France 2 : Bonne note pour Blanquer (mais l’épreuve était un peu truquée)
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France 2 : Bonne note pour Blanquer (mais l’épreuve était un peu truquée)

71% de convaincus, 100% de complaisance et peu de téléspectateurs

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“Féroce”, “iconoclaste”, “pragmatique”, “compétent”, “pièce maîtresse de la Macronie” ayant “une grande capacité d’action”. Jean-Michel Blanquer a sans doute dû se finir à la vodka dans une boîte de nuit à 4h du matin pour fêter son passage à L’Emission politique, jeudi 15 février, tant ça s’est bien passé. Mais pouvait-il en être autrement ? Car Blanquer doit surtout la réussite de son grand oral à France 2 qui lui a déroulé un tapis rouge écarlate.

“Uf…”, a réagi Léa Salamé, micro ouvert. Elle aurait pu dire “ouaf”, tellement le score est énorme. Jean-Michel a littéralement explosé le compteur de satisfaction. D’après le sondage de fin d’émission, le ministre de l’Education a convaincu 71% des téléspectateurs de France 2.

Faut dire que le matin de l'émission, on nous avait prévenu : il est bon ce Jean-Michel !

Impression confortée à l’issue de cette émission….

Challenges parle même de miracle !

Alors comment expliquer ce miracle ? En réalité, rarement une émission du service public n'aura été aussi complaisante avec un ministre. Une complaisance que l’on doit aux journalistes (mention spéciale à Nathalie Saint-Cricq) et surtout au choix des contradicteurs.

La réforme du bac ? Sur ce sujet, France 2 a choisi deux lycéens pour apporter la contradiction au ministre. Il s’agit de Thomas, 16 ans (en 1ère ES) et Jean, 17 ans (en Terminale ES). 

Autant vous dire que les deux petits jeunots n’ont fait qu’une bouchée de Blanquer, à peine âgé de 53 ans (et quelques jobs d’été au sein du ministère de l’Education nationale comme recteur ou directeur général de l’enseignement scolaire).

Alors les choupinous, une petite question à Jean-Michel ? “Bonsoir monsieur le ministre, moi quand j’ai découvert votre réforme, j’ai été assez étonné parce que je l’ai trouvée très très intéressante et j’ai eu envie, un instant, de retourner en troisième pour pouvoir profiter de cette réforme”. Bam, dans les dents Blanquer.

S’ensuit un échange sur les modalités d’application de la réforme, la sélection à la fac ou encore les inégalités scolaires. 

Des échanges courtois, avec un leitmotiv : l’inquiétude. Oui, si France 2 a fait venir deux lycéens, ce n’est pas pour débattre du fond, de la philosophie de la réforme, des moyens déployés. Non, si les lycéens sont là, c’est pour exprimer un sentiment d’inquiétude comme l’a martelé Salamé à chacune de ses relances : “Qu’est-ce qui vous inquiète ?”, “Vous, vous craignez…”, “Alors Thomas, vous craignez, en un mot…” “Vous êtes rassurés ?”, ose même Salamé à la fin de l’échange.

Oui, ils sont rassurés. Tout comme Jean-Michel, qui va progressivement être gonflé comme une montgolfière à chaque nouvel interlocuteur. Un point économie François Lenglet ? “J’ai vu que vous aviez eu 17 à l’épreuve d’économie du bac, c’était, je crois, la meilleure note de votre académie”, ne peut s’empêcher de préciser le journaliste.

Une question sur la laïcité ? “Je suis pleine d’espoir parce que pour une fois, il y a une volonté qu’il n’y avait pas avant dans le quinquennat précédent. Je suis pleine d’espoir parce que vous avez une approche pragmatique et pas dogmatique. Donc pour ceci, merci”, explique une enseignante et militante associative censée pourtant lui apporter la contradiction.

Heureusement, dans cet unanimisme assez sidérant, on a pu compter sur l’invité mystère. C’est l’un des gadgets de L’Emission politique : un invité mystère est censé déstabiliser l’invité principal. On se souvient d’Angot qui avait pulvérisé Fillon pendant la campagne, ou d’Alexandre Jardin qui avait balancé une brique de lait en direction de Bruno Le Maire.

Et pour Blanquer ? Suspense...

Regardez le moment où il découvre l’invité mystère, Blanquer est vraiment mal...

Il doit sans doute penser : “Oh non, pas Jack Lang”. Et si Jean-Michel, tu vas passer un sale moment…

Mais, au fait, pourquoi Jack Lang ? Ancien ministre de l’Education et de la Culture, c’est “encore aujourd’hui l’une des personnalités préférées des Français”, assure Salamé qui n’a visiblement pas mis à jour ses fiches…

Mais peu importe, allez Jack, c’est à toi :

“D’abord, je voudrais saluer votre grande capacité d’action, et votre compétence, que je connais depuis longtemps. Je voudrais aussi vous créditer de plusieurs mesures positives que vous avez prises depuis votre arrivée : le retour du latin et du grec, qui stupidement avaient été relégués à l’arrière plan, le rétablissement des classes européennes que j’avais moi-même créées voici quelques années, le maintien et la rénovation du baccalauréat, ce monument historique, vous l’avez préservé et je vous en remercie, la suppression des filières. Simplement, une inquiétude que cela se traduise par un renforcement des inégalités…”

Simplement une inquiétude ? C’était bien la peine de le sortir de sa maison de retraite.

S’ensuit un dialogue toujours courtois sur la formation des maîtres ou le retour de la semaine de quatre jours à l’école. Avec quelques pépites au passage : “Soyez le Jules Ferry aujourd’hui de l’apprentissage” ou encore, à propos de la semaine de quatre jours : “Les trois autres jours, ces enfants vont être livrés à eux-mêmes, à la rue, selon les familles et les circonstances, aux réseaux sociaux”. Livrés aux réseaux sociaux, vous imaginez le danger...

Une dernière attaque, peut-être ? Ce sera sur le chant : “Il faut que vous formiez, département par département, des formateurs chefs de choeur pour que ces chorales soient des chorales de belle qualité”. Un beau pétard mouillé : “C’est prévu”, répond Jean-Michel. “C’est prévu ? Alors tant mieux…” conclut Jack Lang.

Quel boulevard ! Finalement, seul Alexis Corbière a vraiment apporté la contradiction au ministre en lui rappelant qu’il était numéro deux du ministère sous Sarkozy au moment des suppressions de poste.

Un mauvais moment pour Jean-Michel, vite balayé par la fin de l’émission et l’irremplaçable Nathalie Saint-Cricq. “Quand on vous appelle le vice-président dans Le Point, ce n’est pas totalement infondé”. Merci Nathalie…

La journaliste enchaîne : “Vous avez réussi un miracle, c’est de ressouder la droite autour de vous, sur votre nom. On en a la preuve en écoutant ces courts extraits”. Des courts extraits qui permettent d’en remettre une louche sur les compétences du ministre : “Le ministre de l’Education nationale M. Blanquer est plutôt quelqu’un en qui j’ai de l’estime” (Wauquiez), “Ca a toujours été, j’allais dire, quelqu’un qui avait une vision très créative, c’est un visionnaire” (Pécresse), “Jean-Michel Blanquer, d’une manière générale fait un très bon travail” (Morano), “J’ai un regard plutôt bienveillant sur M. Blanquer parce que je pense qu’il a défendu, depuis qu’il est arrivé, une vision qui ressemblait fichtrement à la nôtre” (Marine Le Pen).

Pas très sympa la référence à Le Pen. Heureusement, Saint-Cricq va se rattraper lors de sa dernière intervention : “Vous souhaitez rester ministre de l’Education nationale, la politique ne vous intéresse pas plus que ça. Mais vous qui êtes un adepte des neurosciences, si on vous mettait des électrodes et qu’on vous passait le cerveau à l’IRM, la zone de l’ambition serait totalement une zone grise ou vous pouvez un jour envisager de faire plus et mieux pour la collectivité ?” Quel piège…

Heureusement, Léa Salamé est là pour remonter le niveau : “Une de vos marques de fabrique, quand on regarde votre cursus de 30 ans, c’est l’expérimentation. Vous avez beaucoup donné la place à l’expérimentation”. Bam, dans les dents. Réponds à ça Jean-Michel : “J’essaye d’être pragmatique”.

Dans la série question ovni, le journaliste Jean-Baptiste Marteau enfonce le clou : “Est-ce que cette popularité, ça ne vous oblige pas justement à aller encore plus loin, peut-être que vous l’auriez souhaité, encore plus loin que cette réforme du bac pour faire de vraies réformes, quitte d’ailleurs à déplaire au corps enseignant”. Oh bah oui, tiens, l’horrible corps enseignant qui ne veut jamais de réforme. Mais à quoi pense-t-il Marteau ? On n’en sait rien…

Finalement, dans l’émission, à l’exception de l’intervention de Corbière, les remarques les plus critiques ne s’écoutaient pas. Il fallait les lire au bas de l’écran : sur les 14 tweets affichés au cours de l’émission, 9 sont plutôt critiques et 5 sont élogieux.

Pas suffisant pour contrebalancer la complaisance des journalistes et des pseudo-contradicteurs. Résultat : 71% de téléspectateurs convaincus. Et une séquence de fin tout en apothéose :

Salamé : “Une réaction à ce score ?”

Blanquer : “J’en suis presque ému”.

Salamé : “Y’a de quoi”.

Salamé : “Je pense que c’est le record historique, même par rapport à l’année dernière”.

Blanquer : “J’en suis très heureux. (...)

Salamé : “C’est sans doute parce qu’on a parlé beaucoup de fond, d’éducation nationale et moins de politique”.

Vraiment Léa Salamé ? 

Devinettes

1. Pendant l'émission, Jean-Michel Blanquer a raconté une anecdote sur son expérience en tant que recteur de Guyane...

a. “En Guyane, pour tout vous dire, j’ai failli perdre ma vie en allant vers des villages où il fallait aider des écoles à se construire”.

b. “En Guyane, pour tout vous dire, j’ai appris à écouter les acteurs de terrain pour mieux prendre en compte les attentes des élèves”.

c. “En Guyane, pour tout vous dire, j’ai appris à faire de la pirogue et j'en garde un très bon souvenir”.

2. Pendant l'émission, Nathalie Saint-Cricq a évoqué #BalanceTonPorc en posant une question surréaliste à propos des cas Hulot et Darmanin...

a. "Est-ce que finalement, vous, votre gouvernement, vous ne récoltez pas ce que vous avez semé avec Marlène Schiappa qui a passé son temps à disserter sur la libération de la parole encourageant des mouvements comme #BalanceTonPorc ?"

b. En fait, pas d'autres propositions, c'est bien la réponse a. C'est fou, non ?

Les réponses seront données dimanche soir, à 20h, sur mon compte Twitter (Le ou la gagnant(e) aura un bon point)

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