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En 2001, Taubira a-t-elle minimisé l'esclavagisme non-européen ?

Violente attaque du patron de l'UMP. S'adressant aux électeurs du FN, Jean-François Copé a déclaré : "Quand on vote Front National, on a la gauche qui passe" et "on a Taubira". La nouvelle garde des Sceaux semble être devenue une cible pour la droite, et l'extrême-droite. Lemonde.fr résumait hier les principales attaques avancées à son encontre. Outre une fausse accusation d'avoir tout récemment minimisé le fait de brûler le drapeau français, la "réacosphère" reproche aussi à la nouvelle ministre d'avoir voulu "étouffer" dans les mémoires, lors du vote de la loi de 2001 qualifiant l'esclavage de crime contre l'humanité, la traite négrière organisée par des esclavagistes arabes. La loi n'aurait visé qu'à accuser les seuls blancs. Vrai ?

Derniers commentaires

Et oui, tout le monde le sait : la police est à droite et la justice à gauche ...
Jusqu'au jour ou un magistrat se fait agresser ... Et là c'est plus pareil .
ouai... De belles paroles, mais la réalité est là, tous les jours, dans les cités, dans les geolles de GAV, dans les prisons !
Certes, maintenant, on va tenter de minimiser leur nombre ... (plus de correctionnelle pour les mineurs , super mme la ministre...du comunautarisme )

Demandez à n'importe quel flic, ou geollier de France, quelle est leur "clientelle" ?
Bon, tout cela pour dire et, penser, que le choix d'une autre personne aurait été plus judicieux, et moins sujet à polémique ...
La droite lance depuis deux semaines nombres de boules puantes, ce qui nous laisse présager que le climat ne sera pas meilleur avec une droite à l'opposition qu'avec une droite au pouvoir.
Cela dit, cette boule puante-là mérite d'être vue avec un peu de hauteur. En effet, en 2001, la loi Taubira a été votée à l'unanimité. Ce qui traduit non pas tant le consensus sur le passé national que partagerait droite et gauche mais le consensus autour de l'utilisation mémorielle du passé par les hommes politiques, utilisation potentiellement dangereuse.
Que des hommes politiques donnent leur avis sur le passé, qu'ils aillent inaugurer leur mandat en allant fleurir la tombe de Jean Moulin, en reconnaissant la culpabilité de l'Etat français dans la Shoah ou en rendant hommage à Curie et Ferry, rien de plus légitime: l'acteur qui fait cela indique dans quelle filiation il entend se situer, dans quelle perspective il entend s'inscrire. Il prend en charge à l'instant T un rapport au passé, pour dire dans quel sens il entend mener son action. L'hommage au passé sert à légitimer une action politique présente. Par contre, quand l'Etat légifère sur le passé, c'est-à-dire quand il inscrit dans la loi ce qui est censé être une Vérité officielle, il montre son caractère potentiellement totalitaire, ou du moins les aspirations totalitaires des législateurs votant de telles lois. Que je sache, à part dans les anticipations orwelliennes de 1984 et dans l'Allemagne Nazie et dans l'URSS communiste, il n'y a aucun Etat démocratique qui légifère sur le passé. Car le rapport d'une société à son passé est complexe, une société étant plurielle dans les groupes qui la compose. Il y a des individus qui se définissent selon leurs classes sociales, d'autre selon leur sensibilité religieuse, d'autres selon leurs tendances sexuelles etc. Chacun de ces groupes se légitime en portant une mémoire particulière qui lui confère une identité propre. Dans un Etat démocratique, l'Etat ne doit se faire le porteur d'aucune mémoire officielle, car cela revient à mettre en avant la mémoire d'un groupe particulier, ce qui ne peut être faitqu'au dépend des autres groupes de cette société (exemple: la loi de 2005 sur le role positif de la colonisation: les élus porteurs de cette loi se situaient du côté d'une mémoire pied-noire, et donc immanquablement contre la mémoire des populations françaises issues des anciennes colonies). Le but d'un etat démocratique est de permettre la coexistence pacifique de ces mémoires, en favorisant la recherche, en permettant d'historiciser ces mémoires afin que chaque groupe se sente à la fois reconnu et puisse, par un rapport dépassionné au passé, se détacher de ses propres représentations, qui sont toujours des carcans souvent imposés aux individus du groupe. Donc l'Etat , dans un Etat démocratique, ne devrait pas légiférer sur le passé, à moins de vouloir imposer une lecture unique sur ce passé mais faire en sorte que les mémoires que chacun porte puissent être comparées, discutées, dans le cadre du développement de l'esprit critique que l'école devrait favoriser. C'est le sens de la pétition "liberté pour l'histoire" qui a donné naissance à une association d'historiens du même nom: le métier des historiens est menacé à partir du moment où l'Etat, pour répondre à la demande de tel ou tel groupe, promeut une mémoire officielle: tout travail historique qui la remttrait en cause serait donc "hors la loi". Or par définition, le travail historique est "révisionniste". Le terme est galvaudé en France du fait de son instrumentalisation par les négationnistes, mais les historiographies étrangères assument pleinement le mot: remettre en cause ce qu'on croyait sûr par le passé, proposé de nouveaux récits sur le passé à partir de questionnements nouveaux s'appuyant sur une lecture nouvelle des sources, mais scientifiquement rigoureuse.
Tout cela pour dire que si l'UMP est de mauvaise foi en attaquant la loi Taubira, elle peut le faire car cette loi propose une "vérité" officielle. L'UMP a beau jeu alors d'essayer de voir à quelle clientèle cette loi voulait répondre. Mais le problème n'est pas la loi Taubira. Le problème est la prétention totalitaire que les élus de droite comme de gauche ont à l'égard du passé. On pourrait attendre du nouveau gouvernement, comme gage de vertu démocratique, qu'il se refuse à légiférer sur le passé, laissant la discussion sur le passé à la société civile et au débat intellectuel, tout en assumant de donner sa propre lecture du passé, par des actes symboliques.
Votre développement tomberait juste s'il s'agissait d'autre chose que la loi Taubira. Celle-ci ne propose aucune "Vérité officielle", sinon que l'esclavage et la traite sont un crime contre l'humanité (ce qui ne dit rien de "coupables", ni de leurs intentions). C'est l'ensemble des citoyens, et non pas une "clientèle" qui bénéficie de cette loi ; il est dangereux de faire croire que l'esclavage et la traite sont des phénomènes qui ne concernent que les personnes qui descendent des esclaves et des victimes de la traite transatlantique.
Parler de prétention totalitaire est tellement abusif dans ce cas que ce serait matière à rire si le sujet n'était pas si sérieux.
Enfin, quoi, lisez-la, cette loi ! Elle n'a rien à voir avec la loi Gayssot, ni avec la loi 2005-158 du 23 février 2005 ! Elle n'empêche ni n'oriente le travail de recherche historique ; elle l'encourage même, et ne prévoit pas de sanction pour qui viendrait discuter la qualification de crime contre l'humanité...
C'est ça qui est fort, la droite critique la gauche pour un type de lois que seule la droite a créé...
citation: "il est dangereux de faire croire que l'esclavage et la traite sont des phénomènes qui ne concernent que les personnes qui descendent des esclaves et des victimes de la traite transatlantique. " : à 100% d'accord.
Cela dit concernant votre développement, je suis en désaccord: la notion de crime contre l'humanité relève du jugement juridique, non du jugement historique. Or cette qualification juridique peut être discutée (cela ne veut pas dire que je ne pense pas que la traite ne soit pas un crime. Mais cette qualification juridique peut être débattue). L'affirmer, la poser comme une donnée revient à faire entrer dans le champ historique des classifications juridiques qui mélangent les genres : cela ne sert à faire avancer ni la cause de la justice, ni celle de l'histoire et n'amène que de la confusion. Laissons donc l'histoire aux chercheurs, aux créateurs, aux citoyens et consacrons nos efforts à régler les injustices du monde contemporain, non d'un passé qui ne concerne que les morts.
C'est bien là quele bât blesse : le passé ne concerne pas que les morts. La France est spécialiste des silences sélectifs en matière d'Histoire, notamment dans les programmes scolaires. En vertu de quoi peut-on défendre l'enseignement d'un passé uniquement glorieux, qui lui peut bien concerner les vivants ? Non, ce qui sert le plus, dans le fait de faire de l'Histoire, c'est précisément ce qui cloche. Par ailleurs, la loi Taubira laisse l'Histoire aux chercheurs : elle ne leur dit absolument pas quoi dire ni quoi penser (je me répète, je sais, mais allez-donc la lire). Elle dit juste que ces faits sont graves et qu'il faut en parler.
Bien sûr, l'histoire a à parler de ce que l'on tait officiellement. Bien sur, la science historique a à aller gratouiller là où ça fait mal: mais c'est justement le propre de l'histoire écrite par les historiens dont c'est le métier d'aiguiser l'esprit critique, pour servir de contre poids à un discours officiel. Cela dit, le champ de l'histoire doit être autonome du champ des exigences politiques. Car la loi Taubira, que j'ai lue, n'est pas neutre: en disant que la traite transatlantique est un crime contre l'humanité, elle peut aiguiser des oppositions: pour l'enseigner en classe, je sais les pincette qu'il faut prendre pour ne pas laisser croire que c'est les méchants blancs contre les gentils noirs, et que cela ne concerne pas les blancs d'un côté et les noirs de l'autre, mais des humains pouvant se comporter inhumainement contre d'autres humains. Des oppositions qu'elle ne dit de plus rien sur la traite pluriséculaire des pays arabes. L'argument de Mme Taubira selon lequel le législateur français n'a pas à s'occuper de ce qui n'est pas l'histoire française ne tient pas: en effet, les mêmes legislateurs ont votés à l'unanimité la reconnaissance du génocide arménien: or cela ne concerne pas l'histoire française. Donc à ne parler que de la traite transatlantique, on passe donc bien volontairement sous silence les autres traitres. Qu'on le veuille ou non, il s'agit bien d'une loi mémorielle, entravant le travail "serein" des historiens, leur empéchant d'écrire librement ce qu'ils veulent, et imposant une certaine doxa. Cette loi fait bien partie du coup de ces lois mémorielles entrainant une surenchère et participant à l'ouverture de la boite de pandore des conflits de mémoire.
J'enseigne l'histoire également, et ne suis pas du tout d'accord avec les implications que vous suggérez ; la loi ne dit en aucune façon que ce serait les méchants Blancs contre les gentils Noirs, mais qu'il y a crime ! Et honnêtement, je ne vois pas comment on peut nier le fait qu'il s'agisse effectivement d'un crime contre l'humanité. Mais, et c'est là qu'intervient le travail d'histoire, ce crime s'est déroulé dans des circonstances qu'il faut éclairer, suivant des logiques qu'il faut contextualiser, avec des acteurs qu'il faut identifier.

Enfin, à l'instar de beaucoup d'historiens spécialistes de ces questions, je trouve que le projet d'histoire globale de Pétré-Grenouilleau, qui domine d'aileurs les nouveaux programmes d'histoire-géographie au collège, est fortement contestable en ce qu'il existe une différence de nature entre les traites africaines et arabes et la traite organisée par les Européens -et cette différence, c'est précisément le racisme qui la fondait et la justifiait. Le projet de fondre toutes les traites en un phénomène généralisé gomme les différences fondamentales qu'il existe entre elles – et si j'avais mauvais esprit, j'ajouterais comme vous "bien volontairement"...
La discussion est fort intéressante et je m'y plonge avec plaisir. En fait, je crois que nous sommes d'accord sur le fond de ce que nous devons faire professionnellement. Notre désaccord porte sur le rôle de l'Etat dans ces questions. Lorsque vous dites "La France est spécialiste des silences sélectifs en matière d'Histoire", de quoi parle-t-on? De la société française? Des hommes politiques français? De l'Etat français? Est-ce à l'Etat de dire ce qu'il faut penser, ou à la société de susciter le débat pour que chacun se fasse son opinion. De plus, je me répète, la notion de "crime contre l'humanité" est une notion juridique du XXème siècle: ces notions juridiques sont-elles applicables au passé? N'est-ce pas un anachronisme ? Et qu'apporte-t-il en terme de connaissance et d'appréhension du passé? C'est le même débat, dans un tout autre contexte, qu'en 1997 avec le livre noir du communisme de Stéphane Courtois et Cie: dans son intro, Courtois entendait démontrer que le communisme constitue un crime contre l'humanité. Au-delà de l'argument polémique, qu'apportait à l'intélligibilité du passé que de se comporter en tant qu'historien en juge?
D'autant que cette catégorie juridique sert à juger, donc à désigner un coupable. Or qui est le coupable? "La France est spécialiste des silences sélectifs en matière d'Histoire": mais la traite n'est pas le propre de la France. Et la notion même de France fait problème: est-ce la même réalité qu'on peut désigner sous le même vocable au temps de Louis XIV et au temps de François Hollande? N'y a-t-il pas sous le même nom des réalités sociales, géographiques, politiques et culturelles radicalement différentes?
Enfin que la démarche de Grenouilleau fasse problème, qu'elle ait des arrières-pensées politiques, c'est possible, mais alors discutons-là, critiquons-là etc. MAis est-ce à l'Etat de le faire, ou à ceux qui travaillent sur le sujet?
Last but not least, si la loi n'empêche pas la recherche, si elle laisse toute latitude, si elle n'impose pas une vérité officielle, quel est son but? Reconnaître un crime? Et après? A quoi cela sert-il? C'est au pouvoir politique en charge de l'Etat à un moment donné de dire, par des actes symboliques, quel lecture du passé il fait. Mais il n'a pas à inscrire dans le marbre quelle est la vision du passé qui s'impose. C'est à la société civile, à ses créateurs, à ses chercheurs de proposer par un travail de fond une lecture du passé faisant débat dans l'espace public.
de quoi parle-t-on? De la société française? Des hommes politiques français? De l'Etat français?

De tout. De la France comme espace politique.

la notion de "crime contre l'humanité" est une notion juridique du XXème siècle: ces notions juridiques sont-elles applicables au passé? N'est-ce pas un anachronisme ?

Oui et non. C'est un jugement rétrospectif, mais l'esclavage et la traite furent en leur temps dénoncés comme des crimes "contre l'humanité" au sens du sentiment et de la dignité humaine.

Et qu'apporte-t-il en terme de connaissance et d'appréhension du passé?

Son intérêt n'est pas intellectuel (au sens d'un enrichissement du savoir), il est politique, au sens où il joue un rôle dans la cohésion sociale de l'espace politique français.

C'est le même débat, dans un tout autre contexte, qu'en 1997 avec le livre noir du communisme de Stéphane Courtois et Cie: dans son intro, Courtois entendait démontrer que le communisme constitue un crime contre l'humanité. Au-delà de l'argument polémique, qu'apportait à l'intélligibilité du passé que de se comporter en tant qu'historien en juge?

Ce n'est pas la même chose. Premièrement, Courtois est censé être historien, ce n'est donc pas son rôle de porter un jugement politique (ou alors, il doit l'assumer et ne pas se draper dans une fausse neutralité). Deuxièmement, lui disserte sur les intentions et passe sous silence un certain nombre de faits ou de nuances qu'il aurait dû au moins prendre en considération - or, si l'historien peut à mon sens se passer d'être neutre, il a le devoir d'être honnête. Enfin, c'est là la plus grosse erreur, le communisme en général est un ensemble idéologique très divers, alors que l'esclavage et la traite sont des faits. On ne peut donc pas les juger de la même façon et avec les mêmes catégories.

D'autant que cette catégorie juridique sert à juger, donc à désigner un coupable.

Pourquoi pas, mais vous noterez -je me répète- que ladite loi ne désigne pas de coupable. Donc ce n'est pas un reproche qu'on peut lui faire ! Elle ne juge pas à la place de quelque instance qui est coupable, elle reconnaît simplement que crime contre l'humanité il y a eu.

Enfin que la démarche de Grenouilleau fasse problème, qu'elle ait des arrières-pensées politiques, c'est possible, mais alors discutons-là, critiquons-là etc. MAis est-ce à l'Etat de le faire, ou à ceux qui travaillent sur le sujet?

Eh bien, l'État n'y a rien fait. Je ne comprends pas : en quoi la loi Taubira touche les travaux de Pétré-Grenouilleau ? C'est ce dernier qui, confondant crime contre l'humanité et génocide, et comparant le génocide des juifs sous le IIIe Reich allemand à la traite organisée par les Européens à l'époque moderne, a suscité la réaction d'associations qui n'ont pas apprécié ces arguments à l'emporte-pièce. L'État ne s'en est pas mêlé, ni de près, ni de loin, et la plainte a été retirée... Et le débat entre historiens continue très librement. Et les thèses de P-G sont si peu menacées qu'elles fondent les nouveaux programmes de collège ! Donc franchement, je ne vois pas à quoi vous faites référence...

Last but not least, si la loi n'empêche pas la recherche, si elle laisse toute latitude, si elle n'impose pas une vérité officielle, quel est son but? Reconnaître un crime? Et après? A quoi cela sert-il? C'est au pouvoir politique en charge de l'Etat à un moment donné de dire, par des actes symboliques, quel lecture du passé il fait. Mais il n'a pas à inscrire dans le marbre quelle est la vision du passé qui s'impose. C'est à la société civile, à ses créateurs, à ses chercheurs de proposer par un travail de fond une lecture du passé faisant débat dans l'espace public.

Mais, au juste, qu'est-ce qui vous choque dans le fait de dire que l'esclavage et la traite ont été des crimes contre l'humanité ? Cela ne dit rien des coupables, ni de leurs intenations, cela ne stigmatise personne en soi. A quoi ça sert ? A enfin digérer ce passé. Allez voir du côté de nos DOM ; vous serez peut-être surpris de constater à quel point le passé est présent.

Mais, au juste, qu'est-ce qui vous choque dans le fait de dire que l'esclavage et la traite ont été des crimes contre l'humanité ? Cela ne dit rien des coupables, ni de leurs intenations, cela ne stigmatise personne en soi. A quoi ça sert ? A enfin digérer ce passé. Allez voir du côté de nos DOM ; vous serez peut-être surpris de constater à quel point le passé est présent.

Cela ne stigmatise personne en soi, théoriquement, mais cela entretient en pratique un regard conflictuel entre français. Parmi nos concitoyens, certains vont s'identifier aux anciens esclaves ou aux anciens colonisés et considérer que son voisin "blanc" a une dette envers lui, qu'ils sont les éternelles victimes du "colon blanc esclavagiste", que le combat continue (idem dans le sens inverse, avec le discours d'"invasion" de la France par les arabes, les africains etc.). Les discriminations ont un fonctionnement complexe, elles sont favorisés par les clichés et à nouveau on renvoie chacun à un rôle historique qui favorise le cliché.

Qu'est-ce qu'il se passe dans la tête d'un enfant quand on insiste sur des rôles dominant-dominé ? Il y a des expériences célèbres de Piaget qui montrent que l'enfant ne dessine pas ce qu'il voit mais ce qu'il sait, et d'autres faites auprès d'enfants noirs, assez perturbantes, qui montrent comment ils intègrent rapidement une représentation dévaluée d'eux-mêmes (un exemple parmi d'autres : http://www.youtube.com/watch?v=ybDa0gSuAcg ).

D'un côté, Hollande propose de supprimer le mot "race" de la Constitution et de l'autre on entretient l'imaginaire racialiste ou de "hiérarchie des civilisations" issu des 2 ou 3 derniers siècles, serait-ce pour le dénoncer. Et je trouve paradoxal de vouloir d'un côté favoriser la représentation des "minorités visibles" dans les médias, la politique etc., c'est-à-dire donner des modèles positifs, et dans le même temps renvoyer à une imagerie victimaire. Quelle histoire on veut raconter ? La revanche des esclaves ? L'oncle Tom passe à la télé parce que le maître est gentil ?
A un moment, il va peut-être falloir se décider à en finir avec la reproduction de ces mentalités, cesser de les réactiver en jugeant important que ces schémas soient dans la tête d'esprits peu matures ou ignorants. L'adulte moyen se fait déjà une idée très approximatives des réalités de ces époques (faut bosser le sujet...) et toutes ces lois, ces soupes médiatiques où on mélange mentalités d'aujourd'hui et celles d'hier ne m'apparaissent pas vraiment aptes à faire évoluer les choses.

Pour ma part, je ne trouve pas sain de donner des modèles de victime ou de bourreau à nos concitoyens, de leur demander de se positionner dans des rôles qu'ils n'auraient peut-être pas eu idée d'investir si on ne leur en avait pas parlé. Si Mme. Taubira a vraiment considéré qu'il ne fallait pas trop parler de la traite des noirs par les "arabes" pour ne pas qu'ils portent cette histoire, je serais d'avis que c'est autant le principe de désignation d'un coupable que de désignation d'une victime qui pose problème : l'"arabe" ou le "blanc" n'entendent pas hériter d'un statut de bourreau (c'est un désavantage), et on pourrait se demander a contrario, quel avantage on entend retirer de l'héritage d'un statut de victime et si les "noirs" ont tous envie qu'on les remette dans une histoire à laquelle ils pourraient se sentir initialement étrangers.

Le raciste de base est renforcé dans son sentiment de supériorité génétique ou culturelle, la "bonne âme" n'a pas besoin de ça pour considérer qu'il y a des discriminations à corriger (avec tout le paternalisme que ça peut impliquer...), et l'indifférent moyen ne comprend pas grand chose à ces affaires auxquelles on veut le mêler. Patrick Le Lay avait accusé la France de "génocide culturel de la langue bretonne", et espérons que tout un chacun ne va pas demander des reconnaissances officielles de ses reproches à l'histoire de France.
Je trouverais plus sain qu'on demande plus d'enseignements sur les richesses culturelles de l'Afrique noire, du monde arabo-musulman, de la Chine, de l'Inde etc. et des cultures régionales, qu'on donne des représentations positives de l'Autre, plutôt que de se focaliser sur les rapports historiques de domination.
Eh bien, dans ce cas, il ne sert à rien de faire de l'Histoire, puisque l'Histoire, c'est précisément une suite de rapports de force.

Vous souhaitez peut-être revenir au bon temps du Tour de France par deux enfants et du "Petit Lavisse" ? C'était le bon temps de l'union sacrée.

Vous présupposez une identification des enfants aux victimes ou bourreaux d'hier selon leur couleur de peau. Mais c'est précisément le boulot de l'école et du professeur que de parler de ces anciennes conflictualités pour pouvoir en sortir aujourd'hui ! Vous pensez que les enfants n'entendent pas parler de colonisation, d'esclavage et de traite négrière ailleurs qu'à l'école ? Faire de l'Histoire, ce n'est pas réactiver d'anciennes catégories. Vous me semblez confondre un peu tout...

La guerre d'Algérie, on l'a tue pendant des décennies ; vous pensez que les enfants de France s'en sont mieux portés ? C'est ça, le boulot de l'histoire : préciser, contextualiser, nuancer, expliquer, comprendre. Vous pensez que ces gamins à la peau noire, qui ont intériorisé leur prétendue infériorité, sont dans cet état parce qu'on a trop parlé de l'esclavage et de la ségrégation aux USA ? Mais c'est précisément parce qu'on n'en parle pas qu'elle se perpétue sous le nouvel habit des discriminations actuelles.

La loi Taubira, au lieu de poser le dit et l'interdit, ne fait qu'encourager la recherche et l'enseignement des faits ayant trait à la traite et à l'esclavage, en posant en préalable que, oui, c'est un crime contre l'humanité qui a eu lieu, et que c'est cette qualification qui en fait des événements et pratiques assez graves pour qu'on en parle toujours. Ce n'est pas cette loi qui crée les discriminations ; ce n'est pas elle qui forge les conflictualités contemporaines...

(...)
La loi Taubira, au lieu de poser le dit et l'interdit, ne fait qu'encourager la recherche et l'enseignement des faits ayant trait à la traite et à l'esclavage, en posant en préalable que, oui, c'est un crime contre l'humanité qui a eu lieu, et que c'est cette qualification qui en fait des événements et pratiques assez graves pour qu'on en parle toujours. Ce n'est pas cette loi qui crée les discriminations ; ce n'est pas elle qui forge les conflictualités contemporaines...

L'interdit dans l'enseignement au secondaire ou l'espace public me semble de bonne politique. La distance critique est loin de caractériser l'attitude commune, et Mme. Taubira, en femme politique qu'elle est, doit bien savoir ce qu'il y avait de militant dans sa proposition de loi, ce qui relevait de tout autre chose qu'une incitation à la connaissance.
Les discours de concurrence victimaire sont d'actualité aujourd'hui, c'est-à-dire non pas la compréhension rationnelle des choses mais l'investissement de cette histoire pour transformer des conflits de statut économique et social en quelque chose de plus malsain.

Et honnêtement, selon vous, quelle a été la motivation de cette loi ? Comment se fait-il que des gens, soudain, se sont dit qu'il faudrait voter quelque chose sur la traite (idem pour les arméniens d'ailleurs) ? N'est-on pas en train d'"officialiser" les revendications identitaires et donner du grain à moudre à toutes les excitations malsaines sur des critères de race, d'origine ou de religion ?

Les profs d'histoire peuvent faire les efforts qu'ils veulent pour donner une vision "froide" des événements, ça deviendra tout autre chose si ces problématiques sont l'objet de passions dans le débat public.
A nouveau, ce n'est pas pour rien que Hollande a pensé faire enlever le mot "race" de la constitution : quand on met un schéma de pensée dans la tête de quelqu'un, il y reste même si on en a parlé pour le critiquer.
Et oui, ça a une influence sur l'image de soi des jeunes : si dans son cursus un enfant a 100 heures de cours sur l'esclavage et quelques mots sur les richesses des cultures d'Afrique noire, eh bien l'image finale qu'il retiendra sera celle du pauvre noir martyrisé et pas celle des rois, des sages et des artistes.

Chaque fois qu'on passe une loi "discriminante", que ce soit sur le voile, la shoah, la traite, les arméniens ou autre, il y a une tension au niveau du conseil constitutionnel parce qu'on s'éloigne des principes de citoyenneté égalitaire. On focalise les esprits sur ce qui sépare plutôt que sur ce qui pourrait unir. La mémoire, c'est bien, mais il y a une vertu à l'oubli quand on veut avancer ensemble malgré le passé.

Ce n'est pas pour rien que l'UMP se jette sur Taubira, ils savent à qui ils font plaisir. Je ne sais pas où peut mener ce clientélisme des affects mais on en est au point où les identitaires d'extrême-droite arrivent à surfer sur l'idée que le "petit blanc" est aujourd'hui la minorité opprimée, qu'on fait beaucoup d'honneurs à tout le monde sauf à eux. Même tension vis-à-vis de ces lois sélectives dans certains milieux de gauche (?) du type Riposte Laïque (cf leur réaction à la loi : http://ripostelaique.com/loi-segregationniste-sur-lesclavage-comment-hollande-a-t-il-pu-nommer-taubira-a-la-justice.html ).

Toutes ces personnes souffrent de voir le "roman national" 3e République mis à mal par la réalité historique, et si on doit construire autre chose pour un "vivre ensemble", on pourrait revenir aux principes de la Révolution Française, revenir à une idée de projet commun pour l'avenir, plutôt que d'insister sur un fondement par le passé, les "racines" des uns ou des autres. L'unité naturelle d'un peuple français originel est un mythe, ce mythe est mort, alors, personnellement, j'attendrais des politiques qu'ils focalisent les esprits sur autre chose que le passé.

J'avoue que je n'en ai jamais parlé aux antillais que je connais, de peur de les renvoyer à une histoire dans laquelle ils ne se reconnaîtraient pas mais j'aimerais bien savoir si cette loi était censé apporter quelque chose aux descendants d'esclaves et quoi. Personnellement, ce sont les conceptions du genre de Gaston Kelman, l'auteur de "Je suis noir et je n'aime pas le manioc", que j'apprécie le plus. "Je voudrais cesser d'être un Noir. Je voudrais être tout simplement un homme.", dit-il dans la ligne d'un Frantz Fanon qui sortait de la question raciste par l'universalisme humaniste oubliant vraiment les distinctions de race, d'origine, de religion.
Question de sensibilité, mais toutes ces histoires me donnent l'impression de devoir supporter les névroses historiques de tel ou tel groupe ayant besoin de sa petite loi pour se sentir mieux. La législation française n'est pas le cahier d'un psychanalyste, elle n'est pas là pour inscrire les mémoires blessées des uns et des autres, y compris d'ailleurs celle des nostalgiques de "racines chrétiennes" ou de "nos-ancêtres-les-gaulois".
P.S. : pour Kelman, je parle bien de ses principes de pensée. Pour ce qui est des conséquences "opérationnelles" qu'il en a tiré dont se mêler de l'"identité nationale" à la Besson, c'est une autre affaire...
Bon, trois choses.

1 - [quote=Faab]Et honnêtement, selon vous, quelle a été la motivation de cette loi ? Comment se fait-il que des gens, soudain, se sont dit qu'il faudrait voter quelque chose sur la traite (idem pour les arméniens d'ailleurs) ? N'est-on pas en train d'"officialiser" les revendications identitaires et donner du grain à moudre à toutes les excitations malsaines sur des critères de race, d'origine ou de religion ?
Depuis quand l'esclavage et la traite n'est que l'affaire des personnes à peau noire ? En quoi est-ce "identitaire" de dire que ces deux faits sont des crimes contre l'humanité ? On parle bien de crime contre l'humanité, par de crime contre les "nègres". Et, encore une fois, ce serait bien d'arrêter de mettre sur le même plan la reconnaissance d'un crime contre l'humanité et le jugement qui consiste à qualifier un massacre de génocide. Cette loi vise à dire les choses, non pas pour privilégier la mémoire des esclaves sur celle des négriers, mais pour dépasser les fondements racistes de la société française. Cette loi ne sert pas au passé, elle sert à reconstruire la communauté politique au présent, en conviant l'ensemble des citoyens à regarder les faits passés tels qu'ils sont pour enfin en terminer avec le silence complice qui entoure les effets de l'aveuglement volontaire passé.
Je vous répondrai donc par deux questions :
- En quoi l'esclavage et la traite négrière ne concernent-ils que les victimes de ces systèmes et leurs descendants ?
- En quoi dire que l'esclavage et la traite négrière sont des crimes contre l'humanité, ce qu'ils sont évidemment, et d'encourager la recherche et l'enseignement d'une part, l'entretien actif de la mémoire d'autre part, est "identitaire" ? En quoi cela pose-t-il problème ?

2 - [quote=Faab]Les profs d'histoire peuvent faire les efforts qu'ils veulent pour donner une vision "froide" des événements, ça deviendra tout autre chose si ces problématiques sont l'objet de passions dans le débat public.
Mais à qui la faute ? La "passion" dans le débat public n'est que le fait des personnes que cela gêne de voir reconnaître que ce qui fut un des piliers de l'économie en France est un crime contre l'humanité. Comment voulez-vous qu'une réconciliation ait lieu si des gens ne peuvent même pas accepter ça ? Ces "personnes qui souffrent de voir le "roman national" 3e République mis à mal par la réalité historique" n'iront pas serrer la main de leur voisin à gueule d'arabe du jour au lendemain simplement parce qu'on aura passé sous silence les crimes passés et/ou que l'on propose un projet d'avenir qui, niant le racisme contemporain et ses racines, ne peut que le perpétuer.
Dans votre conception des choses, on dirait que l'histoire ne sert à rien et qu'il est dangereux même d'en faire pour l'unité nationale.
Or, je vous ferais remarquer que, même si on ne fait pas de l'histoire, celle-ci s'impose à nous dans les récits et la conception du monde des personnes qui nous entourent. Arrêter d'étudier l'histoire conflictuelle, c'est donner des gages aux groupes dominants qui y ont participé et à leurs supporters – dans le cas qui nous occupe, aux racistes et autres nostalgiques de la domination européenne sur les contrées sauvages. Éviter un travail politique collectif sur cette question, c'est précisément faire ce que vous reprochez à cette loi, mais pour le groupe "d'en face", c'est leur donner raison. Il ne faut pas en parler, on n'est pas responsables, on n'a rien à se reprocher… Quoi, il faudrait ménager la susceptibilité de ces gens-là et ignorer ce que peuvent ressentir aujourd'hui les descendants des esclaves, qui, à tort ou à raison, se perçoivent comme les héritiers et les porteurs de mémoire de cette histoire qui, je le répète, nous concerne tous en tant que citoyens ?
Prenons un exemple parallèle osé : refuseriez-vous de légiférer sur le viol parce que ça chiffonne les violeurs ?

3 - [quote=Faab]dans la ligne d'un Frantz Fanon qui sortait de la question raciste par l'universalisme humaniste oubliant vraiment les distinctions de race, d'origine, de religion.
Frantz Fanon n'a fait que parler du racisme, précisément pour résoudre cette question. Comment voulez-vous résoudre une question que vous ne voulez pas poser ?

En aparté : si on veut retirer le mot "race" de la Constitution, ce avec quoi je suis entièrement d'accord, c'est bien parce que les races n'existent pas. Si elles n'existent pas, on ne peut pas supposer leur existence même dans une phrase qui interdit les discriminations. En revanche, il ne faut pas oublier que si les races n'existent pas biologiquement, elles sont une réalité socioculturelle forgée par le racisme, non pas au sens où le racisme créerait effectivement des races, mais au sens où ce sont des catégories qui agissent socialement en conséquence des représentations racistes. D'où le problème : si les races n'existent pas, les discriminations selon la race (supposée) existent. Comment traduire cela dans la constitution ?
J'avais fait une réponse très longue mais ce sera seulement long...

Cela ne me pose aucun problème que l'Etat subventionne des manifestations culturelles, des rappels historiques ou autre, sur quelque sujet que ce soit.
Par contre, la fabrication d'une histoire officielle dans des buts politiques, le fait qu'on veuille désigner ce qui doit être important dans nos mémoires, que ce soit "nos ancêtres les gaulois", "nos ancêtres les esclaves" ou "nos ancêtres les esclavagistes" ne convient pas à ma conception de la République.
Il y aurait beaucoup à dire sur comment on est passé d'une République des valeurs, celle de 1789, à une République des "français" dès 1793-94 jusqu'au "roman national" de la 3e République et les nationalismes exacerbés de cette époque.
Ce genre de cheminements se voulant fondateurs par l'Histoire n'est pas sans me rappeler Platon, dans La République, disant qu'il faudrait créer de toute pièce un mythe de l'autochtonie pour donner aux citoyens un rapport "organique" à la terre-mère.

- En quoi l'esclavage et la traite négrière ne concernent-ils que les victimes de ces systèmes et leurs descendants ?

Avant la loi Taubira, l'esclavage était déjà définie comme crime contre l'humanité par l'article 212-1 du Code Pénal. Cette loi n'a fait que focaliser sur une histoire particulière et un coup d'oeil aux débats précédent l'adoption de la loi semble indiquer que c'est d'abord un geste symbolique vers les DOM-TOM comme on en a fait ensuite un vers les arméniens. Et je mets dans la même catégorie la loi contre la "burka", c'est-à-dire cette fois un geste symbolique vers la france des "je-me-sens-menacé-par-l'Islam".

Dans votre conception des choses, on dirait que l'histoire ne sert à rien et qu'il est dangereux même d'en faire pour l'unité nationale.
Or, je vous ferais remarquer que, même si on ne fait pas de l'histoire, celle-ci s'impose à nous dans les récits et la conception du monde des personnes qui nous entourent.


Pour ma part, je ne me reconnais dans aucune histoire de France, j'ai même une perception plus que mitigée du fond culturel européen où l'esprit guerrier, l'esprit de conquête a généré depuis 3000 ans une suite permanente de conflits. Quand on est arrivé au bout du potentiel de destruction (Hiroshima...), on a inventé la guerre froide et la guerre économique pour continuer la guerre par d'autres moyens. Même dans la sphère intellectuelle, on tend à tout considérer comme un conflit (dispute philosophique, politique comme opposition de partis, économie comme concurrence etc.).

L'esprit "psychanalytique" imprègne la société, on prend pour acquis qu'il faut se tourner vers les problèmes du passé pour régler ceux d'aujourd'hui, mais pour ma part je trouve ça aussi (peu) efficace que la psychanalyse, ça ne marche que pour ceux qui y croient. Au demeurant, Freud le disait déjà : ce n'est pas le souvenir qui compte, c'est la charge émotionnelle qu'il contient, ce qu'on en fait.
Vu l'histoire de l'Europe, j'aurais tendance à voir l'avenir dans une rupture avec cette histoire, dans un regard qui dise : "bon, 3000 ans à jouer les Rambo, à se glorifier de nos grands conquérants, c'est pas là qu'on va trouver de quoi construire un monde apaisé avec nos voisins alors passons à autre chose".

Ou plutôt, cette histoire pose des questions suffisamment complexes sur nos mentalités pour qu'on n'aille pas croire qu'on en finira par des cérémonies. Pour ma part, c'est du côté de la création culturelle que je vois le meilleur moyen de s'en saisir, par des romans, des films, y compris des choses très populaires comme "Case départ" en ce qui concerne la mémoire de l'esclavage des DOM-TOM, "Indigènes" pour celle des magrhébins etc.

A mon sens, il faut incarner ces histoires, faire entrer les gens dans l'esprit de l'autre. Les déclarations aussi officielles qu'abstraites m'apparaissent impuissantes à changer les regards et provoquent même des réactions de rejet contre-productives.
Face au rappel "institutionnalisé" de la Shoah, on voit une réactivité imbécile du type "dommage que les nazis n'aient pas fini le boulot", quand on a fait la déclaration sur le génocide arménien, internet a été agité de réactions nationalistes turques brutales, et avec la traite négrière, des identitaires grands fans de Léonidas et Charles Martel sont prêts à se la jouer "grands prédateurs" revendiquant d'être les "plus forts" ("vae victis", malheur au vaincu, comme aurait dit le gaulois Brennus).

C'est pour moi une naïveté de croire que nous intégrons facilement une responsabilité morale, qui plus est historique. Le souci actuel de la plupart des gens est leur "pouvoir d'achat" et si ils pleurent sur la misère dans le monde devant un show télévisé, ils deviennent rapidement durs quand il s'agit d'avoir un malien, un rom, ou même un SDF bien "gaulois" à leur charge. On se donne bonne conscience avec de grandes déclarations qui n'engagent à rien mais derrière c'est "moi d'abord" ou "les français d'abord".

Aux premiers temps de la Révolution, certains revendiquaient que tous les défenseurs de la liberté dans le monde soient des citoyens naturels de la nouvelle république. La nouvelle république n'était pas pour eux "française", elle était le lieu de départ d'un nouveau monde.
Me sentant assez proche de cet esprit de "république philosophique" à tendance cosmopolite, je n'ai pas vraiment de goût pour les "républiques historiques", ces fondements des appartenances par les histoires, les lignages, les héritages, qui, d'ailleurs, me semblent foncièrement plus adaptés au logiciel idéologique de droite ou d'extrême-droite (le sang et la terre) que de gauche.

Il se peut que ma perception soit minoritaire et que la plupart des gens ne conçoivent l'identité que par rapport à une histoire, une mémoire, une tradition et un cérémoniel chargé de le réactiver. Pour certains, un peuple n'est d'ailleurs peut-être que ça d'où les affaires de "racines", de "devoir de mémoire" etc. Mais au niveau des Etats, à une époque où les populations sont de plus en plus mélangées, je trouverais sensé de penser à une "laïcité positive des mémoires", une neutralité de l'Etat par rapport aux histoires de chacun : que les régionalismes, y compris les DOM-TOM et leur histoire particulière, les arabo-musulmans, les vietnamiens etc. aient un espace d'expression de leurs héritages me semble normal, et que l'Etat participe à cette expression ne me dérange nullement, comme il subventionne le théatre classique français, mais cela n'implique pas de mettre en avant telle ou telle "racine" par des proclamations officielles. D'ailleurs, plutôt que le 14 Juillet célèbre un événement historique, je préfèrerais qu'il célèbre la devise "Liberté, Egalité, Fraternité", un projet politique.

Cette loi vise à dire les choses, non pas pour privilégier la mémoire des esclaves sur celle des négriers, mais pour dépasser les fondements racistes de la société française. (...) c'est donner des gages aux groupes dominants qui y ont participé et à leurs supporters – dans le cas qui nous occupe, aux racistes et autres nostalgiques de la domination européenne sur les contrées sauvages. Éviter un travail politique collectif sur cette question, c'est précisément faire ce que vous reprochez à cette loi, mais pour le groupe "d'en face", c'est leur donner raison.

Vous vouliez vraiment dire "Les fondements racistes de la société française" ou "les fondements du racisme dans la société française" ?
Et qui sont ces "groupes dominants qui y ont participé", qui est concrètement le "groupe d'en face" ? Vous remontez les généalogies pour chercher l'origine des fortunes ou vous parlez d'adversaires idéologiques ? A part quelques vieux élevés au temps des colonies, vous croyez qu'il y a encore beaucoup de gens assumant un esprit "banania" ?
Parce que, pour ce qui est de l'exploitation des "contrées sauvages", à l'heure actuelle, on y participe tous par notre simple mode de vie, et sur les sources des discriminations, il me semble que c'est plus complexe que l'adhésion idéologique, que l'appartenance à un groupe défendant des thèses "suprématistes".

D'autre part, si historiquement, le développement technologique et démographique a permis aux européens la conquête sur les 5 continents, cela n'aurait pas forcément été plus doux si les zoulous, les aztèques, les turcs, les mongols, les berbères etc. avaient été à leur place. La mentalité prédatrice n'est pas l'apanage des européens et rien ne dit qu'on gagne grand chose dans les décennies à venir le Brésil, la Chine ou l'Inde seront peut-être les oppresseurs.

Frantz Fanon n'a fait que parler du racisme, précisément pour résoudre cette question. Comment voulez-vous résoudre une question que vous ne voulez pas poser ?

La loi Taubira la pose d'une manière trop sélective pour moi.

Citations de Fanon tirées de cette conférence :
"Vais-je demander à l’homme blanc du XXème siècle d’être responsable des nègres du XVIIème ?
Je ne me fais l’homme d’aucun passé.
Qu’on le veuille ou non, le passé ne peut en aucune façon me guider dans l’actualité."

D'où le problème : si les races n'existent pas, les discriminations selon la race (supposée) existent. Comment traduire cela dans la constitution ?

Tant qu'il y aura des racistes, il faudra effectivement indiquer qu'on ne veut pas de cette idéologie. Mais si l'idée a émergé d'enlever le terme de la Constitution, c'est qu'on sait bien que celle-ci disparaît, que cela tient moins aujourd'hui d'une idéologie que de réflexes un peu honteux. Les Zemmour et Le Pen-père jouent encore la provocation mais à mon sens, le fond du problème est celui du rapport entre France en tant qu'histoire voire même modèle imaginaire du "français type" et France en tant qu'institution, en tant qu'Etat.
Le lobby gay veut enlever "race" et ajouter "le sexe, l’état de santé, le handicap, l’orientation sexuelle et l’identité de genre". A ce compte, on pourrait aussi rajouter tout ce qui est dans la loi concernée, et puis l'accent, le style vestimentaire, le quartier d'où on vient, l'engagement politique etc., tout ce qui fait qu'on sort d'une vague image de conformité rassurante.
A mon sens, on ne s'en sortira pas comme ça et autant en rester à "la République assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens" en laissant le détail à la loi et la jurisprudence selon les tendances du moment. Mais bon, de toute manière, je ne crois pas que la loi soit l'élément principal dans tout ça. Personnellement, j'aurais par exemple du mal à ne pas faire de discrimination selon les opinions politiques en dépit de la loi : j'aurais par exemple du mal à travailler avec quelqu'un affichant une idéologie de droite dite "populaire" ou d'extrême-droite...
Bon bah, j'ai plus rien à ajouter, vous avez dit exactement tout ce que je voulais dire en écrivant le premier post qui a donné lieu à cette discussion qui m'a bien plue, car les logiques qui s'y sont exprimées, surtout quand elles ne sont pas les miennes, sont fort éclairantes. Mais je remercie Faab pour ce long développement qui résume à peu près tout ce que je pense: oui à une intervention à un moment donné du corps politique pour dire quelles références aux passés il privilégie, mais non à une inscription dans le marbre de la loi du rapport d'une société à son passé.
Madame Taubira est de tous les gardes des sceaux celle qui honore le mieux la répubique française. Tant qu'elle sera en fonction, nous pourrons dire: On est en démocratie.
Il vaut peut-être mieux attendre de voir son action avant de lui donner un titre...
le problème n'est décidément pas du passé mais bien justement du présent car si cela était vraiment dépassé, d'une part cela ne susciterait pas autant de commentaires (ici et ailleurs) et d'autre part on n'en aurait pas fait une loi.
putain ! Ils savent plus quoi trouver... toutes ces boules puantes ridicules mais surtout infondées, que les médias relayent dans l'heure qui suit alors que pour Karachi et Bettencourt ils ont attendu plusieurs semaines après les publications de mediapart....
je sais que je suis pervers, compliqué et complotiste...mais l'UMP et les médias avec tous ça jouent gagnant gagnant !
-si les gens gobent ça discrédite le Ps et fait gagner des voix à la droite
-si les gens n'y croient pas , ça peut en convaincre certains, que sur internet y a que des conneries et des médias fascistes, qu'il ne faut pas additionner les blogs et les tweets pour ébruiter des rumeurs, et que l'UMP a été victime de toutes ces rumeurs ces blogs et ses tweets qui comme pour le PS aujourd'hui n'étaient que des boules puantes et une campagne médiatique anti Sarkozy...c'est l'effet de lissage , de renvoi dos à dos, sur un pied d'égalité de la droite et de la "gauche"..on tente de faire croire qu'ls sont identiques sur le seul terrain où ils sont manifestement différents...Et on tait leur véritable similitude qui se situe évidemment au niveau de la politique économique et européenne....

on continue à nous rouler dans la farine...seule solution : une purge !!! Attention ! pas de goulag ! pas de redressement idéologique, pas de torture, pas d'éxécution , juste des licenciements, juste changer les personnes, juste retirer les micros à tous les rouleurs dans la farine.
Super article, Laure !

Il faut ajouter que si cette loi était nécessaire, c'était aussi une façon de dire à notre France des Amériques : certes, vos ancêtres sont arrivés dans notre communauté nationale d'une façon terrible. Nous en prenons acte en tant que communauté, et les choses sont claires pour nous comme pour vous. Maintenant, on passe tous à autre chose dans le cadre de la démocratie.
Le repentir, ça dure toute la vie, la reconnaissance de la faute, c'est une étape du pardon.
Et ces lois ne sont pas des lois de repentir, mais au contraire pour passer à autre chose.

Mais la droite ne peut pas s'empêcher de ressasser. C'est plus fort qu'eux. Qu'ils restent dans leur m....
on comprends l'UMP, avec une ministre de la justice comme Taubira il va y avoir des bruits de casseroles...
Pourquoi construire un tableau d'horreur sur qui a fait quoi ? On aura avancé quand on mettra les faits sur la table, juste pour pouvoir raisonner correctement.

Mme Taubira est un profil rare en politique, quelqu'un qui a des valeurs, une réelle culture et une force de caractère propre à résister à ces assauts veules de l'UMP.
Donc pour l'instant la plupart des attaques de la droite contre un gouvernement qui n'a encore rien fait sont dirigées contre une femme noire. C'est quand même bizarre hein.
Elle aurait mieux fait de pondre une loi sur le génocide arménien !
Marre de voir utiliser le terme "patron" à tout bout de champ ! Pourquoi ne pas écrire le définition exacte de la fonction plutôt qu'un mot, plutôt moche d'ailleurs, qui à un sens très précis contrairement à ce que l'on peut penser.

A corriger donc, d'avance, merci.
Un article de loi ne "stipule" pas, il dispose !!!!!!!!!!!!!!!!
Incroyable, l'extrême droite et la droite extrême ont trouvé un prétexte pour cogner sur une Guyanaise qui n'a pas cité toutes les formes d'esclavagisme sur la planète, et pour cette raison.
Quant à Coppé.. non les mots me manquent. Disons qu'il est le frère politique de Morano et de Lefevre sans parler de Besson et d'Hortefeux.
Ça devrait suffire.
[quote=Jean-François Copé a déclaré : "Quand on vote Front National, on a la gauche qui passe" et "on a Taubira"]

Et quand c'était Sarko, on avait Léon Bertrand, maire de Saint-Laurent-du-Maroni de Guyane, ministre du Tourisme qui a fini par tuer le job et d'ailleurs, fini à la Justice, du mauvais côté !
Ce qu'il me parait par ailleurs bon d'ajouter, c'est que dans la société française d'aujourd'hui, les traces de l'esclavage les plus prégnantes sont bien celles qui ont été commises par les colons français (et occidentaux) sur les populations des pays colonisés ou pourvoyeurs d'esclaves pendant la colonisation.
Colonisation qui continue d'être effective de nos jours au travers de discriminations diverses subies par les noir-es et arabes. Je n'ai par contre pas ouï dire de discriminations systémiques de la part d'arabes envers les noir-es dans notre pays.
Il me semble donc que cette tentative de symétrisation de la part des ripostes laïque va bien dans le sens d'une négation sur les conséquences de l'esclavage et de la colonisation. Autrement dit, si tout le monde a esclavagisé, alors chacun est victime, et donc les discriminations actuelles qui dérivent de la colonisation sont dues non pas à ce système raciste, mais à la personnalité des personnes subissant les discrimination.
En gros, il s'agit au travers de ces attaques contre Taubira d'invisibiliser le caractère inégalitaire et systémique de l'esclavage et de la colonisation, et de nier la culpabilité des pays occidentaux.
Waow ! Je suis le premier !
Alors allons-y.

- La traite et l'esclavage ne sont, ni sur le plan sémantique, ni sur le plan historique, des génocides, pour l'exacte raison qu'avançait Mr Petre-Grenouilleau.

- La simple existence de lois dites "mémorielles" est une insulte à l'histoire, qui est une science humaine en constante évolution avec l'avancée des découvertes documentaires. La loi de la République n'a pas à dire ce qu'il faut ou non penser de la réalité historique en définissant un dogme duquel on se peut s'écarter que sous peine de sanction. Sinon ce n'est plus une loi républicaine, mais un canon.
Dire que telle réalité historique constitue un crime contre l'humanité est une chose. Dire que telle partie de cette réalité n'est plus discutable sous peine de sanctions pénales en est une autre.

- Il se trouve qu'effectivement, pour ce qui concerne l'esclavage et la traite, les traite inter-africaine et arabe ont fait plus de victimes que les traites occidentales.

- Enoncer ce qui précède ne signifie pas pour autant une volonté de relativiser l'horreur insoutenable de ce fait historique, ni de déculpabiliser les sociétés qui s'en sont rendues coupables. Et encore moins se sentir proche des abrutis de la "réacosphère" qui tentent de récupérer cette polémique à des fins nauséabondes.

C'est juste énoncer des faits.

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