Pour qui roule Field ? Pour Hollande, en donnant son feu vert, avant l'été, à une enquête d'Envoyé Spécial sur Bygmalion ? Pour Sarkozy, en manoeuvrant lourdement pour la déprogrammer ? Ou bien, dans cette lourde manoeuvre, encore pour Hollande, d'une autre manière, en empêchant sa chaîne de couler trop brutalement Sarkozy, adversaire préféré de Hollande ? A moins qu'il ne roule pour Hollande d'une (encore) autre manière, en révélant à la face de l'univers la tentative de censure de Sarkozy. Sait-il lui-même pour qui il roule ?

J'ai l'air de plaisanter, mais vous pouvez être certains que ces graves questions agitent gravement les gros malins qui, au sommet de l'Etat et de la télévision d'Etat, rêvent qu'ils tirent des ficelles, sans savoir eux-même lesquelles, tant la pelote est embrouillée. Il faut dire qu'elles viennent de loin, ces ficelles, quand on remonte ladite pelote. Chaque jour qui passe, se révèle plus clairement le sous-texte de l''installation du RanTanPlan Field, et de l'inattendue cheftaine Ernotte, à la tête du bastringue de France Télévisions : sauver Hollande de la déroute. Le sauver sur la chaîne-amiral. Et le sauver aussi sur les réseaux sociaux : c'est l'opération franceinfo.

Contrairement aux apparences, comme nous le montrons ici, la création au forceps de franceinfo n'est pas seulement une tentative de faire pièce au trio infernal de l'info continue BFM / Itélé / LCI, présumé acquis à la droite sécuritaire et identitaire. C'est aussi d'être la source de référence de l'info continue sur les réseaux sociaux, comme le montre de manière éloquente l'usage intensif, par ailleurs déroutant a priori, de "l'écrit-filmé". Si franceinfo vous écrit sur l'écran que "Macron est applaudi" en vous montrant l'image des applaudissements qui accueillent Macron, ce n'est pas parce que la nouvelle chaîne multimedia vous prend pour des malcomprenants. C'est parce qu'elle sait qu'en-dessous, disons, de 40 ans, la majorité d'entre vous vont voir ces images sans écouter le commentaire. Sur le plan purement technique, c'est une vraie innovation, qui s'engouffre dans le boulevard ouvert par la dominante BFMTV, laquelle n'a pas encore compris l'importance des réseaux sociaux.

De toute cette pelote embrouillée, se dégage la même conviction : la vieille croyance antique, magique, increvable, que ce sont les medias, et notamment la télévision -même propagée par les réseaux sociaux, dans le cas de franceinfo- qui "font" une élection. Mais non. Ils ne "font" pas élire un candidat. Malgré l'emballement Macron, ils ne feront pas élire Macron, pas davantage qu'ils n'ont fait élire les précédents "candidats des medias", Delors ou Balladur en 95, ou Jospin en 2002, ou Royal en 2007, ou Sarkozy en 2012. Tout au plus, réflètent-ils et amplifient-ils des thèmes, un climat, un air du temps. De manière d'ailleurs chaotique et aléatoire, et souvent en tirant dans les coins, comme on le voit dans cette affaire d'Envoyé Spécial, où l'activisme de Field aura au total donné bien plus d'écho à l'émission, qu'elle n'en aurait eu sans son aimable concours.

Directeur de l'information de France Télévisions en action