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Burundi : "Les gens s'envoient mes tweets par SMS"

Un mois de manifestations violemment réprimées, un coup d'Etat raté, un leader de l'opposition assassiné : cela se passe au Burundi, pays d'Afrique centrale où la candidature à un troisième mandat du président Pierre Nkurunziza est contestée.

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A propos de la dernière question et du soit disant conflit ethnique, voici l'extrait d'une interview un peu ancienne de Dominique Franche, après le génocide des Tutsis au Rwanda. Je pense que ça reste valable pour le Burundi et c'est toujours crucial de rappeler la construction politique qu'il y a derrière le concept de "conflit ethnique"

Dominique Franche « Il n'y a qu'une seule ethnie au Rwanda, l'ethnie rwandaise »

LE MONDE | 12.11.1996 PROPOS RECUEILLIS PAR JEAN-PIERRE LANGELLIER

EN ARRIÈRE-PLAN du drame que vit la province zaïroise du Kivu, Dominique Franche retrace les origines historiques complexes du conflit entre Hutus et Tutsis. « Depuis des décennies, le Rwanda et le Burundi sont périodiquement le théâtre de massacres entre Hutus et Tutsis. Chaque fois, de nombreux spécialistes répètent que ces affrontements ne sont pas de nature ethnique. Qu'en est-il exactement ?

Hutus et Tutsis ne forment pas des ethnies différentes. Une ethnie est définie par une unité de langue, de culture, de religion ou de territoire. Or, les Tutsis, les Hutus et les Twas le troisième groupe de population du Rwanda vivent mélangés. Il n'y a donc pas de différenciation territoriale. Ils parlent la même langue. Ils ont la même culture et la même religion. Il y a eu entre eux une certaine spécialisation économique, mais qui n'avait rien de systématique. Les Tutsis étaient plus souvent pasteurs, les Hutus plus souvent agriculteurs. Donc, on ne peut en aucun cas parler de conflit ethnique puisqu'il n'y a qu'une seule ethnie, l'ethnie rwandaise.

Et les différences de type physique ?
L'argument fondé sur une différenciation physique est né dans les années 1860. C'est l'explorateur britannique John Speke qui l'a élaboré dans un de ses récits de voyage. Il avait été frappé par certaines différences physiologiques entre Hutus et Tutsis. Il en avait déduit, à tort, avoir affaire à deux races différentes. Aujourd'hui, comme il est politiquement incorrect de prononcer le mot race, on l'a remplacé par le mot ethnie.

Hutu et Tutsi ne forment-ils pas deux types humains différents ?
D'une part, en voulant les identifier, on a énormément de chances de se tromper. D'autre part, les seules mesures précises disponibles au début du siècle ont été faites par un anthropologue allemand en 1907-1908. Il a trouvé entre Hutus et Tutsis une différence de taille de douze centimètres. C'est exactement la même différence de taille que l'on trouve en France en 1815 entre un conscrit et un pair du Sénat. Cette différence de taille est liée à des différences de genre de vie, d'alimentation, au fait que la noblesse tutsie ne pratiquait pas les travaux des champs, contrairement aux Hutus. » Le problème, c'est que toutes les études anthropologiques sur les Tutsis se cantonnaient aux gens de la cour du roi du Rwanda. Ces gens n'avaient pas les mêmes caractéristiques physiques que d'autres personnes qui se trouvaient à la périphérie du royaume et qu'on appelle aujourd'hui également Tutsis. On a toujours appliqué le modèle du Rwanda central à l'ensemble du territoire rwandais. En outre, on a appliqué ce même modèle au Burundi voisin qui avait pourtant une société très différente. A la périphérie du royaume rwandais, on appelait donc indifféremment Tutsis des Tutsis ou des Hutus venus du sud et du centre du pays. La catégorie n'était pas fixe dans la pensée rwandaise traditionnelle.

Entre Hutus et Tutsis, la taille n'est pas la seule différence physique.
C'est vrai. Ils ont des traits physiques discernables rapidement. Il ne s'agit pas de nier ces différences, ce que font certains chercheurs de mauvaise foi. Mais qu'est-ce que cela prouve ? Cela existe en France aussi. Si l'on applique cette relation entre les traits physiques et la constitution d'un prétendu groupe ethnique ou racial, il faut aller jusqu'au bout de la logique et recommencer les mêmes erreurs d'analyse que dans l'Europe de l'entre-deux guerres, où certains prétendaient que les blonds aux yeux bleus et les bruns aux yeux noirs appartenaient à deux races différentes . « La guerre civile entre Hutus et Tutsis oppose des élites qui se battent pour le pouvoir et manipulent les masses » » Un autre facteur de différenciation intervient : la sélection sexuelle. Les critères de beauté ne sont pas les mêmes dans les deux groupes de population. Séjournant au Rwanda, j'ai souvent demandé aux Hutus quel était leur critère pour choisir une femme. On me répondait : « Les gros bras. » Car le paysan hutu a besoin d'une femme bien baraquée pour pouvoir cultiver ses champs. Chez les Tutsis de la Cour, les critères de beauté étaient autres.

Puisque vous bannissez le terme d'ethnie, quel mot utilisez-vous pour distinguer Hutus et Tutsis ?
J'ai longtemps hésité. Le mot classe sociale ne peut pas être transposé en Afrique, il est trop connoté. Et il n'est que partiellement pertinent. A l'époque du royaume rwandais, il y avait certes une classe sociale des nobles tutsis. Mais il y avait aussi des Tutsis pauvres, qu'on appelait les « petits Tutsis » et qui formaient une autre classe. Le mot caste ne convient pas non plus, car il suppose une polarisation économique rigide qui n'a jamais existé à ce point. Il suppose aussi une idée de pureté qui n'existe absolument pas dans la pensée traditionnelle rwandaise ou burundaise. Le meilleur terme est celui de communauté. Des communautés constituées récemment, et qui sont unies par la haine, la peur de l'autre, le désir de vengeance et par rien d'autre. Il y a deux communautés de la peur, l'une hutue, l'autre tutsie.
(...)

Dominique Franche, a publié un livre ( recensé ici par exemple) sur le Rwanda dans lequel il donnait d'autres exemple qui démolissaient l'idée d'ethnies, notamment (de mémoire) le fait que si des parents Hutu adoptaient un enfant de parents Tutsi, il devenait Hutu.
Merci beaucoup pour ce travail de fond, intervieweuse et interviewée ! Cela nous rappelle le prix du droit à l'information, que nous, consommateurs de news au chaud, aimons tant brandir.
Une question : pourquoi les diffusions radio n'ont elles pas été doublées par les diffusions internet. Si tout le monde écoute sa radio sur téléphone, c'est qu'il y a une possibilité technique de s'affranchir des émetteurs hertziens, non ?
Merci Justine, interview passionnante.
Et quel travail de terrain, bravo à Sonia Rolley.

Ça change des éditorialistes qui savent tout sur tout sans jamais bouger de Paris.
Merci pour ce billet, Justine. Ô combien nécessaire.
Conflit également suivi ici en mode très réseau social, via les différents articles relayés par le Courrier International sur mon fil Facebook. Mais décidément, ce mode d'information n'est pas très fiable, parce que je pensais, aux dernières nouvelles, que le coup d'état avait réussi.

Ceci étant dit, merci pour cette interview super intéressante.

Et merci à RFI, parce que quand même, ils assurent.

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