Sidi Bouzid et Nantes
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chronique

Sidi Bouzid et Nantes

Que faut-il, pour faire une révolution ?

Beaucoup de misère n'y suffit pas. Le spectacle de la richesse des puissants n'y suffit pas davantage. Il faut aussi la certitude que cette misère et cette richesse sont injustes. Et surtout le détonateur d'une humiliation délibérée, fût-elle minuscule. Mohammed Bouazizi se fait gifler et cracher à la figure par la fonctionnaire du gouvernorat de Sidi Bouzid, qui lui confisque son stock de fruits et sa balance. La confiscation seule aurait été supportable. Le crachat ne l'est pas. C'est ce crachat, qui conduit le jeune désespéré à s'immoler. C'est le souvenir de ce crachat, qui soulève le peuple tunisien.

Les palais de Justice français connaissent, depuis le début de la Ve République, une insondable misère matérielle. Elle n'est pas neuve. C'est depuis des décennies, que les dossiers non traités, faute de temps et d'effectifs, s'empilent dans les cabinets des juges d'instruction. C'est depuis des décennies, qu'on sous-paie de pseudo-experts, pour venir pérorer à la barre des procès des conclusions stupides, comme le racontait ce week-end une avocate, sur Rue89. Ce qu'on habille du plaisant euphémisme de "manque de moyens", la misère de la Justice, les juges, les greffiers, les policiers, en ont tous les jours le spectacle. Ils voient, au-dessus d'eux, l'opulence et les passe-droits. Ils pourraient à la limite le tolérer, à l'image de cette productrice de lait acculée à la misère, invitée hier soir du Grand journal de Canal+, et qui ne se montrait pas particulièrement révoltée par les vacances tunisiennes et les mensonges de MAM. Elle les aurait supportés, ces vacances, ces mensonges, si seulement le gouvernement se souciait des producteurs de lait.

Ce qui produit le déclic, à Nantes comme à Sidi Bouzid, c'est l'humiliation. Au plus profond de l'impopularité, en quête de rebond, Sarkozy humilie comme il sait si bien le faire, en décrétant avant toute enquête les juges et les policiers coupables d'un crime épouvantable. Mais là, quelque chose ne passe plus. Il faut croire qu'il y a, dans l'ADN des juges, un je-ne-sais-quoi qui les rend particulièrement sensibles à l'injustice, ce qui ne serait pas étonnant. L'inconvénient des Révolutions, c'est le déplorable exemple qu'elles donnent, en montrant qu'il n'y a pas de fatalité de la soumission.

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