Guetta, dernière
Le matinaute
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chronique

Guetta, dernière

Evénement dans la Matinale de France Inter. Bernard Guetta s'arrête. Après 27 ans de chronique matinale, il repart sur le terrain. Pour chercher à comprendre. Un tour du monde, deux mois minimum dans une quinzaine de pays, une petite collection chez Flammarion à l'arrivée. En ce dernier matin, c'est lui l'invité de Demorand.

Son monde était celui de la chute du mur de Berlin. Demain tous suédois ! Un avenir radieux s'ouvrait devant la social-démocratie. Quand donc est-on reparti en arrière ? Ce monde de Trump, du Brexit et de Salvini, il ne le comprend plus. Ce matin, ce n'est pas le Guetta TGV des textes écrits, qui bouffe le micro de Demorand. C'est le Guetta bégayant d'émotion, ce bégaiement jamais vaincu en 27 ans de radio, le Guetta qui se gratte à la planète, le Guetta qui a mal à la Russie, qui s'est foulé la Chine, qui s'est luxé la Turquie, qui s'est déchiré la Syrie, plaie ouverte, le vrai Guetta.

Plaisir si rare, d'entendre un omni-sachant confesser son illégitimité. "J'ai été le dernier correspondant du Monde en URSS, j'ai vu la chute du communisme en Pologne. Mais je n'étais pas en Italie. Je n'étais pas aux Etats-Unis. Je n'étais pas en Grande-Bretagne. Je me sens..." Un silence. Va-t-il prononcer le mot ? "...beaucoup moins légitime". C'est dit. Ou presque. Pour autant, il refuse de céder au vertige des Années 30.  "Il n'y a pas d'Hitler, il n'y a pas de Staline. Mais comme les petit Mussolini sont nombreux. Regardez Monsieur Orban. Regardez Monsieur Erdogan. Nous sommes cinq cent millions. Et nous avons peur de quelques milliers de réfugiés. Monsieur Trump en arrive à faire arracher des enfants des bras de leur mère par peur de l'immigration. Nous sommes fous".

Moment de radio suspendu et sincère. On l'écouterait des heures durant, dans son vrai-faux lâcher prise, étaler son incompréhension de ce monde qui lui échappe, ce monde dans lequel des centaines de milliers de Français ne sont pas dans la rue pour dénoncer "le boucher de Damas". Mais les rues sont désertes, Bernard. Des "centaines de milliers de Français" ne sont pas non plus dans la rue pour défendre la SNCF ou l'hôpital public. Comprendre ? Comment comprendre les colères sourdes, les colères qui n'ont ni micros, ni boulevards, ni banderoles ? Comment percevoir les répliques clandestines qui frémissent sous les radars ? De longues années durant, Guetta et les autres -ô détresse de Léa Salamé, désormais seule pour tenir les colonnes vermoulues du monde d'avant- restèrent sourds à ces colères sourdes.

Quelques minutes plus tôt, au micro d'Ali Baddou, Arnaud Desplechin racontait comment Shoah fut un film opaque pour Lanzmann lui-même. Lanzmann lui-même, ne comprenait pas comment il avait fait ce film-là sur l'Incompréhensible. Mais lui, sans doute, avait posé d'emblée qu'il n'y avait rien à comprendre. Bonne route, Bernard !


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