Le feuilleton et ses soutiers
Brève

Le feuilleton et ses soutiers

Tiens, une devinette. Qui sont donc ces personnes, apparemment radieuses ?

Un groupe de copains d'avant, qui s'est retrouvé grâce à Facebook ?

Des dentistes en congrès ?

Une équipe sportive en déplacement ?

Allez, comme je vous sens sécher, deux petits indices supplémentaires.

Regardez bien le premier plan, et le dernier plan de la photo.

On avance, non ? Non seulement ils sont contents, nombreux, mais ils s'apprêtent à festoyer (avec modération : une bouteille pour une vingtaine de personnes, il ne faut pas exagérer non plus).

Et ces auvents, avec le sigle AP. AP ? Attendez, cela dit vaguement quelque chose.

Si vous n'avez pas trouvé, voici l'intégralité de la photo, telle qu'elle a été postée sur Twitter.

Eh oui, voyez le bus : on est à New York, et ce sont les correspondants de la vieille presse française, qui célèbrent la fin, la vraie, la définitive, de l'affaire DSK. Boudiou, pensez-vous, comme ils sont nombreux. Eh oui. C'est même une des clés de l'affaire. Si vous entendez si souvent parler des faits divers à New York, des ouragans à New York, c'est parce qu'ils sont là et pas ailleurs, hardis, motivés, et qu'il faut bien employer toute cette belle énergie.

Re-boudiou, comme ils sont heureux. Eh oui. Manifestement, le photographe n'a pas eu beaucoup à insister pour qu'ils fassent Cheese. Ah, quel défoulement ! Et s'ils vont sabrer le champagne, ce n'est pas par solidarité avec Nafissatou Diallo, qui vient d'empocher un nombre conséquent (et secret) de millions de dollars. On peut supposer qu'ils célèbrent la fin d'une année et demie de directs interminables, de suspenses insoutenables, et de pressions de la rédaction en chef du genre : "Bon Jean-Étienne, dès que vous voyez arriver la voiture de l'assistant du troisième avocat de DSK, vous nous rappelez, on vous donnera l'antenne, on interrompra les programmes, pour que vous puissiez nous décrypter l'événement en direct."

Sans doute pourrait-on faire la même photo avec les correspondants à UMP City, qui ont couvert l'affaire Copé-Fillon, le jour (improbable) où elle connaîtra un épilogue définitif. Ce qu'exprime cette photo, c'est la révolte des soutiers de l'info, face aux chefferies qui les obligent à nourrir des feuilletons sans intérêt, au motif qu'ils font (supposément) de l'audience. Cette révolte a toujours existé. Mais avec les comptes Twitter desdits correspondants, ces grommellements ont maintenant un écho quasi-égal aux reportages creux qu'on les oblige à produire (cette photo a d'ailleurs été postée par l'excellente Fabienne Sintes de France Inter, grommeleuse parmi les grommeleurs).

Quand je dis supposément, précisons. Nul doute que les feuilletons DSK-Diallo, ou Copé-Fillon, ont fait grimper l'audience des chaînes d'info. Nul doute qu'ils ont peut-être, dans une moindre mesure, fait vendre des hebdos. Mais trop de vide tue le vide. Trop de feuilletonnage tue le feuilleton. Et le journal. Et maintenant les agences, censées l'approvisionner. Dans un univers dominé par la gratuité pléthorique, les espaces d'information qui conserveront, avec leur public, un lien de confiance assez fort pour se concrétiser par un acte d'achat, sont ceux qui résisteront clairement, nettement, à cette tentation du feuilleton. Et d'autant plus radicalement que le feuilleton régnera ailleurs. Ô explorateurs de "modèles économiques", si vous voulez savoir quels sont les médias (payants) de demain, cherchez les journalistes qui ne sont pas sur la photo.

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