BFMTV, première chaîne d'examen des tenues des jeunes filles
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BFMTV, première chaîne d'examen des tenues des jeunes filles

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Une lycéenne est debout, micro à la main, devant son lycée du Nord, à Grande-Synthe. La caméra de BFMTV filme son corps, des épaules jusqu'aux genoux, sans dévoiler son visage. Elle porte des vêtements. De ces vêtements, il n'y a pas grand-chose à dire : ce sont des pièces en tissu, à manches longues et évasées, d'un beige très clair, qui habillent une jeune élève de lycée. Une fille mineure, donc.

Elle s'appelle Nassima. Le bandeau de la chaîne d'info le précise, en la décrivant comme une "élève exclue ce matin pour port de vêtement interdit". Nassima explique qu'elle est arrivée à 8 heures, et qu'un surveillant lui a dit "de se mettre sur le côté", ce qu'elle a fait, jusqu'à ce que le proviseur du lycée et son adjointe viennent lui annoncer que "[s]a tenue n'est pas adaptée pour être en cours". Sa tenue, "c'est un haut et un pantalon", pas une abaya, précise-t-elle.

Retour en plateau. "C'est la tenue que vous portez, là ?", demande Alain Marschall, le présentateur de BFM Story. "On la détaille, pour qu'on comprenne bien", ajoute-t-il tandis que la caméra filme le bas du corps de la jeune fille. "C'est une tunique qui descend jusqu'à mi-cuisses, tunique et pantalon sont un peu amples." Nassima confirme, ce qui n'empêche pas Marschall de lui demander s'il s'agit d'une abaya. Il semblait ne pas écouter il y a dix secondes. "Non, ce n'est pas une abaya, c'est un t-shirt et son pantalon", répond calmement la jeune fille, avant d'expliquer qu'une abaya, "c'est long, c'est une robe avec des manches, c'est tout sauf ça".

Une robe, ce n'est pas la même chose qu'un ensemble t-shirt et pantalon, et l'on pourrait penser que même Alain Marschall, qui n'est ni un adolescent ni une bête de mode, le comprendrait. Mais il insiste : "Est-ce que vous aviez conscience que ça pouvait porter à confusion ?" Non, répond Nassima, qui semble un peu surprise. "Ce n'est pas une tenue religieuse, pour vous ?" Non, dit-elle : elle ne prie pas dans cette tenue, elle fait du sport avec, "rien de plus". "- Mais par exemple, l'année dernière, vous veniez avec ce genre de tenue à l'école, sans problème ?" Oui, dit Nassima : elle le mettait "en plusieurs coloris", et personne ne lui a jamais rien dit.

Il faut dire que l'an dernier, Gabriel Attal n'était pas encore ministre de l'Éducation nationale. Et n'avait pas encore choisi la polémique stérile qu'il utiliserait pour détourner les médias du fait que la réforme du bac est une catastrophe et qu'il manque 3 000 postes de professeurs pour la rentrée. Depuis, il a jeté son dévolu sur l'abaya, et Nassima s'est donc retrouvée exclue de son lycée. Puis questionnée en direct à la télévision par Alain Marschall, dont la ténacité cruelle laisse penser qu'il a confondu son micro-trottoir avec une audition de garde à vue.

Il le prend très à cœur, Alain Marschall, son rôle de chien de garde du patriarcat et des "valeurs républicaines". Le voilà qui demande à la jeune fille – une lycéenne, adolescente, mineure, rappelons-le – pourquoi elle porte "ce genre de tenue ample". C'est vrai, ça, qu'est-ce qu'elle cache, cette dangereuse adolescente ? Les Français veulent savoir ! "Est-ce que vous préférez ces tenues amples parce que ça cache un peu vos formes ?" A-t-il conscience, Alain Marschall, journaliste professionnel de 60 ans, qu'il est en train de questionner comme un forcené une adolescente sur son corps ? Comprend-il seulement à quel point il dépasse les bornes ? Sait-il la violence de l'adolescence et du regard que porte la société sur le corps des jeunes femmes ? Y a-t-il une petite voix qui alerte dans sa tête, qui lui rappelle qu'il s'agit d'une enfant, d'une enfant qui comme elle l'explique "aime la mode parce que ça lui plaît" ?

Peu importe, puisqu'Alain Marschall voit clair dans son jeu. Cela a forcément à voir avec la religion, forcément musulmane, de la jeune fille, c'est sûrement grave, il faut creuser : "Vous portez le voile, aussi ?" Peu importe que Nassima souligne l'enlever systématiquement en allant en cours ; peu importent ses réponses, d'ailleurs, il n'écoute pas. Il faut la cuisiner, savoir sur "quels réseaux sociaux" elle trouve ses tendances. Lui faire cracher ce qu'il croit déjà savoir : "Est-ce que vos amies musulmanes portent ce type de tenue ?" 

Et c'est dommage, parce que la lycéenne aurait un angle autrement plus intéressant à proposer à cet interrogatoire sexiste, islamophobe et profondément dérangeant, qu'elle traverse vaille que vaille. Ce matin, dit-elle, une fille avec la même tenue mais aux manches courtes, ainsi qu'une autre en kimono, sont entrées au lycée sans problème. "C'est quand tu portes le voile qu'il y a un problème", soulève-t-elle. Alain Marschall, trop occupé à scruter les tenues des adolescentes pour en contrôler les "formes" sous les "vêtements amples", ne relève pas.

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