François Bayrou, le "Monde", et les vacances d'été
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François Bayrou, le "Monde", et les vacances d'été

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François Bayrou n'aime pas les vacances, et c'est une info Le Monde. Tradition estivale : après l'article-fleuve l'an dernier sur Emmanuel Macron qui, ayant fraîchement dissolu l'Assemblée et plongé le pays dans le chaos politique, s'était "réfugié à Brégançon" pour "laisser son regard filer sur l'horizon pour réfléchir", le quotidien du soir nous délivre son dernier chef-d'œuvre de journalisme déférentiel. Cette année, c'est donc Bayrou, qui passe "un été sous le soleil de Matignon".

On nous présente François Bayrou comme un "personnage de Sempé, sur la corde raide, chargé d’affronter une situation hautement périlleuse" : celle de l'économie budgétaire prévue de 44 milliards d'euros, qui pénalisera principalement les ménages les plus pauvres. Ce budget est, selon lui, la seule solution face aux taxes douanières imposées par les États-Unis : "Les fleurons de l'industrie française, qui exportent, pourraient de fait être touchés de plein fouet". « Sur une plante, quand vous coupez le bourgeon terminal, celui qui est tout en haut, la sève ne monte plus », compare le premier ministre." Le Monde ajoute : "Et la plante dépérit." L'allégorie du "ruissellement" économique a fait son temps, vient celle de la sève-qui-monte. Le seul problème, c'est qu'elle est fausse : économiquement, tout comme le ruissellement d'ailleurs, mais biologiquement aussi, puisque lorsqu'on coupe un bourgeon terminal, ce n'est pas la plante entière qui dépérit, seulement la branche dudit bourgeon, qui va se ramifier. Et enfin, donner un peu de la sève de la branche des fleurons de l'industrie française à celles des services publics, en état de dépérissement avancé ? Mais vous n'y pensez pas !

Cet article enchaîne les analogies branlantes, soufflées par le Premier ministre lui-même. Il se compare à Mendès-France pour son courage en politique - courage consistant donc à insister que ce budget est la seule option valable, puisqu'on ne va tout de même pas taxer les ultrariches - là où Mendès-France était seul, en 1954, à défendre les mouvements nationalistes réclamant l'indépendance en Tunisie et au Maroc, accordées en 1956. Le Monde ne s'attarde pas sur cette comparaison, que l'on pourrait pourtant qualifier d'audacieuse, et évacue le contexte par un simple "débat sur l'Afrique du nord" de Mendès-France.

Parce qu'en fait, le sujet est tout autre : dans un "petit renversement de l'ordre établi", François Bayrou ne partira pas en vacances. "Je déteste prendre des vacances », assume-t-il." Quel modernisme, quelle originalité, que dis-je : quelle révolution ! Nous avions un président qui ne dort jamais ; nous voilà désormais avec un Premier ministre qui ne prend pas de vacances. De vrais surhommes ! Là-dessus non plus, le Monde n'a rien à dire, et préfère nous dérouler la pile à lire de Bayrou pour son été studieux. "L'agrégé de lettres classiques, homme de rituels, s'adonnera avec gourmandise, comme chaque été, au plaisir solitaire de la lecture, tôt le matin et tard le soir. Il lira l'intégrale d'Histoire de France, le chef-d'œuvre de Jules Michelet. Et Paul Gadenne, poète et romancier des années de guerre." ("Sous le soleil de Matignon", on ne lit apparemment aucune femme.)

Le Monde n'aborde qu'en avant-dernier paragraphe le scandale qu'a été, et qu'est toujours, l'affaire Bétharram - dans laquelle le Premier ministre, accusé par de multiples personnes, et par les faits, d'avoir eu connaissance des violences commises à Notre-Dame-de-Bétharram dès les années 1990. Le journal présente le Premier ministre comme un "Pyrénéen soulagé", qui déclare s'être "attendu à tout, sauf à Bétharram" mais qui a "pu prouver que toutes les accusations étaient manipulation". À peine le Monde rectifie-il tièdement que "début juillet, la commission d'enquête parlementaire sur les violences en milieu scolaire, lui a pourtant reproché un « défaut d'action »" sur Bétharram, tout en précisant : "Ce que M. Bayrou réfute". Le journaliste de Mediapart David Perrotin a répondu, sur X, en qualifiant cet article de "comm' de Bayrou dans le Monde", qui se heurte à la réalité : "Six mois après ce scandale, ni le Premier ministre ni le Président n'ont fait la moindre annonce pour les victimes." Pour Edwy Plenel, ce "portrait hors-sol" est le dernier exemple d'un "journalisme de gouvernement", dans lequel "l'homme politique y est campé en personnage de roman pour mieux éviter d'affronter la réalité de sa politique".

Puisque cet "été sous le soleil de Matignon" sera culturel et apprenant, voici nos conseils de révisions : pour Bayrou, macroéconomie et littérature féminine du XXème siècle ; pour le Monde : biologie, histoire de la décolonisation, et, tant qu'à faire, relecture des enquêtes de Mediapart sur Bétharram. Et si vous en prenez, bonnes vacances à tous·tes, sauf à François Bayrou, bien sûr.

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