Éternité de l'ORTF
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Éternité de l'ORTF

À l'époque de la domination des réseaux sociaux et des chaînes d'info sur la conversation publique, voici qu'une épreuve de force entre l'Élysée et France 2 nous tire soudain un demi-siècle en arrière. Une enquête de Complément d'enquête sur le ciblage téléphonique électoral est déprogrammée par la présidente Delphine Ernotte. Pas de vagues ! Surtout, le jeune Emmanuel Macron, le moderne Emmanuel Macron, celui des start-ups et des licornes, celui des voyages à Las Vegas, celui des Choose France, boude "sa" télé d'État, comme le premier Pompidou venu. Il snobe la dernière soirée électorale de France 2, préférant répondre, dans les ors élyséens, aux dociles journalistes de TF1, Gilles Bouleau et Anne-Claire Coudray.

Interrogé par la presse, l'entourage présidentiel laisse filtrer un reproche : France 2 serait coupable d'un ton "décliniste". On y insinuerait que l'essence est chère, et on y ferait allusion à quelques menus soucis sur le climat. Mais encore ? Il semble que l'on reproche à la présentatrice du 20 heures, Anne-Sophie Lapix, une question un peu trop tonique à Édouard Philippe au début du premier confinement, sur le mode "on aurait peut-être pu confiner plus tôt". On juge de l'ampleur du crime. Plus vraisemblablement, Macron aura craint d'être malmené sur sa proposition de suppression de la redevance télé. À noter que Lapix n'est pas mieux vue du côté de Marine Le Pen, qu'elle a justement interrogée sur les financements russes de son parti.

"Décliniste..." La bouderie présidentielle rappelle que le pouvoir, en 2022 comme un demi-siècle plus tôt exactement, en 1972, considère l'audiovisuel public comme sa chose. En 1972, l'ORTF est l'objet d'une tension permanente entre le président Georges Pompidou et son Premier ministre Jacques Chaban-Delmas. Chaban a souhaité "libéraliser" l'info télé gaulliste, en confiant la première chaîne à Pierre Desgraupes, lequel embauche des journalistes socialisants (dont François-Henri de Virieu, ou Hervé Chabalier). Le dit Chabalier, en reportage sur un déplacement présidentiel en Lorraine, montre des foules clairsemées. Scandale ! Les journalistes de la télé publique doivent exprimer "qu'on le veuille ou non, la voix de la France" tonne Pompidou, qui exige donc d'eux "une certaine hauteur de ton"

Chaban remercié, et remplacé par le docile Pierre Messmer, Desgraupes est viré dans la foulée, et la présidence de l'ORTF confiée à un député gaulliste, Arthur Conte, lequel, dans une conférence de presse sans questions, annonce vouloir combattre ce qu'on n'appelait pas encore le déclinisme, et libérer à l'ORTF "les forces de la joie". Voix de la France, forces de la joie : dans toute rétrospective de la douloureuse émancipation politique de l'audiovisuel d'État, la formule est restée comme la borne de départ d'un parcours des temps obscurantistes vers la lumière. Si l'on a bougé depuis, c'est en sens inverse. En 1970, Pompidou, lui, avait accepté d'être interviewé par Desgraupes !

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