Le public italien plebiscite un "ovni" de la RAI
L’émission tranche radicalement avec ce que l’on peut voir d’habitude en Italie. "Vieni via con me" est un ovni télévisuel. Il s’agit d’une série de quatre émissions de 2h 30, dont trois ont déjà été diffusées sur la chaine publique RAI 3. Ovni par sa forme : de longs monologues, des invités qui lisent des listes, pas de "show". Le fond tranche aussi, avec des critiques acerbes envers le pouvoir. Résultat : une audience historique pour la chaîne, avec des pics à 10 millions de téléspectateurs.
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Derniers commentaires
Merci donc à Laure et a Hurluberlu.
Si vous voulez sous-titrer d'autre extraits, je suis preneuse (tiens, le féminin n'existe pas dans mon correcteur d'orthographe.Grrrr) Je n'en ai pas trouvé ailleurs pour l'instant).
la capitalisme arme de destruction des démocraties fondées sur la loi et les règles .
il faudrait en dire autant des institutions européennes au main d'une belle mafia !!
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Et ça marche. Un beau souffle d'espoir....
Je ne vais pas reprendre tout ce qu'a dit Mouflette (qui le dit très très bien), mais... si on essayait, oui ? est-ce que ce serait possible ?
merci Laure.
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Je vais tenter de répondre point par point aux questions de votre premier paragraphe sur la base de mes connaissances de la situation italienne. Je crains que ous ne plaquiez votre analyse de la situation française sur la situation italienne. Vieni via con me n'est pas le début d'une prise de conscience des ravages du berlusconisme: depuis 1994, les Italiens savent exactement à quoi s'en tenir en matière de berlusconisme, mais cela ne les a pas empêchés de le réélire en 2001 et 2008, sous des coalitions quelque peu différentes (la Ligue du Nord est de plus en plus importante dans la coalition berlusconienne). Même si la France et l'Italie ont de nombreux points communs, les particularités doivent être prises en compte. D'ailleurs, d'une certaine façon, cette émission sert aussi les intérêts de berlusconi: pas les intérêts politiques, mais les intérêts financiers, puisqu'Endemol (propriété de B) est le producteur.
1. Mais comment est-ce même possible en Italie ? Comment et pourquoi le pouvoir les laisse-t-il faire ?
La Rai comprend trois chaînes. Avant l'effondrement de la classe politique après l'affaire Mains Propres (début années 1990) qui avait révélé la corruption du système politicien d'alliances et de prébendes, la Démocratie Chrétienne (au pouvoir depuis l'après guerre et qui allait disparaître) avait mis en place à la télé publique le principe (appliqué dans d'autres domaines de la vie publique) de la lottizzazione (étym: division du terrain par lots): Raiuno était DC (démocrate-chrétien), Raidue était PSI (socialiste) et Rai3 était PCI (communiste). Ce principe (tacite), qui permet de maintenir un certain pluralisme, est toujours en vigueur ( en gros: rai1:PDL; rai2:LN; rai3:gauche), même si les anciens partis n'existent plus (et si la question du conflit d'intérêt de Berlusconi pose de nombreux problèmes): aujourd'hui, le parti le plus ancien du Parlement italien est la Ligue du Nord, fondée en 1991; les autres sont des refondations/transformations/scissions/alliances irrésumables ici, qui résultent de l'effondrement général du système en 1990-1994, et de la partitocratie traditionnelle italienne (exemple: depuis 1991, le PCI est devenu PDS, puis DS, et aujourd'hui PD, avec scissions, alliances et changements de programmes à chaque nouveau nom).
Rai3, en dépit des nombreuses turbulences, reste classée à gauche, avec une programmation plus exigeante que les deux autres chaînes de la Rai et une audience gobale en conséquence réduite. Vieni via con me est l'exception qui confirme la règle: c'est la meilleure audience de la chaîne depuis 10 ans. Et faut pas oublier qu'il reste cinq autres chaînes berlusconiennes, dont les deux publiques (à l'exception d'Annozero sur Raidue, et il faut ajouter une chaîne privée, La7, dépendant de Télécom italia, à faible audience)
2. Un mouvement de résistance, cette fois difficile à abattre, s'est-il enfin cristallisé à grande échelle ? Comment, pourquoi ? Pourquoi seulement maintenant ?
Faut pas rêver. Berlusconi est aujourd'hui affaibli, certes (scission de Fini, situation économique déplorable, et affaires de prostituées diverses et variées), mais il est loin d'être à terre. Et quand on l'a cru mort politiquement, il a toujours su rebondir. Je pense que le succès de l'émission s'explique d'abord par le "statut médiatique d'icône laïque" de Saviano, semblable à celui que Salman Rushdie avait en Occident lorqu'il était visé par une fatwa iranienne: il est obligé de vivre caché uniquement parce qu'il a exercé sa liberté d'expression. Et dans un paysage médiatique où rares sont les intellectuels ayant voix au chapitre, l'énorme succès critique et public qu'il avait obtenu avait déjà crée sa figure médiatique d'intellectuel de gauche impliqué dans les questions actuelles (et avant tout sur le terrain de la lutte aux mafias). Pour simplifier, Saviano prend la place dans la mythologie médiatique du grantécrivain-conscience-de-gauche qui manque à l'Italie depuis Sciascia et Pasolini, mais dans un régime désormais télévisuel.
Par ailleurs, il y a une opposition à Berlusconi, aussi bien à droite (scission de Fini), qu'à gauche : au-delà des partis moribonds, une partie de la société civile. Le problème, c'est que la société civile est fortement imprégné de la puissance traditionnelle de l'Eglise... qui préfère encore Berlusconi à la gauche. En outre, les électeurs mécontents semble plutôt voter fortement pour la Ligue du Nord, laquelle devance déjà le parti de Berlusconi dans le Nord (elle gouverne 3 régions, sans compter les communes et provinces) et ne cesse de progresser. Et la gauche est trop mauvaise et divisée pour espérer gagner aujourd'hui, d'autant que la loi électorale ne lui est pas favorable.
3. Y a t-il là des raisons d'espérer une révolte citoyenne, ou pas du tout ?
La dernière fois qu'il y a eu une "révolte citoyenne" en Italie, ou, du moins, un mécontentement manifeste et général de la population contre la classe politique, ce fut lors de la crise systémique provoquée par les scandales de l'opération "mains propres" et une situation politique/économique gravissime (exemple: l'accueil réservé à Craxi, ancien premier ministre, hué par la foule qui lui lance des pièces de monnaie en 1993) . Ce qui en est sorti, c'est Berlusconi, élu en 1994, et ensuite réélu en 2001 et 2008. La gauche n'a pas réussi à s'en débarrasser quand elle est arrivée au pouvoir, et à même réussi l'exploit de s'auto-saborder régulièrement. Ça fait seize ans qu'on annonce la fin de Berlusconi, je ne suis pas sûr qu'il faille prendre nos rêves pour des réalités. Et puis, l'histoire italienne n'est pas marquée comme la France par des révolutions dont le principe fait aujourd'hui consensus; l'Unité italienne elle-même est contestée par un des partis au pouvoir (et je ne parle pas des polémiques encore présente sur le fascisme ou la guerre civile)...
Sans vouloir entrer trop dans l'effroyablement compliquée question des rapports entre une "corruption" populaire (justifiée par ses propres perspectives morales, dans un contexte "éloigné" de l'Etat) et une "corruption" d'élite (aux enjeux individuellement plus graves, et en transgression avec les normes officielles de l'Etat en son coeur même), d'autant que je connais très mal le quotidien italien et ses discours populaires sur ce qui "est" ou "n'est pas vraiment" de la fraude, je me demande si le débat à mener pour l'éviction de Berlusconi est vraiment lié à la dénonciation de ses pratiques et à la critique idéologique de son parti. Ou est-ce que ses crapuleries et son statut d'imbécile fûté ne font pas déjà une quasi unanimité, à laquelle des arguments supplémentaires ne changent pas grand chose parce qu'ils jouent en soi un rôle positif pour lui, aux yeux de ses électeurs ?
Le problème n'est-il pas plutôt, tout à fait indépendamment de Berlusconi, dans le refus de traîter le politique "sérieusement", et dans une forme de nihilisme iconoclaste qui amène, dans un contexte où la transgression est valorisée, à souhaîter un grand transgresseur au coeur de l'appareil étatique ? Dans ce cas-là, le débat touche à des questions de principe (légitimer le dispositif Etatique en soi, légitimer le fait politique, réinstaurer des attentes vis-à-vis du système), plutôt qu'au contenu du politique (gauche/droite). Et les antiberlusconi se trompent peut-être d'argument. En d'autres termes, les électeurs de Berlusconi ne seraient pas nécessairement "manipulés" par une quelconque efficacité de sa rhétorique (ou sa mainmise des médias), mais le soutiendraient "pour" les tares et les culpabilités qu'il cherche à nier. Et il s'agirait surtout de convaincre qu'au-delà du gag berlusconien, les conséquences pratiques de sa présence (de l'absence de tout politicien) au pouvoir sont réellement graves pour la société civile, serait-ce en manque à gagner. Or convaincre les gens que, en principe, des bénéfices seraient réellement à attendre d'un gouvernement "sérieux" est une autre paire de manches.
Est-ce qu'une telle interprétation peut se tenir ? Ou est-ce qu'elle enfonce même des portes déjà bien béantes ?
Oui, l'Italie est un pays où, pour plein de raisons historiques et culturelles, l'Etat est faible et le pays structurellement divisé (le succès de la Ligue du Nord est un des symptômes de l'historique opposition entre Nord et Sud). Les identités familiales et locales sont bien plus fortes que le sentiment d'appartenance nationale qui ne se retrouve que lors du soutien à l'équipe de foot. Berlusconi est l'incarnation du self-made man reaganien qui plaît tant à l'artisanat et au petit patronat italien, essentiellement du Nord, et a su reprendre efficacement les vieux classiques de l'ex démocratie chrétienne (défense de la famille, de l'Eglise et anti-communisme), qui plaît à l'électorat catholique et/ou âgé (l'état de la démographie italienne est celui d'un pays en vieillissement accéléré; le mot gérontocratie est d'ailleurs souvent employé, à raison). Enfin, l'anti-étatisme trouve un écho dans un pays où l'Etat est faible, souvent vu comme une hydre ennemie, et où le succès entrepreneurial est d'autant mieux vu qu'il fut la base du miracle économique italien de l'après guerre (l'Italie devint enfin une puissance européenne qui compte, aux côtés de l'Allemagne et de la France). Quitte à frauder le fisc, ou à tricher avec les règles (et l"empire économique de Berlusconi s'est construit dans les années 70 et 80 aussi en contournant les lois).
Mais, plus que l'image du combinatore individualiste qui aurait réussi sans l'Etat et même contre lui, et plus que le discours idéologique/politique qu'il défend depuis son entrée sur la scène politique, je pense que la force de Berlusconi réside dans sa maîtrise totale des rouages de la société du spectacle. Avant d'être un entrepreneur ou un politique, B. est à la fois le producteur et le produit de la société du spectacle, et ayant imposé ses standards à la télé et au cinéma italien mainstream (en plus d'être télécrate, il est le principal producteur et distributeur ciné, via sa compagnie Medusa film), il les a appliqué à la politique (culte de la personnalité, télégénie, mises en scènes, maîtrise parfaite du marketing, mais aussi image dégradante de la femme, vulgarité, obscénité). D'une certaine façon, il incarne tous les aspects de la société du spectacle, de l'aspect totalisant de son empire politico-économique à la création de sa mythologie personnelle. Deux exemples parmi pleins d'autres de sa propagande-spectacle: la brochure envoyée à tous les foyers italiens pour les élections de 2001, qu je conseille de feuilleter intégralement, et le clip de campagne à la gloire de Silvio en 2008. Et le spectacle fonctionnant comme un flux sans mémoire, le personnage Berlusconi réussit toujours à rebondir après ses défaites... Il reste qu'en ce moment, B. est plutôt affaibli politiquement (la Ligue du Nord le devance dans certaines zones, Fini et les siens ont fait scission, le patronat commence un peu à s'énerver, et les syndicats et les étudiants gueulent), et que sa maîtrise du spectacle ne l'a pas empêché de perdre par deux fois les élection (1996, 2006).
Et, pour finir sur une note debordienne, je crains que même les voix discordantes ne soient en fait englobées au monopole berlusconien totalisant: Saviano est publié chez Mondadori, les films de Benigni sont produits par Medusa, et Vieni via con me est produit par Endemol —ces trois entreprises appartiennent à Berlusconi. "Dans le monde réellement renversé, le vrai est un moment du faux"...
Merci pour cette réponse. Est-ce que j'abuse en vous demandant si vous pouvez développer un peu ces "raisons historiques et culturelles" pour lesquelles le concept d'Etat rassemble particulièrement peu, et l'identité (donc les loyautés et obligations) se construirait surtout autour des communautés familiales/locales ? En général, ce genre de contexte est rattaché aux "Etats nouveaux", c'est-à-dire aux régions où le modèle étatique a été importé un peu du jour au lendemain, et relativement récemment. Je ne connais pas bien l'Italie, et je n'avais pas l'impression que son histoire ressemblait à cela. Si ?
Après l'Italie est (toujours?) une grande puissance européenne, et la faiblesse de l'Etat italien n'est pas non plus celle d'un pays du tiers monde (même si l'économie souterraine estimée est loin des standards européens). Il reste que l'instabilité politique du régime parlementaire (voire partitocratique), des pratiques clientélaires, voire corruptrices, et une centralité étatique défectueuse (car création d'autonomies régionales disparates) favorisent une inefficacité étatique (exemples d'inefficacité: l'Italie est très en retard sur les lignes à grande vitesse, qui coûtent en plus trois à quatre fois plus cher que la moyenne européenne; la justice est une des plus lentes d'Europe; des amnisties fiscales sont régulièrement votées; il n'y a pas d'indemnisation du chômage; les concours de recrutement posent souvent de sérieux problèmes; etc.), et donc une méfiance envers l'Etat. Ce qui renforce l'importance de la famille dans un pays encore fortement catholique, et de surcroît méditerranéen. Où, d'ailleurs, les entreprises familiales sont très nombreuses, surtout dans le Nord, le poumon économique.
Bon, là c'est du résumé de chez résumé. Mais ça donne une idée des particularités italiennes (sous un angle pessimiste, certes, mais après 16 ans de berlusconisme, il est difficile d'être optimiste) sur lesquelles s'appuie B.
Que lis-je...
Fini donc la complexité, les causes réelles, mais invisibles, ne reste plus qu'un mécanisme psychologique tout aussi sommaire que globalisant, celui-là même qu'hier vous rechigniez à appliquer à d'autres domaines, d'autres pays, d'autres situations sociales et politiques...
IT, en passant la frontière, n'en franchirait-il pas une autre en faisant soudainement du yG ?
J'attends d'une minute à l'autre son mea-culpa.
:) yG
Pour en avoir une idée:
Draquila
Très bien ton commentaire. ainsi que la réponse d'Hurluberlu.
Continuons sur le métier de la critique à polir l'ouvrage de la révolte.