Barbara Olivier-Zandronis : "Je m'inquiète pour la liberté de la presse"
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Barbara Olivier-Zandronis : "Je m'inquiète pour la liberté de la presse"

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La journaliste Barbara Olivier-Zandronis a été mise à l’écart par sa direction de la présentation du journal de 13h de la radio RCI Guadeloupe. En cause, son interview du président du Rassemblement national, Jordan Bardella, vendredi 8 décembre dans les studios de la radio. Une mise en retrait qui a choqué bien au-delà des Antilles. La journaliste a accepté de répondre en exclusivité aux questions d'Arrêt sur images.

- Arrêt sur images : La direction de la radio de RCI Guadeloupe a annoncé par communiqué votre mise en retrait de la présentation du journal de 13 h. Comment le vivez-vous ?

- Barbara Olivier-Zandronis : Je ne comprends pas cette décision. Je la vis très très mal. Tout ce qui arrive est lunaire. Pour moi, je n'ai fait que mon travail, à savoir interviewer un homme politique en campagne électorale dans les Antilles, tête de liste de son parti aux prochaines élections européennes.

- ASI : Au début de cette interview, vous avez rappelé le contexte historique de la venue de Jordan Bardella en Guadeloupe. Quel est-il ?

- Barbara Olivier Zandronis : C'est vrai, c'est historique. La veille de cette interview, jeudi 7 décembre, pour la première fois, un représentant national du Rassemblement national a réussi à tenir une réunion publique en Guadeloupe sans embûche. Jordan Bardella a même dit : "Nous sommes ici chez nous". Il faut rappeler que Marine Le Pen avait été chahutée aux cris de "racistes dehors" lors de son déplacement en Guadeloupe durant la campagne présidentielle de 2022 et qu'en 1987, son père, Jean-Marie Le Pen, n'avait même pas pu fouler le sol antillais, son avion ayant été empêché d'atterrir en Martinique par plusieurs manifestants.

Vers la fin de l'interview, je vois mon directeur, Hervé de Haro, descendre dans le studio, énervé.


- ASI : Comment avez-vous préparé cette interview ?

- Barbara Olivier Zandronis : Je sais que je n'ai pas beaucoup de temps pour cet entretien. C'est une interview en plein journal. Je veux faire une interview contradictoire et interroger le président d'un parti, député européen, qui a une histoire et qui se revendique d'un nouvel ADN. Mon travail de journaliste, c'est de vérifier ces affirmations. J'ai beaucoup consulté le site du Parlement européen, lu de nombreux articles sérieux et récents sur Jordan Bardella et son parti, des analyses de politologues, passé des coups de fil aussi. J'angle mon interview sur le bilan du Rassemblement national et notamment de Jordan Bardella au Parlement européen pour les Outre-mer puisqu'il fait campagne ici pour les élections européennes. Il était aussi essentiel de poser une question sur ses valeurs, sur l'idéologie. Quelques jours plus tôt, j'avais pris connaissance de cette phrase que Jordan Bardella a prononcée en Italie lors du grand meeting des extrêmes droites européennes : "L'Europe comme hôtel cinq étoiles de l'Afrique". Cela m'a interpellée parce qu'elle tranche beaucoup avec l'image lisse que donne Jordan Bardella en France. Cette phrase a une connotation raciste et en tant que journaliste, elle m'a choquée. C'était important de l'interroger à ce sujet aussi.

- ASI : Est-ce qu'il se passe quelque chose d'inhabituel durant cet entretien ?

- Barbara Olivier Zandronis : Vers la fin de l'interview, je vois mon directeur, Hervé de Haro, descendre dans le studio, énervé. Jordan Bardella lui donne le dos donc il ne le voit pas, moi oui, à travers la vitre. De l'autre côté, il y a également l'équipe de Jordan Bardella : ils sont cinq ou six dont le "monsieur Outre-mer" du Rassemblement national, le député européen André Rougé et Victor Chabert, le conseiller presse de Jordan Bardella et de Marine Le Pen. J'ai un coup de chaud car je vois le directeur engueuler le rédacteur en chef. C'est la première fois que je vois Hervé de Haro descendre comme ça, dans le studio, en pleine interview.

- ASI : Vous avez l'habitude d'interroger des personnalités politiques ?

- Barbara Olivier Zandronis : Oui, bien sûr, plusieurs, y compris des ministres en exercice. J'ai eu l'occasion aussi d'interroger André Rougé sur le plateau de la chaîne de télévision martiniquaise viàATV où je travaillais auparavant. D'ailleurs, ce dernier m'a reconnue. C'était la première fois que j'interviewais Jordan Bardella. Je n'ai pas l'habitude d'être complaisante dans mes interviews. Je sais que mon entretien avec Jordan Bardella est musclé mais je fais simplement mon travail : poser des questions factuelles à des personnalités politiques. Jamais, je n'ai vécu ce que je vis désormais depuis quatre jours.

- ASI : Est-ce que votre rédacteur en chef avait relu vos questions avant l'entretien ?

- Barbara Olivier Zandronis : Non, il ne les a pas relues. Il m'a fait confiance. C'est comme ça que ça se passe tout le temps d'ailleurs.

- ASI : L'interview avec Jordan Bardella a duré dix minutes. Très vite, le président du Rassemblement national commence à s'agacer de vos questions notamment lorsque vous l'interrogez sur le fait que les députés européens du RN n'ont ni voté en faveur de la reconnaissance de l'écocide ni pour le renouvellement des flottes de pêcheurs ultramarins. Comment l'expliquez-vous ?

- Barbara Olivier Zandronis : Je vois que Jordan Bardella est déstabilisé par ces questions, il n'est pas à l'aise. C'est comme s'il n'était pas au courant de ce sur quoi je l'interrogeais, comme s'il découvrait les sujets qui sont pourtant importants, ici, dans les Antilles.

- ASI : Il menace même de quitter le studio…

- Barbara Olivier Zandronis : Oui, à ce moment-là, il regarde à gauche, à droite. En revanche, sur la question des migrants, il retrouve une certaine confiance et me répond avec beaucoup plus d'assurance, plus de détachement.

Est-ce que cette attaque serait arrivée s'il s'était agi d'un journaliste homme ? Est-ce que Jordan Bardella m'aurait traitée ainsi ?

- ASI :  Jordan Bardella vous accuse en direct d'être agressive avec lui et vous demande même dans quel parti politique vous avez votre carte. Êtes-vous étonnée par la tournure qu'a pris cet entretien ?

- Barbara Olivier Zandronis : Je ne m'attendais pas à ce que Jordan Bardella me lance des fleurs ! Et j'ai par ailleurs déjà vu d'autres interviews de Jordan Bardella. Je ne fais que mon travail, demander des explications à une personnalité politique sur ses décisions politiques. Quand il m'attaque personnellement, c'est un exercice pour moi d'être au-dessus de cela et de continuer mon travail.

- ASI : Diriez-vous que Jordan Bardella a réagi avec vous comme il le fait avec d'autres journalistes qui l'interviewent ?

- Barbara Olivier Zandronis : Je dirais que Jordan Bardella est arrivé en tongs ! Il était clairement mal préparé sur les questions concernant les Outre-mer. Il ne comprend pas ma question sur le renouvellement de la flotte des pêcheurs ultramarins, alors il me répond à côté. C'est pour cela qu'il m'attaque car il ne sait pas me répondre. Est-ce que cette attaque serait arrivée s'il s'était agi d'un journaliste homme ? Est-ce que Jordan Bardella m'aurait traitée ainsi ? Est-ce que ma direction m'aurait traitée de la même manière ? Je m'interroge également : Jordan Bardella se serait-il aussi mal préparé pour une interview dans l'Hexagone ? Je le dis d'autant plus que cela m'est arrivé plusieurs fois avec des hommes politiques hexagonaux en déplacement en Guadeloupe ou en Martinique. Je sens souvent cette impréparation. D'ailleurs, on en parle régulièrement avec des confrères dans les Antilles. C'est une forme de mépris. On ne peut pas être candidat à sa propre réélection comme député européen et ne pas maîtriser les sujets européens qui concernent les territoires ultra-marins alors qu'on y est en campagne électorale.

- ASI : Au bout de 10 minutes, l'entretien se termine. Que se passe-t-il ?

- Barbara Olivier Zandronis : Jordan Bardella quitte le studio, et moi, je reste car mon journal de 13 h continue. Ce qui se passe juste après, je ne le vois pas.

- ASI : D'après ce qu'il a affirmé à Libération, le directeur de RCI Guadeloupe, Hervé de Haro a présenté ses excuses à Jordan Bardella…

- Barbara Olivier Zandronis : J'ai été surprise d'apprendre qu'il avait présenté ses excuses à Jordan Bardella.

- ASI : Avant cette affaire, avez-vous déjà eu des doutes sur le positionnement politique de la direction de RCI Guadeloupe ?

- Barbara Olivier Zandronis : Non, jamais. Mais je ne souhaite pas rentrer dans une polémique politique, je suis juste une journaliste qui veut faire son travail !

- ASI : Que s'est-il passé après ?

Barbara Olivier Zandronis : Le rédacteur en chef m'a dit que mon entretien n'était pas du journalisme. Puis, j'ai été reçue par le directeur, Hervé de Haro, qui m'a dit la même chose, qu'il s'agissait d'une interview de militante, pas de journaliste. À ce moment-là, je suis désarçonnée, je me sens acculée. Moi, je ne suis pas une militante, je ne suis encartée dans aucun parti, je ne suis pas sympathisante non plus.

- ASI : Qu'a décidé la direction ?

- Barbara Olivier Zandronis : La direction m'annonce que je ne présenterai plus le journal de 13 h du vendredi au dimanche comme depuis septembre mais que je serai désormais reporter. Je dis non, je dis que je ne suis pas d'accord avec cette décision. Hervé de Haro me dit "si, si", que ce n'est pas une sanction mais une mesure de précaution parce qu'ils ne peuvent plus me faire confiance et que cela pourrait se reproduire. Je leur dis que cette décision est disproportionnée.

- ASI : Dans les propos tenus à Libération, le directeur de RCI Guadeloupe, Hervé de Haro, vous accuse d'agressivité. C'est d'ailleurs le même élément de langage utilisé par Jordan Bardella lors de l'interview.

- Barbara Olivier Zandronis : Je ne confonds pas l'agressivité et la pugnacité. Une interview menée avec un homme politique se doit d'être contradictoire. Surtout avec un candidat en campagne électorale, sinon cela signifie que je ne fais pas mon travail.

Je m'inquiète pour l'avenir, pour la liberté de la presse et des journalistes : quel est le signal lancé avec cette sanction ?

- ASI : À Libération, Hervé de Haro dit que vous n'avez pas "le métier nécessaire". Sur l'antenne de la chaîne guadeloupéenne Canal 10, il a également affirmé que vous étiez "une jeune journaliste". Qu'en pensez-vous ?

- Barbara Olivier Zandronis : Ces propos de Hervé de Haro n'appartiennent qu'à lui. Toutes mes précédentes expériences professionnelles sur treize années de carrière, que ce soit en télévision, en presse écrite ou comme réalisatrice de documentaires*, parlent pour moi. Je n'ai pas à commenter ces déclarations.

- ASI : Il y a la sanction mais il y a aussi les nombreux soutiens que vous recevez depuis trois jours…

Barbara Olivier Zandronis : Oui, et cela fait chaud au cœur. Des syndicats de journalistes ont protesté contre ma mise à l'écart de l'antenne, des journalistes de renom sur le plan national ou local m'ont apporté leur soutien. De nombreux citoyens se sont mobilisés pour moi et je les en remercie (Une pétition réclamant le retour à l'antenne de la journaliste a recueilli à ce jour près de 14 000 signatures, ndlr). Des parlementaires, députés et sénateurs de Guadeloupe, ont également affiché publiquement leur soutien et ont dit leur indignation. Serge Letchimy également, le président du conseil exécutif de la Collectivité territoriale de Martinique. Je dois dire que ce soutien politique m'a fait bizarre mais c'est vrai qu'il est important. Je le dis d'autant plus que l'un de ces parlementaires est le député de Guadeloupe, Olivier Serva, que je n'ai pas ménagé non plus en interview. Un autre politique, le premier secrétaire de la fédération socialiste en Guadeloupe, Olivier Nicolas, m'a également adressé son soutien. Je lui ai répondu : "Je vous réserverai le même traitement en plateau". Ce à quoi il a répliqué : "J'y compte bien parce qu'une bonne interview c'est quand le journaliste nous challenge".

- ASI : Quelle est votre inquiétude aujourd'hui ?

- Barbara Olivier Zandronis : Mes questions étaient factuelles, il n'y a aucune faute professionnelle de ma part. En revanche, oui, je m'inquiète pour l'avenir, pour la liberté de la presse et des journalistes : quel est le signal lancé avec cette sanction ? Que les journalistes ne pourront plus poser des questions qui dérangent leurs invités parce qu'ils auront peur que ça ne plaise pas à leur direction ? Aux Antilles, la profession est déjà fragilisée par la précarité. Si je suis une militante, je suis simplement une militante de la vérité. J'ai une très haute idée de ce métier.

* Barbara Olivier-Zandronis est la coréalisatrice du documentaire La Martinique, l'île des aînés

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