la palabre !
(ce qui ne veut pas dire que la lutte de cet individu là ne va pas être récupérée par des idéologues en mal de pouvoir qui vont plaquer de la "morale" sur leur combat...)

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le sentiment d'injustice qui ne pouvait se juger puisque c'était un sentiment et donc du subjectif

Ben voilà, tu me dis bien, ici, texto, qu'il y a sentiment d'injustice mais pas injustice tout court. Tu te refuse bien à te prononcer en disant "oui, il y a bel et bien injustice, c'est un jugement que j'assume", tu évites soigneusment de le faire ici, ce que je trouve hautement bizarre - et qui infère bien sur mes question plus haut.
Si Parisot crie à l'injustice parce qu'elle paie trop d'impôt, valideras-tu son sentiment d'injustice ? Ou jugeras-tu qu'elle est quand même gonflée ?

Et pourquoi c'est injuste que certains aient moins que d'autres ? Pourquoi la misère c'est injuste ? Parisot te dirait qu'ils ne foutent rien, ou qu'ils n'ont pas les capacités, ou que sais-je encore, et que donc, c'est très juste !

la question "morale" viendra peut-être plus tard lorsque l'individu aura à nouveau le temps et l'énergie pour la palabre !

Hé bien, non, je ne crois pas.
S'il lutte, c'est qu'il faut bien qu'il se croit, quelque part, même sans éventuellement savoir le formuler explicitement, légitime à lutter, s'il se révolte, c'est qu'il juge qu'il y a injustice, et, très fondamentalement, c'est qu'il estime qu'il vaut quelque chose.
Pour se révolter, dire "non" ne suffit pas, ou plus exactement on ne dit pas "non" sans d'abord aspirer à autre chose, à une autre vie, à une idée de soi qui vaut quelque chose (autant que ceux qui oppriment), à une certaine idée de la justice (là encore, pas forcément conceptualisée, mais bien vivante).

Tous les opprimés ne se révoltent pas, beaucoup se résignent, et vivent sous la fatalité, la révolte n'est pas une chose automatique parce qu'il y a misère, elle n'apparaît que si une estime de sa dignité apparaît, une estime de ce qui est juste ou injuste.
C'est-à-dire de jugement (pas au sens d'une longue concertation philosophique hyper-conceptuelle - c'est étrange que ces question-là vous fasse croire automatiquement à de l'intellectualisme coupé du concret, alors que c'est très concret, très proche, très immédiat, que de se sentir digne ou légitime, la preuve, cela peut entraîner une révolte), de jugement moral, de jugement de valeur (par exemple une idée de ce que serait une dignité égale des êtres humains, de ce que l'égalité des droits vaut mieux comme vie en commun que les privilèges de quelques-uns, etc...).

Pas besoin de longues circonvolutions conceptuelles pour poser certaines valeurs - par contre, cela nécessite d'assumer que c'est bien profondément de la morale, et que par conséquent, faire de la politique, c'est aussi se baser sur des valeurs,et les affirmer, donc faire de la morale. Si le mot t'es trop connoté catéchisme religieux, reviens donc à cette définition, plus générale : "morale : Qui concerne les règles ou principes de conduite, la recherche d'un bien idéal, individuel ou collectif, dans une société donnée."
Chercher des principes de conduites individuels et collectifs au nom d'un bien commun dans une société, c'est bel et bien le ressort de toute lutte politique.
Et, de la même manière que proclamer son absence d'idéologie, c'est une idéologie, proclamer une absence de morale, c'est de la morale - puisque c'est bien une idée d'un principe de conduite (pas de morale) au nom d'un bien collectif (c'est mieux pour tout le monde si on évite la morale).

Or, qui, actuellement, nous serine le plus sur leur absence d'idéologie, sur les sciences "naturelles" de l'économie, sur les réformes "nécessaires", etc ? Donc, fait référence à une pseudo-absence de morale, de valeur, pour faire croire à une pureté scientifique, rationnelle, de leurs idées et actions ?
Ce sont bien sûr les libéraux économiques de tout poil, qui cherchent à faire croire que leurs idées sont une simple application rationnelle de lois naturelles (certains ont évoqué les lois du marché comme autant implacable que la loi de la gravitation...).

Par conséquent, ça me désespère toujours un petit peu de voir des gens de gauche avoir peur de la morale, vouloir l'éviter, voire reprendre ce discours de pseudo a-moralisation de la politique (alors même que tous leurs jugements sont ancrés sur des valeurs - mais cachez cette morale que je ne saurais voir...).
Tout ça parce que, je sais pas, la morale a des connotations religieuses-caca, et aussi parce qu'on vit dans un tel bain libéral que toute idée d'autorité, toute idée de rigueur minimum à laquelle se plier, tout idée de valeur qui serait éventuellement comme un repère à suivre, est devenu affreusement repoussoir, comme négation horrible de sa petite liberté individuelle (alors qu'on voit d'ailleurs bien, par exemple, dans les révoltes dont on parle ici, comment une valeur morale - valeur de sa dignité, idée de justice, etc. - peut devenir libératrice individuellement, loin d'un carcan !).

Pourtant, comment s'opposer aux lois "naturelles" du marché, à la marchandisation totale, à la liberté sans frein des échanges, si ce n'est en s'adossant à des valeurs ?
Cette pseudso-science des experts économiques libéraux me semblent être en parfaite sécurité tant qu'on y oppose un argumentaire partant des mêmes bases, c'est-à-dire une idéologie du progrès dans laquelle il ne faut surtout pas partager de valeurs morales.
Ne pas partager de valeurs, c'est être des individus déconnectés, chacun dans sa bulle personnelle de croyance, de mode de vie ; au final, la seule relation qui reste nécessaire entre de tels individus, c'est la relation marchande (il faut bien se nourrir, se chauffer, etc.). Et sans valeurs partagées qui peuvent fonder un autre mode de relation, la relation marchande devient la loi du marché.
C'est un problème moral , mais pas abstrait, c'est l'injustice concrète qui déclenche la colère.
Ha, je n'ai jamais supposé qu'un problème moral était forcément abstrait - en tout cas ses conséquences.
En quoi les évènements dans le monde arabe constitueraient un changement important sur le plan social et moral? Personne dans ces pays n' appelle à une réforme de l' Islam.Les opposants égyptiens et syriens n' ont pas dit qu' ils étaient pour la séparation de la Religion et de l' Etat, ni pour le droit des femmes et des minorités.
Peu importe la nature de l'étincelle, pourvu qu'on ait au final l'explosion souhaitée. Car, ce qui compte, ce n'est pas l'étincelle, mais le combustible qu'elle allume. Sans ce dernier, les flammes meurent rapidement.

Or, ce combustible n'est pas un mensonge, sa nature est palpable, il est bel et bien là, il s'est accumulé patiemment, quotidiennement, le stock de poudre est plein depuis des lustres. Ne manquait plus qu'une allumette, un tesson de verre, un éclair, un court-circuit, peu importe la nature du déclencheur, délibéré ou accidentel, véridique ou mensonger, celui-ci ou un autre aurait produit peu ou prou le même résultat.

Cela n'a pas pris avant... cela ne prouve rien, nous savons tous qu'il faut parfois craquer plus d'une allumette pour déclencher l'incendie purificateur. Ce qui ne veut pas dire qu'il ne couvait pas, attendant l'étincelle salvatrice.

Les responsables de l'incendie ne sont donc pas à chercher dans les incendiaires, il y en avait des milliers qui attendaient, chacun frottant à son tour le grattoir dans l'espoir que cela allait prendre, enfin.

Non, les responsables de l'incendie sont à chercher dans ceux qui ont laissé s'accumuler le combustible.
A cause d'eux, cela devait exploser tôt ou tard.

yG
Où l'on semble découvrir qu'il faut affronter la réalité pour changer l'ordre des choses.
Je suis surpris de lire que pour tous les idéalistes du monde, comment admettre que le projet révolutionnaire, censément fondé sur les valeurs de Justice et de Fraternité, s’incarne inauguralement dans un mensonge injuste et fratricide? .
Idéaliste révolutionnaire, cela ressemble à un oxymore germanopratin.
Il n'existe pas plus de pureté révolutionnaire que d'idéalistes révolutionnaires.
Dans le(s) Mafrouza d'Emmanuelle Demoris, on comprend parfaitement la genèse d'évènements pré-révolutionnaires qui peuvent éventuellement muter en ignition révolutionnaire.
Et pourtant, les acteurs de cette histoire ne sont, de leurs points de vues, ni idéalistes ni révolutionnaires.
Juste comme ça en passant, sur le mensonge, la vérité, les rapports homme/femme, les rapports de classe, l'endoctrinement religieux, sur la justice, sur un peu tout en fait, je conseille à tout le monde d'aller voir Une Séparation d'Asghar Farhadi. Le réalisateur et ses comédiens géniaux parviennent à incarner avec une précision et une vérité terribles toutes ces notions très abstraites et les dilemnes moraux qu'elles peuvent susciter. C'est pas une immolation, c'est juste un grand film, mais ça donne furieusement envie d'un Iran révolutionné.

(le film a fait 150 000 entrées en France en première semaine, sur une centaine d'écrans, ce qui est extraordinaire.)
Je serais fière de mentir, si je (nous) pourrais virer notre "suprême à talonnettes ( pluriel car elles sont doubles)
gamma
est-ce que le monde a vraiment changé? Et vraiment en mieux? Ou est-ce que comme d'habitude, des hommes abusent des femmes en toute impunité, sans même une trace de compassion??
"Nous sommes le 12 avril 1945, le lendemain de la libération de Buchenwald . L'histoire est fraîche, en somme. Nul besoin d'un effort de mémoire particulier... Pourtant, un doute me vient sur la possibilité de raconter. Non pas que l'expérience vécue soit indicible. Elle a été invivable, ce qui est tout autre chose, on le comprendra aisément.
Autre chose qui ne concerne pas la FORME d'un récit possible, mais sa SUBSTANCE. Non pas son articulation, mais sa densité.

Ne parviendront à cette substance, à cette densité transparente que ceux qui sauront faire de leur témoignage un objet artistique, un espace de création.

Seul l'artifice d'un récit maîtrisé parviendra à transmettre partiellement la vérité du témoignage. Mais ceci n'a rien d'exceptionnel : il en arrive ainsi de toutes les grandes expériences historiques".

Jorge SEMPRUN "l'écriture ou la vie"

Cela ne répond peut-être pas à votre questionnement Judith mais ça participe du débat...
Machiavel avait très bien vu que d'un mal peut résulter un bien. Les valeurs du bien et du mal ne sont pas absolues, ou disons plutôt qu'une action ou une parole ne peuvent pas être jugées bonnes ou mauvaises hors du contexte dans lesquelles elles se produisent. C'est ce que Machiavel a désigné par "la vérité effective des choses". Pour lui, pas de doute, il y a un bon, un juste usage du mal. Le bien et le mal n'existent pas à l'état pur, c'est toujours un mélange fécond. Le véritable homme d’Etat est celui qui sait « entrer dans le mal s’il y a nécessité » et sa "virtù" consiste à trouver un point d'équilibre idéal, celui du moindre mal, du préférable. Machiavel aurait moqué ceux qui absolutisent le bien, ces inconséquents qui « d’une part admirent les effets [d’une action], et de l’autre, en condamnent la principale cause. ». Pour ne parler que de la décision politique, c'est toujours un compromis difficile, il faut être prêt à se « salir les mains » et ici il faudrait sans doute y associer la figure de Sartre.
Ce texte de Judith Bernard est un peu étrange ; elle s' apitoie sur le sort , certes malheureux , de la policiére emprisonnée pour une gifle non donnée , et pas du tout sur celui du jeune homme brulé vif à qui elle reprocherait presque que son suicide ait donné lieu aux petits mensonges de son entourage pour magnifier son geste .
Oui il y a de l'ego mal placé et surtout mal-sonnant dans les propos du mal-nommé Mc Master - à quoi s'ajoute dans l'esprit de qui fréquente un peu la toile, côté Facebook, Second Life, etc., que cette histoire de fausse lesbienne, quelles que soient les intentions exactes du blogueur, n'est pas sans éveiller quelques échos / relents oscillant entre le grotesque (vous avez peut-être déjà croisé cette blague : "Internet : where men are men, women are men, and children are FBI agents" !) et le désastreux (rapporté à la réalité de la répression en Iran). Mais n'y a-t-il pas aussi de l'ego, et triomphant qui plus est, dans la façon dont les manipulateurs tunisiens affichent leurs actions devant le journaliste ? (Ce qui, d'ailleurs, pourrait ouvrir à d'autres questions : l'aveu fait à un journaliste français, pour un journal français, a-t-il retraversé la Méditerranée ? si oui, qu'en pensent les ex-insurgés ? si non, qu'en déduire ? ou l'info était-elle connue de longue date là-bas ?...)

Je proposerais bien une autre ligne de partage fondamentale possible. Non pas tant entre "vouloir changer le monde" et "informer", qui me semblent des lignes finalement assez floues dans les cas qui nous intéressent ici (en "informant", le faux blogueur voulait sans doute aussi créer un changement ; et les "changeurs" en sont passés d'abord par l'élaboration d'une rumeur, donc d'une information, même si celle-ci était biaisée). Il me semble que, peut-être, ce qui se joue ici relève plus de la différence des destinataires et des contextes. Tunisien, Bouazizi (le militant manipulateur, pas le très réel immolé) crée "de l'intérieur" une fiction à destination d'autres Tunisiens comme lui. L'histoire, ou l'Histoire, qu'il raconte, il est en quelque sorte en plein dedans, il en est l'acteur en même temps que ses voisins, ses amis, et ses compatriotes. Américain, McMaster crée "à distance" une fiction qui s'adresse avant tout à d'autres occidentaux comme lui. Le cadre de cette fiction est l'Iran mais ceux qui la lisent sont à des milliers de kilomètres de là et n'auront jamais à en affronter réellement ni les attendus ni les conséquences.
Bon, ben, ça va pas être facile à expliquer, mais, il faut que les foules tunisiennes, égyptiennes, libyiennes, etc...comprennent et admettent (!) que si il y a eu mise en scène au départ, comme l'explique si bien @si, la suite, toute la suite compte pour RIEN et ne peut pas avoir eu lieu. Retour à la case départ, avec, c'est logique, retour à la vie des victimes, retour de Ben Ali et Moubarack, etc.... REWIND!
Avec tout ça on est bien avancés, hein, messieurs dames: une révolution bâtie sur un mensonge, une manipulation tordue de syndicalistes: quelle déception!
Mais, à quelque chose malheur est bon: cette fois-ci, espérons que nos plus hautes autorités seront bien présentes pour "raccompagner" la juste disparition de cette foutue engeance, de cette excitation franchement éxagérée des petits peuples arabes.
Le retour à l'ordre juste. Enfin.
Je le disais il y a peu en commentaire à "retour à Sidi Bouzid", si cette histoire sans gifle ni diplôme est "la" vraie, elle représente tout de même bien je pense toute la souffrance, l'absurde injustice, l'aveuglement des uns et des autres qui caractérisent l'époque dont nous sommes en train de sortir, et que tout soit parti de là , de "si peu" s'accorde parfaitement car le monde entier ne peut plus, ne veut plus supporter ces situations qui sont devenues mondialisées bien que prenant des formes plus coercitives ou plus insidieuses selon les régions du globe.

Vu sous cet angle, Fayda Hamdi aussi est une victime, dernier maillon des chaines qui lient les mains de peuples et donc liée elle aussi, devant fermer son coeur à la souffrance d'autrui, devant pour nourrir les siens et espérer une vie meilleure faire appliquer des lois injustes. Et se trouver aux premières loges dès que l'injustice n'est plus supportable et que l'Histoire secoue son echine...

Et Mohammed, que lui reprochait-on à cette homme là, de vendre "à la sauvette" les fruits de son labeur ? Voilà le visage du monde de l'argent par milliards qui circulent dans des sphères hermétiques mais reposant sur des milliards de Mohammed Bouazizi a qui on interdit la plus simple des libertés afin d'en faire un esclave. Et ça, diplôme ou non, gifle ou non, ça demeure (pour le moment) une vérité pour toutes ces personnes.

C'est sans doute aussi parce que Fayda Hamdi est une femme que le monde a basculé, c'est parce que des peuples entiers s'aveuglent de sexisme, de racisme, ou de toute autre sorte de rejet de l'autre, que leurs consciences sont martelées dès l'enfance sur l'enclume du fanatisme, au point qu'un homme peut se donner la mort pour avoir été molesté ou simplement pénalisé par une femme.

Donc oui cette histoire à sans doute été déformée afin de servir certains objectifs. Mais la perversion et le mensonge qui en sont la vraie base sont ceux qui gangrènent la société humaine mondiale depuis trop longtemps, et si ils finissent aujourd'hui par provoquer un réveil ayant une emprise sur le réel, faisant basculer le cours de l'Histoire, poussant les peuples à vouloir le meilleur, à vouloir une vie saine, libre et épanouissante, moi j'ai tendance à penser que tout celà reste avant tout un acte de Vérité.

Et cet étudiant américain, je pense, n'a à se repprocher que la maladresse de ses déclarations. Car la réalité la plus probable est qu'il existe sans doute des jeunes femmes lesbiennes qui souffrent, qui meurent ou voient mourir, en ce moment en Syrie. S'être fait la voix de ces personnes, même simplement imaginées, ne devrait pas être la cause d'une honte pour cet homme là, car il a accompagné le mouvement de l'Histoire et lui a donné un visage.
J'ai déjà eu l'occasion de vous le dire, Judith, tant que vous mettrez votre morale en surplomb de tout le reste, à coup de "le bien, le mal" en omettant de la fabriquer à partir de la boue, des luttes et des peines, vous allez vous retrouver à matricer du paradoxe paralysant, il me semble. Et ça, cette façon d'en appeler sans cesse aux valeurs, à la morale, comme vous le suggérez, ça correspond tout à fait avec la variante couillue du traitement de l'actualité telle qu'il est stéréotypé par Anne-Sophie.
Morale et Révolution : relisez ou lisez Trotsky
Leur morale et la nôtre.
[quote=Judith Bernard, "péremptoirement"]Chronique de genre féminin : s’achevant sur du doute, de la perplexité, et le sentiment qu’il faudrait encore creuser et creuser…

Bon, bon bon. Après Anne-Sophie Jacques et Daniel Schneidermann, il faut se résoudre au constat que ce mensonge-ci a définitivement intégré la mythologie oficielle du site (et consolidera d'autant les stéréotypes des abonnés). Et que @si se situe clairement en queue du train sur les questions féministes et les problématiques genre. Pas surprenant qu'il faille alors "convaincre" (c'est-à-dire "causer toujours") d'y consacrer une émission. On verra ça dans dix ans, comme d'habitude, quand le sens commun l'aura intégré, et que cela sera devenu aussi évident que les constructions raciales ou la critique bourdieusienne des dispositifs télévisuels. Ce n'était sans doute pas l'endroit où s'attendre à des avancées au niveau vulgarisation des sciences humaines...

Peut-être une carence de doute, de perplexité, et d'envie de creuser. Aha c'est sûrement parce qu'ils ont pas assez de femmes féminines avec des idées femelles c'est pour ça ahaho.
Terrible question : les initiateurs de la révolution ne seront-ils pas tentés de la continuer en manipulant si besoin est ?
Chez les Romantiques c'est la vérité qui se produit dans le mythe. Novalis écrit : "il n’y a d’histoire, d’une manière générale, que l’histoire qui peut être aussi une fable."
http://sarafidis.wordpress.com/2011/02/01/poesie-et-logique/
Qu' importe que Mohammed Bouazizi ait été bac+2 ou pas ; qu' il ait été giflé ou pas ; la confiscation de sa balance par la policiére l'a poussé à ce suicide horrible ; l' essentiel en est le résultat : le départ de la clique Ben Ali - Trabelsi .
Bon, ben Alain K m'a coupé le sifflet. Voté...

Deux questions :

- Même si son article est bien écrit, je me demande pourquoi la version du journaliste de Libé serait la bonne ?
On change de martyre, et d'icône ?

- La révolution tunisienne a t-elle vraiment eu lieu ? et où en est le pays aujourd'hui ?
Waouh, Judith, superbe Kro (que j'ai bu comme du pti lait..), qui met bien en lumière pour moi, la richesse et la complexité de la personne humaine...
Votre dernier paragraphe, sorte de retour sur votre écrit pourrait en être l'illustration...
Il rejoint les histoires et les paradoxes que vous citez, pour en créer involontairement une autre et ouvrir encore plus le champ de la réflexion sur la "condition d'être humain"...
Cela m'a fait penser, dans un autre registre, à un d@ns le texte avec Nabe, où tentant de "trouver des failles"dans le personnage/narrateur/auteur vous en aviez involontairement révélé les vôtres...
Ne serait-ce pas cela l'humanité? Des certitudes qui peuvent se trouver ébranlées/renforcées, des forces qui recèlent des faiblesses et l'inverse, de la "masculanité"et de la "féminité"?
Une bien belle chronique donc, qui m'a touché- mais n'étais-je pas déjà "conditionné à l'apprécier? Peut-être, mais ce qu'il me reste c'est le sentiment d'une grande communauté d'êtres humains et cela ne m'est pas désagréable...
La "sainteté" des liens du sang !?
Jésus Marie Joseph !
Vous voilà mûre pour un poste d'enseignante à Notre-Dame-des-Oiseaux, Judith.
On enseigne, dans les ateliers d'écriture, la différence entre le vrai et le vraisemblable : le récit du vrai a souvent peu de poids parce qu'il manque de construction, de mise en scène ; le vraisemblable, lui, s'articule sur de l'invention, de l'exagération, est régi par une mécanique implacable et parvient ainsi à faire ressentir la vérité.
Privilégier le vraisemblable aux dépends du vrai, c'est ce qu'ont fait les activistes tunisiens.
Pour que jaillisse la vérité.
Petite question, pas tordue (si, si) : aurait-on réussi à échafauder ce mensonge, à y faire croire, à lui donner sa force, son retentissement, si la policière avait été un policier ?

Deuxième question (à moi, celle-ci) : si j'avais eu moi aussi comme ces gens les mains dans le cambouis, si je n'avais pas été confortablement assis devant mon écran dans un pays qui, quand même, n'est pas la Tunisie sous (vraiment sous) Ben Ali, aurais-je participé audit mensonge ?

Ceux qui veulent se la poser, ne vous gênez pas :-)

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