Prostituées : les voir en peinture
Brève

Prostituées : les voir en peinture

La prostitution est au coeur des débats en ce moment, aussi Le Monde a-t-il entamé une série intitulée La prostitution à travers les arts. Sept articles sont pour l'heure parus : le cinéma, la chanson réaliste, le blues, l'opéra, la littérature, au théâtre avec Lulu et Marguerite Gautier,et le théâtre de Bertold Brecht.

La peinture sera probablement traitée elle aussi mais n'attendons pas, publions ici quelques célèbres péripatéticiennes nées du crayon et du pinceau.

Commençons par deux évidences. L'Olympia de Manet, d'abord. Une prostituée étendue sur un lit, citation de La Vénus d'Urbino de Titien. Avec une domestique noire qui lui apporte un bouquet de fleurs cadeau d'un "admirateur" et un chat posé en bout de lit, clin d'oeil salace aux chiens symboles de fidélité souvent posés au pied des Vénus peinturlurées :

Olympia par Édouard Manet, 1863

La Vénus d'Urbino par Titien, vers 1538


L'Olympia de Manet fit scandale, évidemment. Représenter des Vénus à loilpé est de bon ton, parce que les Vénus n'existent pas dans la vraie vie. Il s'agit de mythes fondateurs de notre culture, dont on peut contempler sans fausse honte les nichons. Peindre une pute, en revanche, une vraie madame de dans la vraie vie qui vous fait la passe à cinquante balles, vous n'y pensez pas ! Et ce chat, ce chat…

Évoquons ensuite en vitesse Les Demoiselles d'Avignon de Picasso. Qui ne sont plus des demoiselles depuis longtemps et qui n'ont jamais fréquenté le palais des papes, puisque ce sont des prostituées catalanes oeuvrant dans les bordels de la Carrer d'Avinyó (la rue d'Avignon) à Barcelone. Ces fausses demoiselles choquèrent d'une autre manière puisqu'elles étaient les annonciatrices du cubisme et plus largement de l'art moderne, après elles plus rien ne fut comme avant, pour sûr, Pablo.

Les Demoiselles d'Avignon par Pablo Picasso, 1907


Voici maintenant d'autres dames plus réalistes aux étreintes tout aussi tarifées, celles d'Otto Dix. Son Salon nous montre des prostituées d'âges divers attendant le client, comme les a également plusieurs fois peintes Toulouse-Lautrec. Pour un peu, on penserait aux multiples tableaux illustrant les différents âges de la vie : la jeunette, la dame d'âge mûr et celle d'un âge avancé. Mais ici, plus que des prostituées ou l'évocation de notre condition de mortels, c'est l'état de pourriture de l'Allemagne au lendemain de la Première Guerre mondiale que nous montre Dix. L'Allemagne des bourgeois qui font la foire, qui vont au bordel, pendant que le petit peuple crève la dalle et que les anciens combattants mutilés font la manche dans la rue (voir cette précédente chronique à ce propos).

Le Salon par Otto Dix, 1921

Dans le salon de la rue des Moulins
par Henri de Toulouse-Lautrec, vers 1894


Terminons ce rapide coup d'oeil avec un tableau moins connu : Soir bleu, d'Edward Hopper.

Soir bleu par Edward Hopper, 1914


Peint en 1914, Soir bleu nous montre une terrasse de bistrot surplombant un lointain indéfini, au-delà des fortifs parisiennes. La toile toute en longueur, préfiguration des panoramiques de cinéma (on pense à Nighthawks), est coupée par une barre verticale à son premier tiers, un poteau supportant le toit au bas duquel sont accrochés les lampions chinois. Cette façon de couper l'image est directement inspirée par une toile de Degas mettant elle aussi en scène des prostituées :

Femmes à la terrasse d’un café, le soir
par Edgar Degas, 1877


On compte, dans Soir bleu, pas moins de sept personnages. Jamais plus Hopper n'en représentera autant puisque sa marque de fabrique est la solitude, l'absence de communication entre les êtres. Une absence qui est déjà palpable ici puisque aucun des personnages n'est en conversation, aucun n'adresse visiblement un regard à un autre. Arrêtons-nous sur ceux qui sont liés à la prostitution. Le tout premier à gauche, avec sa casquette et sa clope, est un maquereau, un barbeau, un proxo. Le voici dans une gouache réalisée vers 1906 :


Le deuxième personnage, traversé par le poteau, qui porte un béret et fume lui aussi, est Édouard Manet, le peintre de l'Olympia évoquée plus haut. Puis, assis aussi, nous avons un militaire de dos. Probable client de la prostituée, seul personnage qui se tient debout. Évocation, là encore, de celles peintes par Toulouse-Lautrec. Son visage lourdement fardé rappelle celui de cette courtisane du Moulin-Rouge :

Au Moulin-Rouge
par Henri de Toulouse-Lautrec, 1892


Les autres personnages présents dans Soir bleu mériteraient étude, permettraient de mettre à jour la signification de cette très intéressante peinturlure hopperienne. Mais on s'éloignerait du sujet. Tant pis !

Signalons pour finir que le titre de ce tableau est emprunté à Rimbaud :

Sensation

Par les soirs bleus d'été, j'irai dans les sentiers,
Picoté par les blés, fouler l'herbe menue,
Rêveur, j'en sentirai la fraîcheur à mes pieds.
Je laisserai le vent baigner ma tête nue.

Je ne parlerai pas, je ne penserai rien :
Mais l'amour infini me montera dans l'âme,
Et j'irai loin, bien loin, comme un bohémien,
Par la Nature, — heureux comme avec une femme.


L'occasion de lire ma chronique intitulée Faites chauffer la cire ! ou... le sexe s'épile-t-il pour plus de sex-appeal ?

Et signalons ce très passionnant article sur les prostituées et la couleur : Le châle jaune des prostituées au XIXe siècle: signe d’appartenance ou signe de reconnaissance? par Véronique Bui.

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