M6 et "les ministres dans les restaurants clandestins"
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M6 et "les ministres dans les restaurants clandestins"

Le "chef des stars" Christophe Leroy officie comme restaurateur clandestin au Palais Vivienne, chez Pierre-Jean Chalençon

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M6 ne les a pas nommés, mais sa caméra s'est introduite chez le "chef des stars" Christophe Leroy, qui officie comme restaurateur clandestin au Palais Vivienne, chez Pierre-Jean Chalençon... Ce dernier prétend qu'il croise "des ministres" à des dîners illégaux.

"Déjeuner ici est illégal." En filmant en caméra cachée un restaurant clandestin qui accueille de riches clients pour des dîners "champagne et caviar" en pleine pandémie, sans respect des gestes barrières, les journalistes de M6 sont très clairs : ils ne cautionnent pas du tout. 

Adresse dans les "beaux quartiers de Paris," menus du soir de 160 à 490€, portier auprès duquel il faut "montrer patte blanche" et chef "proche des stars" : pas de doute, nous sommes dans la haute bourgeoisie parisienne. Qui semble au-dessus des lois : "On n'a pas de masque," explique un membre du personnel à l'entrée. "Les gens qui viennent ici retirent le masque. Une fois que vous passez la porte, il n'y a plus de Covid. On veut que les gens se sentent à l'aise." Les clients huppés, précise M6, peuvent privatiser le restaurant clandestin ("220€ la soirée, caviar et champagne") pour des soirées avec "une quarantaine de convives, sans masques, certains se font la bise". La voix off de la journaliste rappelle pourtant que "pour mise en danger de la vie d'autrui, les organisateurs de soirée clandestine risquent jusqu'à un an de prison et 15 000 euros d'amende", tandis que les participants, pour leur part, risquent deux amendes de 135€ chacune, pour non respect du port du masque et non respect du couvre-feu.

Les journalistes de M6 n'ont pas assisté à une de ces soirées privées : la séquence d'interview avec le portier est filmée en caméra cachée, puis des images filmées par autrui dans lesdites soirées, que M6 "s'est procurées", illustrent la suite du sujet. L'organisateur, identifié par M6 comme un "collectionneur fortuné" (sa voix a été modifiée dans le reportage), répond sans détour ni gêne quelconque : "J'ai dîné cette semaine dans deux ou trois restaurants clandestins, avec un certain nombre de ministres. Alors, ça me fait doucement rigoler. On est encore en démocratie, on fait ce qu'on veut." Dans un second temps, Pierre-Jean Chalençon a démenti ses propres propos en assurant que tout ça n'était qu'un poisson d'avril, mais la société des journalistes de M6 a diffusé le 6 avril un communiqué précisant que "d'autres sources nous ont confirmé en «off» la présence d'au moins un membre du gouvernement à un de ces dîners".

Ouverture d'une enquête

On a appris ce dimanche 4 avril que le Parquet de Paris avait ouvert une enquête suite à la diffusion du reportage de M6.  Rémy Heitz, le procureur de Paris, a "saisi ce jour la Brigade de répression de la délinquance à la personne (BRDP) de la police judiciaire parisienne d'une enquête des chefs de mise en danger d'autrui et de travail dissimulé", a indiqué le parquet à l'AFP.

Le reportage, signé par François Vignolle, Armelle Mehani et Cyrielle Stadler, et diffusé dans le 19/45 de M6 le 3 avril, a immédiatement choqué les téléspectateurs. Ni le chef, ni l'organisateur "collectionneur fortuné" n'ont été nommés à l'antenne, mais il n'a pas fallu longtemps aux internautes pour rechercher frénétiquement-et trouver- leur identité.

Le Palais Vivienne, chez le "collectionneur fortuné" Pierre-Jean Chalençon

M6 indique que le restaurant clandestin se situe "dans les beaux quartiers", mais le vrai indice se situe plus loin dans le sujet, autour de 1'20". Les images filmées par des convives huppés chez l'organisateur de la soirée privée capturent un décor fastueux, tout en dorures et en meubles de luxe. Un détail attire le regard : une immense tapisserie à l'effigie de Napoléon Bonaparte. Cela n'a pas échappé à notre journaliste Paul Aveline, ni d'ailleurs à plusieurs internautes, qui se demandent sur Twitter ce 3 avril si on ne serait pas "chez le collectionneur napoléonien Pierre-Jean Chalençon" : "On reconnaît, accrochée au mur, une pièce unique dont il est le propriétaire."

En effet, le collectionneur Pierre-Jean Chalençon est un fan ultime de Napoléon puisqu'il se dit "passionné de Napoléon Ier depuis sa tendre enfance" et possède "2000 pièces sur le Premier Empire : tableaux, sculptures, bijoux, manuscrits, objets..." (Sur le site de la Fondation Napoléon, il est même photographié "portant les derniers vêtements de l'Empereur".)

Plus flagrant : sur une vidéo de son compte Instagram, on aperçoit clairement Pierre-Jean Chalençon devant sa "pièce unique".

Chalençon ne cache d'ailleurs pas son soutien aux restaurateurs, puisqu'il met à disposition sa propriété du 8e arrondissement de Paris, le Palais Vivienne - jusqu'à la pandémie, un musée ouvert au public - pour accueillir des chefs en ces temps difficiles. On peut en toute bonne foi supposer que c'est ainsi qu'il se retrouve sur une photo sur Instagram du chef Christophe Leroy, qui invite ses amis et ses clients "à un moment d'exception au Palais Vivienne le 1er avril pour un dîner-soirée, à partir de 17h45 autour d'un menu caviar et champagne"

Si ce post Instagram a désormais disparu du compte de Leroy, Chalençon apparaît toutefois régulièrement sur les photos du chef. Le 12 février, ainsi qu'en 2020 le 30 décembre, le 9 décembre, ou encore le 4 décembre, Chalençon pose aux côtés de Leroy, souvent à table ou une coupe de champagne à la main. À chacune de ces dates, les restaurants étaient fermés en France. 

En février dernier, le chef et son propriétaire d'établissement posaient ensemble et la légende indiquait qu'ils étaient au "Leroy's Business Club", un club privé géré par Leroy et situé au Palais Vivienne. Selon Facebook, ce "club privé", accompagné d'un menu qui ressemble furieusement à un menu de restaurant, a ouvert le 11 mars 2021. Le lieu possède son propre site Internet, qui a bizarrement été désactivé ce dimanche 4 avril. Pas d'inquiétude : il est encore visible sur l'Internet archive. Le site promet une ambiance "discrète et haut de gamme" ainsi qu'un "déjeuner, un dîner ou une soirée privatisée" aux "amoureux de la fête et de l'art de vivre à la française".  Un "menu dîner club", par exemple, pouvait être réservé jusqu'à 14 couverts - pour 1680€. La règle de "six personnes maximum" en intérieur, "dans le strict respect des gestes barrières", est en place en France depuis le 29 octobre 2020.

À des fins de comparaison, ASI a tenté de joindre d'autres clubs privés parisiens. Au Cercle de l'Union Interalliée, qui selon son site "contribue à maintenir un art de vivre à la française", on nous répond très poliment par téléphone que le restaurant est ouvert du lundi au vendredi, mais uniquement à emporter : "On ne peut pas accueillir en salle, madame, c'est interdit", nous rappelle avec sagesse le standardiste.

Pourtant, pour les réveillons de Noël 2020 et Nouvel An 2021, Christophe Leroy accueillait dans son "business club" : en témoigne un article sur le blog culinaire du journaliste Gilles Pudlowski, qui écrivait le 16 décembre dernier : "Il est le seul « restaurant » ouvert à Paris ces temps-ci. On met le « restaurant » entre guillemets, car il s'agit d’un club privé dans un lieu réservable pour deux, quatre, six personnes, où l'on déjeune et dîne sous les photos souvenirs (...) Nous avons fêté dignement et Noël et Nouvel An avec un repas de folie qui aurait pu convenir aux deux réveillons, mêlant le produit de luxe et celui plus rustique."

Interview dans Ouest-France

Le sujet de M6 n'est d'ailleurs pas la première fois que le "business club" du chef Christophe Leroy apparaît dans les médias, puisque le 7 mars dernier, le quotidien Ouest-France lui dédiait un article dithyrambique et décrivait le "déjeuner impérial" auquel l'auteur avait eu droit.

L'article d'Ouest-France, signé Philippe Lemoine, rédacteur en chef délégué du quotidien, ne précise pas si les conditions du "déjeuner impérial" se déroulent avec ou sans gestes barrières - ni que les (autres) restaurants sont fermés depuis des mois. Mais l'on y apprend que "le chef Christophe Leroy, 57 ans, s’est battu pour rebondir (...) dans une période où ce foutu Covid n’aide pas les professionnels de la restauration" et que désormais installé "au cœur du Palais Vivienne, propriété du collectionneur Pierre-Jean Chalençon (...) il joue de la truffe et du caviar." Leroy explique à Ouest-France : "La période est rude pour tout le monde et l'horizon n'est pas clair. Pierre-Jean Chalençon, pour continuer à faire vivre ce lieu impressionnant, a décidé de créer un club privé : le Vivienne's club. Des déjeuners peuvent être organisés pour les membres." (Le 7 mars, à Paris, la règle de "six personnes" en intérieur est déjà en place ; ainsi que le couvre-feu, instauré nationalement le 29 janvier). Le journaliste précise que "quelques convives sont réunis ce midi-là pour une dégustation de haut vol" et liste les plats : "Bouchées napoléoniennes, du carpaccio de loup à la crème de caviar, un filet de bœuf Wellington…" 

Contacté, Philippe Lemoine répond longuement à nos questions, avant de refuser tout net d'être cité dans notre article, y compris pour y décrire ce qu'il a vu le jour de son reportage - bien que les conditions y étaient différentes de celles filmées par M6, puisque l'interview a eu lieu en journée et non après le couvre-feu. Dans un tweet depuis supprimé, Christophe Leroy avait remercié le journaliste d'Ouest-France : "Encore merci pour ce bel article."

Chalençon, Proche de Brigitte Macron

En plus de son impressionnante collection d'art et de pièces napoléoniennes, Pierre-Jean Chalençon est également connu pour sa participation à l'émission "Affaire conclue", sur France 2, de 2017 à 2020, émission qu'il a quittée en raison d'une photo aux côtés de Dieudonné et Jean-Marie Le Pen. Il a rejoint Touche pas à mon poste ! et Les Grosses Têtes en tant que chroniqueur.

Chalençon se vante également d'entretenir une "relation privilégiée" avec Brigitte Macron. "Je parle régulièrement avec Brigitte Macron. On s’envoie des textos, elle m’a appelé récemment," déclarait-il en mai 2020, notant au passage qu'il ne vendrait jamais le Palais Vivienne et avait justement promis à "Brigitte" d'en faire don à l'État à sa mort. "J'en ai encore reparlé récemment à Franck Riester, le ministre de la Culture, à Brigitte Macron que j'ai eue encore il y a pas longtemps au téléphone," ajoutait-il alors.

Des ministres au restaurant ?

Chalençon n'a fait que mentionner "des ministres" avec lesquels il aurait déjeuné récemment dans des restaurants clandestins à Paris, mais cela a suffi à ce que plus de 13 000 internautes, le dimanche 4 avril dans l'après-midi, utilisent le hashtag "OnVeutLesNoms" pour appeler les responsables politiques à prendre leurs responsabilités. Un internaute résumait les choses ainsi : "Le Palais Vivienne transformé en restaurant clandestin pour riches et ministres (masque interdit) par Pierre-Jean Chalençon, self de la Pitié-Salpêtrière transformé en espace de réanimation pour malades du COVID-19: 2 salles, 2 ambiances"

Interrogée sur Europe 1 le même jour, la secrétaire d'État Marlène Schiappa a déclaré : "Si des ministres ou des députés ont enfreint des règles, il faut qu'ils aient des amendes et qu'ils soient pénalisés comme n'importe quel citoyen." Et à un internaute qui, sur Twitter, soulignait que "l'exemplarité voudrait qu'ils soient pénalisés ET qu'ils démissionnent", elle a répondu : "Cela va de soi." Bruno Le Maire, ministre de l'Économie, a quant à lui déclaré sur BFMTV : "Je suis sûr qu'aucun ministre n'a de passe-droit, que ce restaurateur donne des noms, s'il est si bien informé."

Dimanche 4 avril dans l'après-midi, le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin a également réagi en annonçant avoir "demandé au Préfet de police de Paris de vérifier l'exactitude des faits rapportés afin, s'ils sont vérifiés, de poursuivre les organisateurs et les participants de ces dîners clandestins."

Christophe Leroy, chef "préféré des stars"... et patron mauvais payeur

Christophe Leroy, un temps le chef de Johnny Halliday - dont il conserve un portrait dans son intérieur du Palais Vivienne - et chef "préféré des stars", n'est pas très apprécié de ses anciens collaborateurs : en 2017, la célébrité Pamela Anderson a abandonné leur projet commun de restaurant éphémère en citant de "mauvais traitements infligés au personnel" et son "manque total de respect". Selon Le Parisien, "Leroy doit près de 20 000 euros de loyer à sa propriétaire pour le seul deuxième trimestre 2017" et "huit autres sociétés appartenant à Leroy, toujours selon l'administrateur judiciaire, ont été placées en redressement ou liquidation judiciaire depuis vingt ans."

Le Parisien continuait : "Quand ce n'est pas le loyer, ce sont les salariés que Leroy omet de rémunérer. Yassin Allouj a travaillé deux ans aux côtés du chef jusqu'en 2014. Il y a un an et demi, Leroy promet de le payer « jusqu'au dernier centime ». Yassin n'a toujours pas vu la couleur des 12.000 euros qu'il lui réclame. Serveurs, valets de chambre, staff événementiel… une ribambelle de saisonniers serait concernée. Jusqu'à son cuisinier et meilleur ouvrier de France, Marc Alès, qui estime avoir été « abusé »." L'article d'Ouest-France, quant à lui, ne mentionnait pas ces déconvenues, se contentant de résumer : "La crise, les péripéties de la vie, des choix pris parfois trop vite ont ébranlé l'empire."

Contactés, Pierre-Jean Chalençon et Christophe Leroy ne nous ont pas répondu.

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