De télé en radio, De Rugy promène ses accusations contre "Mediapart"
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De télé en radio, De Rugy promène ses accusations contre "Mediapart"

Le retour des homards

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Franceinfo, Sud Radio, Public Sénat, Europe 1, CNews, i24News, "Le Figaro" et BFMTV : François de Rugy saute de plateau en studio pour contester, son livre sous le bras, l'enquête de "Mediapart" qui l'a poussé en-dehors du ministère de la Transition écologique en 2019. Il accuse le média, sans preuves et en boucle, de diverses entorses déontologiques.

Les homards étaient-ils si rouges ? La question peut faire sourire, tout comme la réponse donnée par François de Rugy. Le député LREM, ancien ministre de la Transition écologique et solidaire en est persuadé : Mediapart a truqué les photos qui ont causé sa perte. Retour en juillet 2019. Mediapart publie une série d'enquêtes sur le ministre. La première, la plus emblématique, concerne les repas du couple de Rugy, dont Mediapart assure qu'ils ont été réglés par de l'argent public. Lors de ces repas, raconte Mediapart, "homards géants", "champagne" et "grands crus" sont servis aux convives appartenant au cercle amical du couple. Le symbole est fort, surtout que l'enquête est accompagnée d'une photo évocatrice : cinq gros homards sont posés sur une table dressée.

Dans les jours qui suivent ces révélations, Mediapart enfonce le clou. Le journal révèle les travaux très coûteux entrepris par le couple à son domicile, l'utilisation abusive que François de Rugy faisait de ses voitures de fonction et des chauffeurs qui y étaient attachés, ainsi que l'occupation d'un logement social en Loire-Atlantique. Alors que Mediapart s'apprête à publier une quatrième enquête, cette fois sur les frais de mandat du député-ministre, celui-ci démissionne du gouvernement, se disant "victime d'une cabale".

Un homard trop écarlate

Deux ans plus tard, François de Rugy, toujours député, revient dans un livre, Du pouvoir, des homards… mais surtout de l'écologie ! (éditions Plon) sur les enquêtes de Mediapart. Dès le troisième paragraphe du prologue, François de Rugy accuse : "Je pourrais choisir de me décrire victime d'un titre de la presse qui se  prétend d'investigation mais qui emprunte toute sa stratégie marketing - et parfois jusqu'à ses pratiques journalistiques – à la presse à scandales. Ce ne serait pas très compliqué – parce que c'est vrai : photos volées, autopromotion frénétique d'articles par le grand prêtre et ses apôtres…" Allusion transparente à Mediapart, son fondateur et patron Edwy Plenel et les journalistes de la rédaction. Un peu plus loin, page 11, François de Rugy accuse carrément Mediapart d'avoir truqué les images publiées dans l'enquête sur les repas du couple : "Des photos aux couleurs habilement retravaillées pour que le homard soit bien écarlate. Des photos soigneusement recadrées pour qu'il puisse y gagner le qualificatif de «géant» – quand bien même cela ne correspond à aucune sorte de crustacé." 

Trois pages plus loin, François de Rugy enfonce le clou, et accuse cette fois la presse d'avoir profité d'un cambriolage subi à son domicile d'Orvault (Loire-Atlantique) en 2018. Il écrit : "Je pourrais arguer que parmi les documents éparpillés lors du vrai-faux cambriolage de mon logement se trouvait mon dossier de location qui, quelques semaines plus tard, s'est retrouvé sur le web…" Là encore, la référence à Mediapart est transparente : le journal avait publié le 11 juillet 2019 une enquête sur le logement social du ministre, situé à Orvault. François de Rugy va même jusqu'à accuser Mediapart d'avoir menacé ses éventuels alliés : "Une menace qui m'a été plusieurs fois rapportée, sur le mode : «Défendez de Rugy, on s'intéresse à vous»…" À noter qu'après la publication de toutes ces enquêtes, François de Rugy avait choisi de n'attaquer en justice que le travail de Mediapart sur ce logement social, expliquant qu'attaquer toutes les enquêtes lui coûterait trop cher. Dans cette affaire, la relaxe de Mediapart, définitive puisque François de Rugy n'a pas fait appel, avait été prononcée en avril dernier.

Accusations sans preuves

Publié le 14 octobre, le livre de François de Rugy a permis au député de faire le tour des médias : Franceinfo le 13, Sud Radio et Public Sénat le 15, Europe 1 et CNews le 17, Franceinfo de nouveau le 18, I24 News, le Figaro et BFMTV le 19. La première charge est donnée le 13, face à Marc Fauvelle, sur la radio Franceinfo. Interrogé à propos de "l'affaire des homards", François de Rugy tempère d'abord, expliquant y consacrer "quelques pages seulement sur un livre de 300 pages (le livre en compte 191 en réalité, ndlr)". Questionné par Marc Fauvelle sur les preuves qu'il a en sa possession, François de Rugy esquive : "Que Mediapart fasse des pressions, y compris sur d'autres journalistes, c'est de notoriété publique." Fauvelle relance sur les "documents volés" lors d'un cambriolage et retrouvés dans les enquêtes de Mediapart. Réponse du député : "C'est un constat que j'ai fait. […] J'ai tout de suite compris que c'était quelque chose qui avait été fait par des gens qui cherchaient…" François de Rugy a-t-il des preuves de l'implication de Mediapart, et si oui, lesquelles ? Il n'en dira pas plus sur Franceinfo.

Sans plus apporter d'éléments concrets, François de Rugy réitère ses accusations deux jours plus tard au micro de Patrick Roger, chez Sud Radio : "Il faudrait demander à Mediapart comment des documents qui sont photographiés dans mon appartement lors d'un cambriolage ont pu se retrouver sur un site internet qui se dit d'information." À l'origine de la question sur l'affaire du cambriolage, Patrick Roger ne relance pas le député pour en savoir plus. La veille, la société des journalistes (SDJ) de Mediapart avait pourtant publié une réponse sur son site internet. Dans un billet publié le 14 octobre, et titré "Nouvelles attaques de François de Rugy : la SDJ de Mediapart réagit", les journalistes s'insurgent de l'interview donnée à Franceinfo : "Que l'ancien élu écologiste […] utilise la calomnie et la diffamation pour attaquer le travail de notre rédaction n'est pas acceptable." Si Mediapart refuse de commenter les accusations de modifications des photos des homards ("des propos aussi ineptes que ridicules"), la SDJ rejette en bloc les "propos calomnieux" de François de Rugy à propos du cambriolage subi en 2018.

La réponse n'inquiète pas François de Rugy qui note tout juste chez Sud Radio que les journalistes de Mediapart "s'excitent sur Twitter". Le 15 octobre toujours, François de Rugy est l'invité de l'émission Extra local, sur Public Sénat. Interrogé par Julien Lécuyer, journaliste à la Voix du Nord, il répète ses accusations, estimant "de notoriété publique" que Mediapart fasse pression sur d'autres journalistes. Relancé à plusieurs reprises par le journaliste pour obtenir des preuves de ce qu'il avance, l'ancien ministre ne répond pas précisément. Il croit par ailleurs savoir que c'est Edwy Plenel qui dirige la SDJ de Mediapart, et que le billet écrit par les journalistes serait donc commandé par le patron du journal (c'est faux, voir en fin d'article).

Le sujet est rapidement évoqué sur Europe 1 et CNews le 17 octobre (François de Rugy parle seulement d'"une opération pour essayer de [l']abattre"), et c'est finalement de nouveau sur Franceinfo, mais la chaîne de télévision cette fois-ci, que François de Rugy en remet une couche le 18 octobre, accusant Mediapart d'avoir "organisé" sa chute, et de "fabriquer des scandales pour avoir des abonnés". Accusations répétées en bloc le 19 octobre chez BFMTV. Jamais François de Rugy ne fournit aucune preuve de ce qu'il avance. Idem chez i24News le même jour. François de Rugy accuse Mediapart d'avoir "menacé" ses éventuels soutiens, "aussi bien dans le champ politique que médiatique".

La SDJ de Mediapart regrette dans son billet que François de Rugy ne soit jamais poussé dans ses retranchements. Le journal estime par exemple que Marc Fauvelle, sur Franceinfo, n'a pas apporté de "véritable contradiction" au député. Le journaliste relance tout de même deux fois François de Rugy ("Est-ce que vous avez la preuve de tout ça ?" ; "C'est une accusation assez lourde"). Auprès d'Arrêt sur Images, Marc Fauvelle estime avoir fait son travail : "C'était, je crois, l'un des moyens de lui apporter une contradiction sur ce point. Ensuite, je n'ai pas voulu faire toute l'interview sur Mediapart, c'est peut-être un tort mais il y avait d'autres choses à dire ce matin-là."

Les réponses de "Mediapart"

C'est sur Franceinfo que Fabrice Arfi, auteur des premières enquêtes de Mediapart sur François de Rugy, a répondu aux accusations du député. Invité le 13 octobre, le journaliste a dénoncé "une forme de trumpisme" dans la façon de François de Rugy de "raconter absolument n'importe quoi" "On est dans un effacement de la frontière entre le vrai et le faux pour que l'ancien ministre fasse de la communication." Joint par ASI, Antton Rouget, qui co-dirige la SDJ de Mediapart, explique pourquoi la rédaction a choisi de répondre à François de Rugy : "À partir du moment où il met en cause sur le service public notre intégrité de journalistes et notre démarche, ça nous semblait important de répondre."

Il nie par ailleurs en bloc toutes les accusations de François de Rugy. Sur la modification des photos, que Mediapart aurait retravaillées pour rendre les homards "plus spectaculaires", le journaliste balaye : "Modifier une photo, ça implique de modifier l'information. C'est contraire à notre déontologie et à tous nos principes." Même réponse concernant le "vrai-faux cambriolage" qui aurait profité à Mediapart. Antton Rouget note par ailleurs que François de Rugy ment également en affirmant qu'Edwy Plenel dirige la SDJ du journal : "Raté. Nous sommes trois journalistes coprésidents, avec Nejma Brahim et Sabrina Kassa. Dès qu'il est poussé dans ses retranchements, il invente une nouvelle pirouette pour s'en sortir." Contacté par téléphone pour savoir de quels éléments il disposait pour porter ces accusations contre Mediapart, François de Rugy n'a pas donné suite à nos sollicitations.


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