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Et le cochon Okja se heurta aux limites de l'image

Okja : le film américano-sud-coréen, présenté cette année à Cannes, a autant fait parler de lui pour son mode de diffusion, exclusivement sur Netflix, que pour son sujet, une dénonciation des souffrances des animaux d'élevage, à travers le personnage d'une sorte de monstrueux cochon. Forcé de conquérir de nouveaux publics, Netflix, en effet, est mécaniquement poussée vers des sujets plus audacieux, impliquant des minorités sous-représentées par les medias généralistes.

Derniers commentaires

En prolongement de la discussion ci-dessus (merci à ceux qui y ont contribué!), un billet sur mon blog L'image sociale: http://imagesociale.fr/4790
André, dans votre chronique vous passez plus de temps à présenter Netflix que Bong Joon-Ho, à croire qu’il n'est qu’un tâcheron censé produire du contenu « à thèse » pour les consommateurs. Votre analyse semble indiquer qu’il n’a rien voulu faire au-delà de son supposé cahier des charges. Je ne suis pas sûr qu’Okja soit un film animaliste. La chronique n’examine le film que sous cet angle, en vérifiant s’il coche toutes les cases, pour conclure que ce qui sort de ce cadre en fait un « échec ».

Avant de regarder un film en tant que symptôme de son époque (ce qui devrait être réservé aux navets sans rien d’autre à nous offrir), il faudrait au moins essayer de comprendre où il nous emmène. La plupart du temps, la réponse est justement dans ce qui "cloche", et dans ce que le réalisateur choisit de montrer ou de ne pas montrer.

En effet, les scènes à l’abattoir sont édulcorées par rapport à la réalité. Les faux cochons du film ont plus de place dans leur enclos que des vrais dans leur cage. Les images de Darius Khondji sont hyperstylisées. Okja n'aura donc pas le label "100% animaliste". On peut toujours se dire que des images plus réalistes n’auraient pas nui au film. Mais en l’état, la scène du viol reste la plus crade, avec assez de cohérence pour que ce ne soit pas un accident, une autocensure ou une limite.

Tous les personnages du film sont plus complexes qu’il n’y paraît, Mija la première. Bong Joon-Ho en fait une jeune fille refusant de devenir jeune femme (son oncle préfèrerait qu’elle rencontre des garçons plutôt que traîner avec un animal). Elle finit par échanger son cadeau de mariage contre Okja, qui semble incarner, sous la forme d’un doudou très envahissant, l’enfance que Mija refuse d’abandonner, préférant le pipi-caca à la découverte du sexe. Dès lors la scène d’accouplement prend tout son sens. Ce n’est pas une facilité pour éviter de faire du L214 en CGI. Ce n'est pas non plus une critique de la pression sociale du mariage, mollement incarnée par le grand-père. Okja est humanisée (nulle mention de chaleurs) et comme Mija elle refuse de fréquenter les garçons. La scène est poussée à l’extrême et prend la forme d’un viol. Tout est fait ensuite pour que Mija ne soit pas mise face aux images de la vidéo, mais elle est placée dans un dispositif pervers où tout se passe dans son dos. On ne sait pas ce que Mija dit ensuite à l’oreille d’Okja pour la calmer. A la fin toutes les deux retournent vivre comme avant à la campagne, avec un petit qui n’est pas celui d’Okja, dont le viol semble n'avoir laissé aucune séquelle. Okja incarnant une sorte de double inconscient de Mija, on peut se demander de quoi Mija est rescapée… L’oreille-boîte-noire d’Okja, réceptacle des confidences de Mija depuis sa plus tendre enfance, a recraché une scène terrible qui pourrait être le refoulé de la jeune fille. Le film reste évasif sur son passé (même ses parents sont enterrés), et la maintient dans un rapport au sexe uniquement fondé sur le déni voire le dégoût (comme Indiana Jones et le Temple Maudit, autre « film d’enfants pour adultes » mémorable). Autre binôme du film, les jumelles Mirando représentent les deux faces de la "psychopathologie capitaliste", la première ayant besoin d’être aimée et aspirant à une forme d’expression artistique, la seconde assumant son cynisme au point d’en perdre toute humanité. Le film passe de la fable au conte un peu déprimant, parce que les personnages n’évoluent pas. Ces éléments le rendent aussi passionnant que problématique (les troubles de Mija et des sœurs Mirando sont-ils partagés par ce film-OGM ou bien expriment-ils son autocritique ?).

Tout ça pour dire qu’une œuvre de cette richesse vaut mieux que de se demander s’il est bel et bien le produit de son époque, et devrait inciter à chercher au-delà de son argument de vente. Etudier ce que nous refusons de voir serait plus intéressant en croisant les sources, comme le fait Alain Korkos. Ici la chronique donne l’impression d’observer le film par le petit bout de la lorgnette. La façon dont ASI traite les documentaires tombe dans le même écueil selon moi : le regard de l’auteur est ignoré (refus de voir ?), on se focalise sur des éléments anecdotiques ou superficiels, et ces analyses se terminent là où elles devraient commencer. Ça ne ferait pourtant pas de mal d’avoir un regard critique approfondi sur des fictions et des documentaires, sans systématiquement recourir à des grilles d’analyse qu’on plaque sur à peu près tout pour en tirer des observation étriquées, à des lieues de ce que peuvent offrir des œuvres d’art aux multiples niveaux de lecture.

Enfin, pour ceux que ça intéresse, un autre exemple de film d’enfants pour adultes en plus de celui cité plus bas par lama sabactani : Le Sous-Sol de la Peur (The People Under The Stairs, 1991) de Wes Craven !
Beaucoup d'erreurs factuelles

Ça commence mal déjà, la série féministe de Netflix est Sense 8, les séries que vous avez citées appartiennent au tout venant de la production culturelle américaine et leur "féminisme" est, à la manière de celui de WW, un appât illusoire pour vendre plus de merdes marchandes !

"Il est difficile de s'attacher à un animal imaginaire".
Hum c'est subjectif . Donc les dragons, les licornes, les Totoros le chat du Cheshire et la Chenille vous laissent de marbre ! C'est triste.

Non le modèle dans le film n'est pas une association comme l214 mais le front de libération des animaux qui s'apparente aux groupes communistes guérilleros des années 70 ( ce qui pour un film sud coréen est assez incroyable et pratiquement illégal ! ).

Jurassic Park c'est 4 min d'animation numérique le reste c'est principalement de l'animatronique : mauvais exemple.

"Disneyisé" ça ne veut vraiment rien dire, sacrée analyse ...
Okja est un "film d'enfant pour adultes", comme Babe 2 ( qui a influencé explicitement Bong Joon-ho ).

Bettelheim écrivait déjà des choses absurdes sur les films Disney et niait la puissance évocatrice des images en mouvement, vous semblez vous en inspirer, franchement on peut passer à autre chose en 2017 surtout sur ASI ... ( Essayer avec le jeux-vidéo c'est encore à la mode !).
Envers quoi est-on compatissant ?
Que se passe-t-il quand on bestialise l'humain et humanise l'animal ?
On voit parfois des défenseurs de la "cause animale" souhaiter la mort de chasseurs, de toreros etc. comme on nous fait souhaiter la mort de tyrans pour de nouvelles guerres. Ce n'est certainement pas la dichotomie homme/animal pertinente pour tout ça, plutôt un rapport moral bien/mal, victime/bourreau, ange/démon.
Mais respecte-t-on le loup quand on en fait un chien, qu'on lui demande d'être gentil, affectueux, "humain" ?
Cette chronique démarre très mal, déjà, en occultant le réalisateur Bong Joon-Ho, qui a créé le film et qui a porté le projet avant même que Netflix ne s'en empare. Donc analyser la chose comme une stratégie commerciale de Netflix d'investir une thématique écolo et donc de créer un film autour de ça, c'est déjà faux, factuellement.
Ce n'est pas n'importe quel réalisateur, quand même, il ne s'agit pas ici d'un film de producteur où l'on prend un réalisateur accessoire pour figurer en tout petit en bas d'une affiche, il s'agit du réalisateur de "The Host" et "Snowpiercer", un des plus grands cinéastes coréen aujourd'hui. Alors nier son implication en faisant de ce film une récupération par une grosse boîte américaine d'une thématique écolo, c'est un peu insultant pour l'auteur de l'oeuvre.
Pour le reste, il me semble que, encore une fois, on cherche a faire sortir un message d'une oeuvre alors qu'une oeuvre n'est là que pour questionner. Bong Joon-Ho fait ça très bien en brouillant tout manichéisme dans son film. Il y a la question de la souffrance animale, la question de l'exploitation des animaux par l'industrie agro-alimentaire. Mais ce ne sont que des questions, certes un poil orientées - il y a sa sensibilité, tout de même - mais il laisse le spectateur se poser lui-même ces questions. Les violences sont questionnées, pas dénoncées, et c'est une nuance importante, à mon sens, parce qu'elle fait appel au spectateur: on ne cherche pas à le convaincre par un film de propagande, mais à faire émerger dans son esprit des questionnements.
Bref, une chronique à côté de la plaque.
On n'a pas vu le même film. Revisionnez les séquences de Tilda Swinton en pédégère hystérique, ou celle de Jake Gyllenhaal dans le laboratoire de Mirando, et revenez me dire sérieusement que "Les violences sont questionnées, pas dénoncées".
Il ne me semble pas que la sincérité du réalisateur et de sa volonté soit remise en question, il est "simplement" expliqué que Netflix veut mettre en exergue un type de contenu qui n'est pas nécessairement mis en avant via d'autres médias mainstream. Et là, effectivement, on est dans une démarche qui n'est pas innocente, commercialement parlant.

Quant au reste de votre analyse, c'est clairement votre vision subjective, qu'elle soit meilleure ou non que celle de l'auteur de la chronique.

De fait, ne serait-ce pas votre commentaire qui se trouve un peu (beaucoup) à côté de la plaque ?
Merci, super intéressant. Pour ma part, je n'ai pas vu le film car je me suis dit que c'était inutile de me torturer au sujet d'un animal qui n'existe pas vraiment (même si le modèle industriel lui, est réel), car ce sujet m'est particulièrement douloureux et il y a déjà fort à faire avec la réalité telle qu'elle est. À la limite, la chronique me rassure sur le contenu mais de toutes façons, j'avais déjà pleuré toutes les larmes de mon corps quand la chienne meurt dans l'Insoutenable légèreté de l'être - le livre -, donc, hein, c'est bon.

Au sujet de l'importance de l'image pour les activistes, et d'images d'horreur en particulier, je crois que c'est assez discutable. La défense des animaux n'a pas attendu l'invention de la photo pour exister, y compris chez les grands philosophes et historiens de l'Antiquité... Pour ne prendre d'exemples que dans notre culture. Je ne sais plus quel historien romain avait dit tout le dégoût et la tristesse que lui inspirait la torture des animaux dans les cirques romains (on pense tout le temps aux chrétiens et aux gladiateurs mais 5 000 animaux étaient tués et torturés : balancés du haut d'une tour, etc.)

Et on peut aussi prendre l'exemple des actions de l'ALF (Animal Liberation Front) qui consistent à libérer des animaux de laboratoire, élevages, etc., et à les photographier une fois libres, dans les bras de types baraqués, tout en noir et cagoulés (attitude critiquée à présent pour son machisme mais personnellement, je trouvais ça rigolo de voir un type avec un look de terroriste caresser un petit lapin de laboratoire...).

Ce qui change tout, c'est la possibilité de diffuser ces images. Avant internet, c'était très compliqué. Mais maintenant, les médias courent après les réseaux.

J'y vois quant à moi plusieurs problèmes, outre que je suis incapable de les regarder sans avoir envie de poser des bombes. Déjà, on remarque l'accoutumance à l'horreur des guerres, des attentats, des exactions diverses et variées sur des humains (qui, à part le gouvernement, a été traumatisé, franchement, par Collateral Murder ?). ASI avait d'ailleurs publié un papier de Daniel Schneidermann, je crois, montrant bien que France 2 disait "ouhlala, nous on mange pas de ce pain-là, on ne va pas vous montrer les cadavres de nos soldats, mais nous montrait tranquillement les corps carbonisés de "djihadistes". Donc au bout d'un moment, les gens vont dire "ohla la, encore !" et au final, on en sera au même point.

Autre problème, les groupes qui postent sur les réseaux des photos ou des vidéos de chasseurs de gros gibier en Afrique (ou ailleurs). Si vous ne diffusez pas même le nom de ces ordures, ça ne sert strictement à rien d'autre qu'à rendre malheureux les défenseurs de la cause animale. Si vous ne donnez pas les coordonnées des bizness de merde qui "encadrent" ce massacre, ça ne sert à rien. Si, comble de tout, vous persistez à dire que "la politique n'a rien à voir là-dedans", vous sciez la branche sur laquelle vous êtes assis.

Donc oui, la vérité doit être montrée mais avec discernement et les coupables nommément désignés. Par coupables, j'entends les entreprises, pas forcément le pauvre travailleur polonais qui découpe chaque jour 7 000 têtes de cochon comme je l'ai entendu dans un reportage. Oui, travailler dans un abattoir rend fou et oui, il faut le dire, et oui, il faut répéter que ces métiers ne peuvent exister que s'il y a de la pauvreté d'un côté, et de la propagande de l'autre.

Sinon, il est exact que l'univers concentrationnaire est la bonne analogie ne serait-ce que parce que les abattoirs de Chicago ont inspiré les concepteurs de cette machine à exterminer. Mais si cette analogie passe très bien dans certains pays, ceux qui n'ont rien à se reprocher en matière de collaboration, en France, la réaction immédiate c'est: "comment osez-vous comparer !"

Sinon, un lien vers une interview qui permet de reconstruire un peu l'évolution du milieu militant : http://jefklak.org/?p=3849

Et à propos de propagande, je pense à un exemple précis : Guillaume Meurice est vegan et ne s'en cache pas. Pourtant, on entend à longueur de journée sur France Inter des publicités pour une marque de viande de boeuf, une entreprise déjà mise en cause par les associations. Mais là encore, on va nous dire "ah, mais ça n'a rien à voir". Mais en fait, si. Se foutre de la gueule de l'arrivisme de Patrick Cohen, ça ne mange pas de pain vu qu'il se barre, mais s'attaquer au sponsor, hein... Dans le genre, on a Aymeric Caron qui est tout sourire quand il interviewe une torera à cheval (donc deux fois plus cruelle que les autres)...

"Tant que les lapins n'auront pas d'historien, l'histoire sera racontée par les chasseurs." Au sens propre comme au figuré. Pour ceux qui lisent l'anglais, Chris Hedges publie régulièrement de super articles sur le lien qu'il fait entre exploitation des animaux, la prostitution, la guerre, et même nos écrans.
Vous êtes tous abonnés à Netflix, ou y'a moyen de le voir sans abonnement ?
ATTENTION ÇA SPOILE SÉVÈRE

Le film est aussi une satire des activistes, contradictoires, pas toujours honnêtes, poussant parfois leur logique jusqu'à l'absurde (jusqu'à refuser de se nourrir). Les images qu'ils enregistrent sont mises en scène : Okja est rendue à Mirando uniquement pour fournir les preuves de ses sévices, elle est autant chair à pâté que chair à images. Seule Mija, la jeune fille, n'est portée que par son amour pour Okja ; mais elle ne sauve qu'Okja (qui, elle, sauve un bébé cochon).

Bien entendu, les militants sont du bon côté, ils regrettent leurs erreurs et s'en prennent plein la gueule. Ça les rend forcément plus sympa que les capitalistes. Mais ils sont l'envers de la même pièce, où il s'agit de fabriquer des images et de les diffuser avec des codes préétablis (pub corporate pour les uns, happening foutraque pour les autres). Bref, ils conçoivent des produits destinés à susciter des réactions bien précises. C'est de la communication. Okja et la jeune fille sont ses outils, et le grand public est sa cible.

Bong Joon-Ho a déjà fait dans l'anti-américanisme (The Host qui était super), là non plus il n'y va pas avec le dos de la cuillère, mais en tant qu'artiste il réfléchit à question de l'image. Comment informer sans faire de la communication, surtout lorsque les médias sont contrôlés par ceux que l'on combat ? L'embarras dont témoignent certains des activistes du film semble montrer qu'ils aspirent à des méthodes plus éthiques. En refusant de recourir à la violence que leur mouvement porte en lui, en n'assumant que sa dimension spectaculaire, ils partent avec un sérieux handicap car ceux qu'ils ont en face ne reculent devant aucune crapulerie et passeront toujours pour moins violents qu'eux. Aux yeux du public la violence de leurs vidéos dépasse de loin celle des coups qu'ils reçoivent. Ironiquement, même les activistes semblent plus prêts à endurer la répression que le spectacle du viol d'Okja, comme si, pour le réalisateur, la diffusion d'images violentes était elle aussi problématique.

Assimiler l'abattoir à un camp de la mort est intéressant au-delà du fait que c'est là qu'a été mise au point l'industrialisation du meurtre. La question de l'image y était primordiale : d'un côté les bourreaux faisaient tout pour ne laisser aucune trace de leurs crimes, et de l'autre la population à l'extérieur feignait d'ignorer ce qui s'y passait. A travers ses films, constitués de témoignages, Claude Lanzmann dit qu'il n'y a pas besoin de preuves par l'image de la Shoah pour savoir qu'elle est incontestable. Ignorer l'horreur des camps comme celle des abattoirs relève d'un aveuglement que même les images les plus explicites ne peuvent guérir. La généralisation de la vidéosurveillance ou du filmage sur smartphone de faits condamnables ne fait que nous rendre plus dépendants à la preuve par l'image et ne nous guérit pas de ce qui nous conduit au déni. Si on a besoin de vidéos pour savoir qu'il y a un problème avec le traitement des animaux, les discriminations raciales, les violences policières, les conditions de vie des réfugiés et j'en passe, c'est que nous sommes volontairement sourds depuis longtemps, car les informations sont à portée de main. Certes les images peuvent provoquer des prises de conscience, et c'est toujours ça de pris. Mais toute image menace aussi de ne faire de nous que de simples consommateurs.

La séquence de l'abattoir n'est pas aussi violente que le viol car elle commence par la fin : Mija remonte le processus à l'envers, c'est comme si les bestiaux se reconstituaient : d'abord quartiers de viande, ils redeviennent cochons entiers, jusqu'à Okja qui est alors sauvée. Il ne s'agit plus pour le réalisateur de nous violenter par les images, il l'a déjà fait, non sans critiquer cette méthode. Son film n'est pas un tract militant. En montrer plus n'aurait jamais eu l'impact des vidéos de L214 : le gore en images de synthèse ou même en animatronique n'a qu'une force symbolique, à mille lieues d'images d'êtres vivants réels. Question transgression, le viol d'une créature fictive était sans doute plus "efficace" que son charcutage.

Bong Joon-Ho aurait pu tuer Okja pour qu'on partage le chagrin de sa jeune héroïne, comme dans bien des films. Mais ce n'est peut-être pas ce type d'émotion que le réalisateur voulait susciter. En libérant l'animal, il ne nous satisfait pas pour autant. A la fin du film Mija retourne à la campagne avec sa Okja mais les autres cochons n'ont pas de Mija pour les sauver. Et on doit se débrouiller avec ça. Pour moi la sortie de l'abattoir, traitée de façon métaphorique et esthétisée comme vous le dites André, semble dire qu'une part de notre humanité est morte derrière ces clôtures électrifiées. Le soulagement que nous avons de ne pas avoir perdu Okja ou d’avoir échappé à des images type L214 nous laisse un goût amer, plus complexe que le dégoût ou la tristesse, qui n'élude pas la question de notre aveuglement : on sait déjà que tout ça existe.

La séquence post-générique nous montre les activistes de nouveau prêts à agir, et à accueillir au passage une nouvelle recrue. Maladroits, un peu risibles, pas tous sur la même longueur d'onde, mais optimistes et déterminés à continuer le combat. Ont-ils appris de leurs erreurs ? Quid de leur rapport à la violence ? Comment géreront-ils leur comm' ? Et quand les rejoindrons-nous ?
Tenez aujourd'hui se pose la question de ce qu'il faut ou non montrer
Paris Match s'accorde le droit de publier l'image du criminel abattu après avoir fauché des centaines de gens sur la Promenade des Anglais
Le Parquet de Paris lui défend de le faire par respect pour les victimes que l'on voit aussi au loin sur les photos.

La vision du criminel dans sa marre de sang (je suppose), c'est un peu du lynchage qu'on n'a pas pu se payer
La vision des victimes qu'on nous soustrait, c'est le dernier respect qu'il nous reste lorsque nous sommes confrontés à la Mort

mais un respect que nous n'avons pas quand les scènes sont prises au delà du Liban

Sur la télé Britannique, on annonce que les images peuvent choquer, mais on les montre
On ne montre pas les vidéos des abattoirs, car il n'y a rien de plus choquant pour un Britannique

Paris Match se défend : les photos "sont publiées dans un souci de compréhension des événements"
C'est vrai que nous avions un besoin urgent de comprendre au cas où nous aurions perdu de vue notre combat aux côtés de Trump pour défendre notre civilisation

C'est vrai aussi que la vue d'un petit corps allongé sur une plage, quand on est mère ou père, ça vous fait entrevoir le malheur des gens bien mieux que les actualités quotidiennes des bateaux chavirés

Il reste gravé l'image des corps squelettiques entassés pour illustrer l'horreur des camps
mais l'horreur des camps est pour beaucoup la photo de cet enfant Juif de Varshe, de Varsovie, mains levées sortant du ghetto...
Comment informer sans monter ?

Comment connaître sans voir ?

Comment savoir sans avoir vu ?


Comment sortir de cette boucle que certains qualifient " d'infernale" ?

Montrer l'horreur est-ce participer à l'alimentation de l'horreur ?

Avec quels effets ?




Comment informer sans entraîner une réaction en chaîne ?
Pour reprendre la discussion globalement: il ne s'agit pas de prendre un film de fiction pour un documentaire. Bien sûr que toute histoire (à plus forte raison grand public) comporte son lot de métaphores, d'atténuations ou d'adaptations, qui en font une œuvre. Reste qu'ici, les vidéos des activistes font partie intégrante du sujet: le moyen d'action et de dénonciation du groupe des militants animalistes au sein du film est bien la diffusion d'images choc. Ne pas montrer ces images, tout en mettant en scène leur enregistrement, sur un mode réflexif qui est celui des films d'horreur (montrer les sentiments de ceux qui voient les images à travers leurs expressions et postures) est donc un fait objectif qui peut être discuté. Cette limite que je souligne est donc moins une critique du film qu'une interrogation sur notre société – ce qu'elle montre, ce qu'elle accepte de voir, et ce qu'elle veut cacher – interrogation qui est partie prenante du sujet du film.
Je souscrit a pratiquement tous les propos du chroniqueurs, sauf ses deux réserves, du coup je suis beaucoup plus enthousiasmé par ce film.

La première, ça c'est une question de gout, de ressenti, et d’appréciation: Des les premiers plans dans la foret (ou plane le Totoro de Miyazaki), j'ai adhéré a cette bête. Ça passe par le design, l'animation, la vraisemblance du regard calqué sur la tristesse d'un lamantin, les attitudes canidés, le dévouement, l'intelligence, tout ça dans la mise en scène, l’écriture et l'incrustation ou l'on sent le contact physique. Je penses que contrairement a vous j'ai mieux consentis a suspendre mon incrédulité, j'ai marché a 100%.

La seconde, justement, ils ne nous ont pas montré frontalement la maltraitance et ont joué avec le hors champ et avec les réactions d'horreur des personnages assistant eu pleinement a la scène. Je trouve que cinématographiquement, c'est de la bonne mise en scène, pas besoin de plus, on comprends, on ressent l'horreur, ne pas voir nous obsède mais nous laisse imaginer le pire, et la rupture de ton est complète. Je m'explique, la scène d'avant on a un clip avec ellipses parallèles: la filature, les journalistes, la demande de coup de fil, le rattrapage du service comm, le rapatriement de Mija, monté sur du klezmer, donc c'est léger, et la, BIM, on arrive dans le labo inquiétant avec son psychopathe, toujours sur du klezmer qui disparais, puis insoutenable violence, crime contre l'innocence du doux pachyderme, hors champ, c'est brillant.

Bref, j'ai marché.
Sinon tout le reste de la chronique est cool. ;)
Voilà une chronique qui me prend au moment où je rebrousse poil devant le rayon boucherie

Une très bonne chronique bien sûr mais peut-être désabusée, comme si un vent maussade avait enveloppé André Gunthert, comme un adieu aux barbecues

D'abord elle commence par au "menu aujourd'hui" sur le thème du cochon, et puis plus loin "pour des raisons commerciales, Netflix nous alimente..."

Et en effet, rien de plus répugnant que cet animal transgénique, que cette récupération des luttes anticapitalistes par une société dont La Tribune dit "Tous les voyants sont au vert pour Netflix, qui poursuit sa belle dynamique de la fin 2016"
Attention spoiler.
Petit bémol, la partie d'accouplement est effectivement occultée mais l’abattage ne l'est pas.
On ne peut pas dire que cette scène d'abattage euphémise les abattages au pistolet électrique des abattoirs.
Outre la critique de l'agroalimentaire et du capitalisme le film fait aussi une "critique" des mouvements militants de la cause animale à travers les agissements sectaires et violents de son leader qui n'est pas sans posé question non plus sur la finalité du film et son soit disant message anti-capitaliste relevé par la presse. L'anti-capitalisme ne passera pas par Netflix, faut pas pousser non plus ;-)
Pour le reste excellent chronique comme d'habitude, un grand merci.
Une chronique très intéressante .Merci
Attention SPOIL (la chronique a déjà bien spoilé, pas la peine de lire la suite si vous voulez voir le film) :


La cause animale n'est, à mon avis, que la toile de fond de l'histoire qui porte sur la relation entre une petite fille et son animal mise à mal par la société de plus en plus folle.
Je trouve personnellement que cette relation est très bien représentée dans le début du film et qu'une empathie se dégage rapidement et subtilement. Peut-être faut-il être sensible au traitement tout en retenu typique de la culture asiatique. On comprend que l'animal est habité par des sentiments très complexes proche de ceux d'un être humain. En partant de là, on ressent bien qu'Okja ne subit pas un "accouplement" comme il est dit mais bien un viol, que le présentateur haineux la torture comme on pourrait torturer avec des brûlures de cigarettes. Alors pourquoi en "vouloir" au film de ne pas en montrer plus? Plus aurait certainement nuit au film, la réalité cruelle des abattoirs est bien plus proche d'un film d'horreur. Ce qui ne me semble pas être le ton recherché du film.
La plupart des films de Joon-Ho Bong tourne surtout autour des relations humaines qui subissent les attaques souvent complétement décalées de la société (The Host en tête de liste). Ici nous avons les multinationales mais aussi les associations qui sont critiquées. Elles nient d'abord le lien Okja/Mija, pour ensuite l'utiliser pour se donner bonne conscience.
On peut y voir aussi (et là je suis d'accord avec l'avis de la chronique) un parallèle avec Netflix et Joon-Ho Bong, cette toute puissante société qui utilise le talent et l'aura de ce réalisateur pour attirer encore plus d'abonnés sur sa plateforme. En effet ce n'es pas un hasard si un côté pro-vegan se dégage du film.
Très bonne chronique. Noter que l'affiche semble plus insister sur l'aspect industriel de l'élevage et ses effets polluants que sur la douleur animale; Qu'en est-il dans le film que je n'ai pas vu ni ne verrai (pas abonné Netflix)?

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