Les guerres de l'eau ont-elle commencé ? Alors que les sécheresses s'intensifient, que le climat se réchauffe inexorablement et que l'eau vient à manquer régulièrement dans plusieurs départements français, les industriels continuent de pomper des millions de mètres cubes d'eau chaque année pour la mettre en bouteille. Elle est censée être pure, cette eau, mais patatras tout s'effondre : le Monde et Radio France révèlent qu'en infraction avec toutes les règles, Nestlé et Alma, qui produisent Perrier, Saint-Yorre, Vittel ou Hépar ont filtré leur eau, polluée à la source. De l'eau reconditionnée donc, parfois coupée avec celle… du robinet. Et vendue 100 fois plus cher que celle qui coule dans nos cuisines. Face à ces dérives, comment reprendre le contrôle de l'eau ? Bien commun en partie privatisé, l'eau sera-t-elle bientôt un luxe ? Quel rôle joue l'État dans cette mainmise des multinationales ?
Pour tenter de comprendre qui possède notre eau, nous recevons Marie-Alice Chardeaux, docteure en droit et maître de conférence à l’Université Paris Est Créteil, spécialiste du droit des communs et particulièrement de l'eau ; Mathieu Martinière, journaliste membre du collectif We Report qui enquête depuis de longues années sur les multinationales de l'eau ; Bernard Schmitt, médecin retraité, animateur à Vittel du collectif Eau 88 qui lutte contre Nestlé Waters.
Que fait l'État ?
Pourquoi l'État ne tape-t-il pas du poing sur la table pour faire plier les géants de l'eau ? Bernard Schmitt, qui milite depuis six ans à Vittel, a sa conviction : "L'intérêt de l'État se confond avec celui de la multinationale. On est malheureusement dans une époque ou les États servent les multinationales. Toutes les décisions préfectorales sont là pour arranger l'industriel."
Mainmise sur les territoires
Les concertations locales, le plus souvent, ne marchent pas. Pourquoi ? Parce que les grands groupes ont fait main basse sur de nombreux aspects de la vie locale, explique Marie-Alice Chardeaux : "Ce sont des débats qui ne sont que des débats de façade. Les instances sont dominées par les acteurs économiques les plus puissants. À Vittel, la société Nestlé Waters exerce tout un contrôle sur le territoire, à la fois économique et social. Elle pourvoit des centaines d'emplois. Elle a organisé par le biais d'une filiale le rachat de toutes les terres agricoles autour de la nappe phréatique, qu'elle met à disposition des agriculteurs."
Les entreprises se contrôlent... elles-mêmes
Il faut se pincer pour le croire. Pour faire respecter les limites de pompage qu'il impose aux multinationales, l'État peut se reposer sur... les multinationales elles-mêmes. "Ce sont les sociétés elles-mêmes qui vont déclarer le volume qu'elles prélèvent, explique Marie-Alice Chardeaux. [...] Ça veut dire que la déclaration qui est faite est une déclaration sur l'honneur. En réalité, on n'a pas de comptage en temps réel du prélèvement qui est opéré sur la source."
Vers une privatisation totale ?
Allons-nous vers une privatisation totale des ressources en eau ? C'est ce que craint Bernard Schmitt, qui imagine une solution à la chilienne, où il n'y a plus d'eau publique : "Que ce soit à Sainte-Soline ou à Vittel, on voit bien qu'on est sur la captation de la ressource en eaux par quelques-uns."
Pour aller plus loin
- Les enquêtes du collectif We Report sur l'exploitation de l'eau en France.
- Le livre dirigé par Marie-Alice Chardeaux, Le droit économique de l'environnement : Acteurs et méthodes, paru en janvier dernier aux éditions Mare et Martin.
- Le site du collectif Eau 88.
- Les enquêtes de Radio France et du Monde sur le scandale des fraudes chez Nestlé Waters et Alma.
Vous ne pouvez pas (encore) lire cette vidéo...
Cet article est réservé aux abonné.e.s
Rejoignez-les pour une information sur
les médias indépendante et sans pub.
Déjà abonné.e ? Connectez-vousConnectez-vous