Ben Barka : un journaliste de France 3 dans le viseur du renseignement marocain ?
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Ben Barka : un journaliste de France 3 dans le viseur du renseignement marocain ?

Wikileaks marocain : de nouveaux documents fuitent

49 ans après l'enlèvement du principal opposant au roi Hassan II à Paris, en 1965, l'affaire Ben Barka continue d'occuper la justice française et les services de renseignement marocains. Ce mardi 16 décembre 2014, le tribunal correctionnel de Paris examinait la plainte déposée par un journaliste de France 3 à l'encontre du magazine Maroc Hebdo. L'affaire remonte à 2007 : au lendemain d'un reportage de France 3 à propos d'un nouveau rebondissement judiciaire dans l'affaire Ben Barka, l'auteur du reportage, Joseph Tual, a fait l'objet de nombreuses attaques de la presse marocaine. Des tentatives de déstabilisation de la part du Maroc ? Une thèse validée par la publication de nouveaux documents de la part de @chris_coleman24, à l'origine du Wikileaks marocain.

Ce mardi 16 décembre 2014, au tribunal correctionnel de Paris, il était question d'une affaire qui remonte à sept ans, en marge d'une affaire qui date... de 1965. Cette année-là, Mehdi Ben Barka, principal opposant au roi du Maroc, Hassan II, est enlevé en plein Paris. Par qui ? Où se trouve son corps ? C'est tout l'enjeu de l'enquête judiciaire, toujours en cours en France.

Les 22 et 23 octobre 2007, alors que Nicolas Sarkozy est en voyage officiel au Maroc, France 3 fait le point sur l'enquête Ben Barka. Et révèle que le juge d'instruction français en charge du dossier, Patrick Ramaël, a délivré des mandats d'arrêt à l'encontre de cinq dignitaires marocains, dont le général Benslimane, chef de la gendarmerie royale, et un certain Miloud Tounzi, identifié comme étant le fameux Larbi Chtouki, le principal organisateur de l'enlèvement de Ben Barka, condamné par contumace à la réclusion criminelle à perpétuité en 1966 lors d'un procès à Paris.

Le journaliste de France 3, Joseph Tual, qui enquête sur l'affaire Ben Barka depuis plus de vinqt ans, rappelle dans les deux sujets l'existence d'une ancienne prison secrète à Rabat, baptisée PF3. Ce serait là que Ben Barka pourrait être enterré, ainsi que près de 250 opposants au régime, notamment des étudiants de grandes familles marocaines. Selon nos informations, la justice française aurait même demandé une surveillance satellitaire afin de s'assurer que le terrain vague d'aujourd'hui, propriété de la gendarmerie royale marocaine, reste en l'état, à défaut pour la justice française de pouvoir se rendre sur place pour faire des fouilles. Un sujet très sensible. La preuve ? Pour avoir filmé ce centre de détention secret, Tual est désormais indésirable sur le sol marocain.


"La prison PF3, c'est le tabou absolu, assure Tual, contacté par Arrêt sur images. Tous mes ennuis partent de là". Des ennuis ? Au lendemain de la diffusion de ses deux reportages, le journaliste fait l'objet de nombreuses attaques de la presse marocaine, comme l'a rappelé Le Point. Le quotidien Assabah le qualifie d'"agent des services secrets algériens". Tual le fera condamner pour diffamation. Maroc Hebdo International va plus loin et publie un article intitulé "profession fouille-merde", dans lequel on peut lire des retranscriptions d'une conversation entre Tual et l'un des cinq Marocains sous mandat d'arrêt, Miloud Tounzi. D'après les retranscriptions de cette conversation téléphonique qui s'est tenue le 19 octobre 2007, Tual prévient Tounzi qu'il va faire l'objet d'un mandat d'arrêt dans quelques jours et il lui suggère de quitter le territoire marocain car sa vie serait en danger. Un extrait de la conversation pour le moins gênant pour le journaliste de France 3 : cela sous-entend qu'il est de mèche avec le juge d'instruction français.


A la suite de la publication de cet article, Tual dépose plusieurs plaintes. En 2008, le directeur de la publication de Maroc Hebdo, Mohamed Selhami, est condamné pour injure publique. En 2009, Tual porte également plainte pour "atteinte au secret des correspondances" et "atteinte à l'intimité de la vie privée", la conversation n'ayant pas vocation être rendue publique. A l'époque, Tual assure à l'AFP que cette conversation a été "tronquée" et que ses propos ont été "dénaturés afin de manipuler l'opinion". C'est ce volet de l'affaire qui vient d'être examiné par le tribunal correctionnel de Paris.

Une nouvelle étape judiciaire qui s'inscrit dans une longue liste de procès opposant Tual et Tounzi, lequel a lui aussi porté plainte contre le journaliste, notamment pour atteinte à la présomption d'innocence et injure publique. Jusqu'à présent, Tual a gagné tous ces procès.

L'avocat de Maroc Hebdo, payé par les renseignements marocains ?

Ces procès auraient un objectif bien précis : "Le but du jeu est de me déstabiliser, de me mettre la pression", nous assure Tual. Qui précisément ? Des documents diffusés dans le cadre du Wikileaks marocain, dont Arrêt sur images a déjà parlé, apportent peut-être un début de réponse. Celui qui se fait appeler Chris Coleman a publié des documents attestant que l'avocat de Maroc Hebdo est payé par... les services de renseignement marocains, visiblement bien décidés à mener la vie dure au journaliste de France 3.

Parmi ces documents figure notamment une note de frais d'avocat en date du 27 décembre 2011, adressée par le cabinet d'avocats Normand & Associés à Yassine Mansouri, directeur de la DGED, les services secrets marocains. Ces frais d'avocat s'élèvent à 3 900 euros et mentionnent une "facture de Me Bosselut". Bosselut ? C'est précisément l'avocat de Maroc Hebdo dans l'affaire contre Tual, déjà en cours d'instruction en 2011.

Le document est-il authentique ? Après vérification des données du fichier PDF, il semble que ce document n'ait pas été trafiqué. En revanche, plusieurs interrogations demeurent : pourquoi le cabinet d'avocat Normand & Associés aurait-il édité une telle facture alors qu'aucun de ses avocats n'a travaillé pour Maroc Hebdo dans les multiples affaires judiciaires qui opposent Tual, Maroc Hebdo et Tounzi ? Pourquoi Me Bosselut apparaît-il sur ses factures alors qu'il ne travaille pas pour le compte de Normand & Associés ? Le cabinet Normand & Associés sert-il ici de paravent pour brouiller les pistes afin de masquer les liens entre Bosselut et les renseignements marocains ?

Détail supplémentaire : l'avocat Ralph Boussier, dont la signature figure au bas de la note d'honoraires de Normand & Associé, est "l'un des membres du collectif d'avocats franco-marocains qui représentent le royaume chérifien", dixit RFI. C'est lui qui est monté au créneau en début d'année, au nom du patron de la Direction générale de la surveillance du territoire marocain (DGST), Abdellatif Hammouchi. Accusé de tortures, notamment par un militant sahraoui qui a reçu le soutien d'une ONG française, Hammouchi a mandaté Boussier pour porter plainte pour dénonciation calomnieuse en France. Voilà pour la connexion Boussier-Maroc. De là à considérer que le document Normand & Associés est crédible et n'est pas un faux...

Contacté par ASI pour savoir si ce document était authentique, le cabinet Normand & Associés a vérifié le numéro de dossier (20071097) figurant sur la note d'honoraires. "A priori, ça ne vient pas de chez nous", nous a-t-on dit au bout de quelques minutes. L'avocat Ralph Boussier,  dont la signature figure au bas de cette note d'honoraires, n'était pas disponible à l'heure où nous publions cet article. Tout comme Me Rodolphe Bosselut, l'avocat de Maroc Hebdo.

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