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Commentaires

Des clés et des serrures, à la manière de Gustave Doré

Le Quartier Latin était dans les années 70-80 un quartier de libraires, la librairie Maspéro n'était pas encore devenue un magasin Celio*. Deux ou trois de ces échoppes de papier proposaient des ouvrages publiés par une maison d'édition américaine, Dover Publications. Au catalogue de l'époque, des gravures de Gustave Doré, de James Whistler, des dessins de Hans Holbein, de Granville, de Léonard de Vinci, l'intégrale des gravures de Rembrandt en format original, etc. Ces livres étaient très peu chers, et c'est ainsi que j'ai pu acheter La Bible, le Don Quichotte de Cervantes, Le Dit du Vieux Marin de Coleridge et Les Contes de Perrault illustrés par Gustave Doré.

Derniers commentaires

Article passionnant, comme d'habitude.

En toute modestie, car je ne suis pas spécialiste, j'émets cependant un doute sur l'illustration de Gillot, qui aurait pu inspirer Gustave Doré. Je ne sais pas quelles sont vos sources, mais j'y vois plutôt une image plus tardive (1887), et signée Hermann Vogel (visible en bas à droite). L'autre signature appartiendrait au graveur, j'imagine.

Une autre illustration de Vogel pour le même conte est une des plus sinistres que je connaisse parmi toutes les illustrations de ce récit, car elle donne à voir ce qui est rarement montré : l'intérieur de la chambre secrète. A noter, au premier plan de cette dernière image, une énorme hache sanglante, bien plus monstrueuse que la clé en question (cette hache me semble préfigurer l'instrument contondant utilisé par le psychopathe de Seven dans la séquence consacrée à la luxure, ce qui ne nous éloigne guère de notre sujet).
http://4.bp.blogspot.com/-fvGF6nrV4Sw/U0RqVenZg7I/AAAAAAAAG54/BT0oCw_OWZA/s1600/Hermann+Vogel.jpg
Madame Barbe-Bleue

Je suis, morbleu,
Madame Barbe-Bleue,
Tête-bleu ! corbleu ! ventre-bleu !

Tubleu ! damoiseaux étourdis,
Redoutez-moi : je suis ogresse,
Des ogresses du temps jadis
J'ai l'appétit et la tendresse ;
Jurant, sacrant comme un démon,
A ma barbe je dois mon nom.

Je suis, morbleu,
Madame Barbe-Bleue,
Tête-bleu ! corbleu ! ventre-bleu !

Pour bien juger de quels morceaux
Il faut que ma faim se repaisse,
Galant, qui crains les longs assauts,
Contemple cette barbe épaisse.
Sans trembler on ne peut la voir ;
Elle défîrait le rasoir.

Je suis, morbleu,
Madame Barbe-Bleue,
Tête-bleu ! corbleu ! ventre-bleu !

Voulant vous détruire en un jour,
Petits blondins, faibles espèces,
Que Vénus batte le tambour
Et lève un régiment d'ogresses ;
Pour vous faire de belles peurs
Je commanderais les sapeurs.

Je suis, morbleu,
Madame Barbe-Bleue,
Tête-bleu ! corbleu ! ventre-bleu !

Malgré mes appétits gloutons,
Jamais de jour qu'il ne me vienne
Des barbes de tous les cantons
Pour se mesurer à la mienne.
Barbe de prêtre, de robin,
Barbe de Turc et de rabbin.

Je suis, morbleu,
Madame Barbe-Bleue,
Tête-bleu ! corbleu ! ventre-bleu !

Mais, quoi qu'on fasse, je pâtis,
Et tout m'est bon lorsque je souffre.
Deux mille amants grands et petits
N'ont encor pu combler ce gouffre.
Bien d'autres non moins échauffés,
De ma barbe mourront coiffés.

Je suis, morbleu,
Madame Barbe-Bleue,
Tête-bleu ! corbleu ! ventre-bleu !

J'avalerais, sans les mâcher,
En un jour, deux abbés, trois carmes,
Les six gros garçons du boucher,
Huit portefaix et dix gendarmes ;
Quant tout un bataillon viendrait
Par ma barbe il y passerait.

Je suis, morbleu,
Madame Barbe-Bleue,
Tête-bleu ! corbleu ! ventre-bleu !

Béranger
Si je dis des choses débiles, on me traite de tâche: telle cette phrase, ainsi est fait un conte avec des petits morceaux de vrai (tache indélébile) mis dans un fatras inextricable.
Tout y est méconnaissable. Et reconnaissable, c'est à dire interprétable, pas globalement et définitivement comme dans l'image de Doré, mais par ce qu'on a en soi quand on le lit.
Gustave Doré a vu ceci, mais pas moi en lisant cette histoire que j'aimais dans mon enfance, pas du tout.
Tout est inversé, car la tache dont on parle "image de la virginité" est on ne peut plus éphémère, unique, le contraire d'indélébile. Et dans l'histoire c'est la jeune épouse qui met la clé dans la serrure, le contraire de la réalité. La fascination de l'interdit à braver est celle de l'homme qui y trouve sa jouissance, là au contraire elle est attribuée à la femme, comme la représente (l'imagine) Gustave Doré. Mais un dessin explicite ne sert pas tellement le conte, il le réduit.
La jeune femme ouvre la porte interdite, pour voir l'inconscient du mari peut-être, mais surtout le passé caché, les archives sous scellé de son époux. Quelle que soit la crainte que nous inspire une personne, on doit en avoir le coeur net.
La crainte de l'homme tout puissant, ça parle à une petite fille. Mais ce n'est pas ça qui a intéressé Gustave Doré!
Plus tard, après que la jeune, très jeune épouse, aura fauté en entrant dans la pièce interdite, elle n'aura de cesse de laver ladite clé tachée de sang. Elle frottera, frottera, mais la tache restera indélébile :

"fauté" ?! damned !
Barbe Bleue faisait peur à tout le conté et c'est l'épousée qui mériterait l'enfer !....;-)
c'est vrai c'est d'un autre temps hum hum

osons osons une autre interprétation youpla :)
notre bellâtre a réussi à montrer sa meilleure face pour se trouver une jeune épousée...
le tort de cette jeune épousée est d'être tombée dans le panneau de l'image qu'il a voulu donner : promenades, danses, festins, collations, et j'en passe et des meilleures :)
et il lui interdit l'accès d'une pièce à la cave ?! rôôôô

inutile de dire que l'interdit engendre la transgression....;-)
qui sait si notre Barbe Bleue ne l'a pas intentionnellement poussée à la transgression pour en faire sa énième victime ??
arf arf
la morale de cette histoire est certainement que la curiosité est un vilain défaut....même si en l’occurrence elle a permis de se débarrasser du sérial killer ?!
(bon OK Pérault n'était pas encore très au fait de la notion de sérial killer....:))

....et peut-être que concernant la seconde morale, ce conte là n'est peut-être pas tant que ça du temps passé....:(

ah merci m'sieur Korkos, car j'adore les contes surtout ceux dans lesquels le méchant ogre meure à la fin :)
J'adore les chroniques d'Alain Korkos je je lis toujours avec délectation. Merci!
Ce qui m'a frappée dans la gravure de Doré ce sont les yeux du mari, presque sortis de leur orbite. Avec ses poils sur le visage il fait plus animal qu'homme. Un monstre, en fait.
Freud, c'était pas si mal.
N'empêche...
Quelque chose dans la métaphore me perturbe...
Un homme qui confie sa grosse clé à sa Dame. Dame qui a donc le contrôle total sur la clé. Et qui va s'en servir pour la faire pénétrer dans la serrure de (la porte de) son homme. A t on affaire à du chevillage? Qui plus est, la clé en sort saignante: Monsieur avait il des hémorroïdes? Clé mal graissée?
A remarquer que sur l'illustration de G. Doré, la clé fait exactement le même angle qu'un certain organe en érection, dirigé vers la demoiselle...
Étant né de la raison et des règles de la mécanique, je n'ai jamais compris à la base cette impossibilité pratique de nettoyer les tâches (Lady Macbeth "Wash your hands").

Et donc je n'ai jamais pu être convaincu que la tâche ne puisse disparaître malgré le fait qu' "elle eut beau la laver, et même la frotter avec du sablon et avec du grès". Non, non ! pas pour un esprit gorgé depuis le plus jeune âge des vertus de Ariel.

Bien sûr l'on sait par la vie que les tâches de conscience les plus insignifiantes restent imperturbablement présentes et que souvent on continue d'avoir honte d'une méprise depuis longtemps oubliée de tous. Combien donc peut hanter un meurtre comme celui de Banquo !

Mais ces tâches de sang sur la clef, c'est vraiment pousser la culpabilité bien loin, un peu comme ces saintes qui s'en voulaient des supplices fait au Christ ou allaient jusqu'à l'épouser mystiquement.

Pour rester sur le thème des tâches indélébiles de la conscience en matière de serrurerie avec le pêne et la gâche (aucun rapport avec le borgne et sa fille), il y a par contre cette expression courante allemande "wie Schlüssel und Schloss" pour dire que les choses vont bien ensemble, une dédramatisation qui ramène au naturel.

Merci pour cette chronique
Excellent article, mais peut être à compléter avec une photo du verrou de Fragonard, et un lien vers l'article de maître korkos qui en parlait.
Maître Korkos, bravo !
Vous devriez postuler au supplément hebdo du Monde.
Pas taper !

C'est juste pour dire que pour évoquer un tas de sujets à caution avec élégance et profondeur, vous êtes assez bon, d'après moi
La tache de sang indélébile revient (si je puis dire) dans d'autres légendes, exemple, à Châteaubriant, où tous les 16 octobre le fantôme de Jean de Laval, accusé d'avoir fait assassiner sa femme Françoise de Foix, monte en procession enchaîné dans la chambre maudite et se précipite sur le sang ressurgi du plancher pour essayer de l'essuyer – mais en vain.

(Bon, c'est pas tout à fait ça mais avec les légendes, on fait ce qu'on veut)

Quant à Gustave Doré (le bien nommé) c'est une caverne d'Ali Baba à lui tout seul. Même si, pour illustrer Rabelais, on peut lui préférer Dubout. Sa jeune épousée de Barbon-bleu est vraiment très très jeune... Témoin d'une époque où des barbons bien argentés (remember Molière) pouvaient mettre la bague au doigt et la main (et pas qu'elle) au panier de fillettes. La loi républicaine y a mis bon ordre, mais cela continue sous d'autres cieux.

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