Sarkozy, Juppé, Philippe : un livre, une promo, un "homme"
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Sarkozy, Juppé, Philippe : un livre, une promo, un "homme"

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On sait ce que vous vous dites : tiens, une chronique à partir d'archives de l'Ina, ça change. Sauf qu'en fait, pas du tout. Les séquences que vous allez voir ont bien été diffusées cette semaine à la télé. En cette rentrée politico-littéraire, trois revenants font la tournée des plateaux : Nicolas Sarkozy et Alain Juppé pour la publication de leurs mémoires, Édouard Philippe pour la publication d'un atlas-programme (des lieux lui inspirent des idées, c'est tout un concept). Trois livres, trois prétextes pour dire que, quand même, derrière l'homme politique, il y a surtout un homme (l'un "aime les femmes", un autre "a des sentiments"). Des séquences grotesques, offertes par TF1, France 5 et BFMTV et qui répondent à une logique implacable : un livre, une promo, un "homme". Et donc une chronique.

Générique !

Invité de l'émission C à vous (France 5), ce mardi 12 septembre, pour la publication de ses mémoires, intitulées Une histoire française (Taillandier), Alain Juppé a déclaré…

Déjà que vous n'allez pas lire le livre, on ne va pas vous imposer le verbatim de sa promo. Sachez juste qu'il y avait une bonne ambiance sur le plateau…

Pour le reste, vous pouvez vous contenter des titres de ces autres interviews (accordées au Monde, à Sud-Ouest et à France inter) pour mesurer l'intérêt du propos : "J'avais envie d'être président de la République mais pas la gnaque suffisante", "J'aurais bien aimé être président de la République, mais enfin, je m'en suis remis".

Si vous voulez vraiment approfondir sa vision politique sans tout lire, ces interviews ont fait l'objet de multiples reprises. Oui, Juppé, aspirateur à clic en 2023, qui l'eût cru ? Enfin, ce n'est pas vraiment sur sa politique sociale que Gala, Madame Figaro et leurs copains ont fait leur titre… 

Pour un responsable politique, quelle que soit sa situation (en retrait, en retraite ou en réserve de la République), il suffit juste de publier un livre (qui ne se vendra pas la plupart du temps) et les portes des plateaux télé vous sont grandes ouvertes.

L'homme, derrière l'homme politique

En moins d'une semaine, Édouard Philippe et Nicolas Sarkozy ont été interviewés pour la publication de leurs livres. L'un dans Sept à huit sur TF1 pour Des lieux qui disent (Philippe raconte chez JC Lattès ses souvenirs en s'arrêtant sur les lieux qui ont compté dans sa vie), l'autre sur BFMTV pour la publication du tome 3 de ses mémoires, intitulé Le temps des combats (Fayard).

Dans les deux cas, c'est avant tout l'homme que les journalistes sont venus interroger. Avec des questionnements intimes dès le début. "Au fond, pourquoi écrivez-vous ce livre ? Dans quel but ? C'est pour témoigner bien sûr, écrire l'histoire, certains diront réécrire ? Expliquer ? Et puis je le dis avec le sourire, est-ce qu'au fond, c'est pas un peu aussi pour qu'on ne vous oublie pas ?", commence Bruce Toussaint.

Audrey-Crespo Mara, elle, s'intéresse d'abord à la famille d'Édouard Philippe. "Le Havre, c'est la ville de votre famille paternelle depuis toujours, explique la journaliste. Le port, la pêche avec votre sœur, dans le petit bateau de votre grand-père. En quoi cela vous a fait? En quoi cela vous constitue ?"

Et les photos d'archives qui vont avec...

En deux minutes, toute la famille va y passer...

Si Sarkozy et Philippe ont des trajectoires différentes, tous deux ont comme point commun d'avoir voulu tout raconter dans un livre. D'ailleurs, le titre de celui de Sarkozy est vraiment bien choisi. N'est-ce pas Bruce ? "Le temps des combats, le titre est bon, parce qu'on a l'impression que vous êtes sur le ring en lisant ce livre, que raconter ces années-là vous permet de remonter, de repartir au combat.".

Non seulement le titre est bon, mais Sarkozy est un homme hyper sincère. Il ne dissimule pas, il n'enjolive pas les événements. "Dans un livre comme ça, on revient sur le passé, enchaîne le journaliste. On peut aussi avoir, sans aller jusqu'à l'idée du pardon, on peut avoir l'envie de gommer certaines choses. Pas du tout, c'est pas votre style. Vous, vous dites vraiment ce que vous avez pensé sur l'instant."

L’interview politique complaisante, c’est un métier. Et il faut reconnaître que dans cet exercice, Bruce Toussaint est un grand professionnel. L'homme Sarkozy est tout de suite très à l'aise : "J'ai voulu montrer qu'on pouvait être président de la République et avoir des sentiments", "J'ai voulu partager des moments qui m'ont marqué avec les Français", "Quand on est président de la République, on n'est plus un homme politique. On fait partie de la famille des Français."

Des phrases clés qu'on retrouve aussitôt en bandeau…

"Itinéraire d'un conquérant"

Sarkozy est un retraité de la politique. Édouard Philippe s'est plutôt mis en retrait, pour mieux rebondir en 2027 ? C'est le destin de cet homme que TF1 essaye de nous décrire en insistant sur "l'itinéraire d'un conquérant"Un conquérant qui a une faille. C'est d'ailleurs le centre de l'interview-portrait de Sept à huit, on le comprend dès le lancement de Harry Roselmack : "Ceux qui ne l'ont pas revu depuis son départ de Matignon en juillet 2020 seront surpris. Edouard Philippe ne porte plus la barbe qui était l'une de ses signatures physiques. Il s'en explique ce soir".

Sur quinze minutes d'interview, un tiers du temps est consacré à sa "transformation physique". Admirez la pugnacité d'Audrey Crespo-Mara à ce sujet : "Votre transformation physique est spectaculaire. En quatre ans, vous avez développé deux maladies auto-immunes. Vous en parlez plus facilement aujourd'hui ?" Oui, il en parle facilement, car c'est bénin. Bé quoi ? Un peu comme chez le psy, elle le confronte à son ancienne image : "Ça vous fait quoi de vous revoir comme ça ?"

S'ensuivent quatre autres questions, toujours sur le physique. Exemple: "Vous l'écrivez, une touffe de cheveux tombe, ça commence comme ça ?", "Redoutez-vous l'impact que ces deux maladies et la transformation physique qu'elles ont entraînée, pourraient avoir sur votre avenir politique ?", ou encore "Les Français peuvent se dire, il n'a pas résisté au stress, il est fragile, il ne pourra pas exercer de responsabilités encore plus exigeantes que Matignon ?"

Autant de questions destinées à rassurer l'opinion sur la santé de l'homme Philippe, qui va donc très bien.

Cinq minutes sur le physique et la famille, cinq minutes sur ses relations avec Macron ("Cet été, Emmanuel Macron a dit que vous étiez un ami. Vous le diriez aussi ?"). Du coup, il ne reste plus beaucoup de temps pour les questions de fond (seulement cinq minutes). C'est peu, mais suffisant pour aborder les sujets qui obsèdent la droite : l'immigration, l'insécurité, l'interdiction du port de l'abaya à l'école, les atteintes à la laïcité liées à un "obscurantisme maléfique", etc. De ce point de vue, pas de scoop. Même sans poil, Philippe est très à droite

Quant à Sarkozy, n'en parlons pas. Immigration, délinquance, lien entre immigration et délinquance. Il n'a pas changé. Tout est résumé dans ce double-bandeau (au cas où vous auriez des problèmes de vue). 

Reste la question des affaires. Pour Édouard Philippe, coup de bol, la révélation d'une affaire de prise illégale d'intérêts n'a été publiée qu'après sa tournée médiatique (tout est expliqué dans le Monde). Pour Sarkozy, c'est une autre histoire. 

Sarkozy et les affaires : 10 minutes sans question précise

En tournée médiatique depuis le mois d'août, Sarkozy échappe quasiment toujours aux questions sur les affaires judiciaires, comme l'a démontré Pauline Bock, alors que l'on vient d'apprendre qu'il est renvoyé devant le tribunal correctionnel dans l'affaire libyenne notamment pour "corruption passive" et "association de malfaiteurs". Du jamais vu.

Sur BFMTV, Toussaint n'a pas éludé le sujet, mais il a démontré par l'exemple que donner la parole aussi longtemps à la défense (le passage sur les affaires a duré 10 minutes) favorise mécaniquement celui qui est accusé. Surtout quand on ne lui pose aucune question précise.

Oui, on ne s'en rend pas bien compte à la première écoute, mais sur les fiches de Toussaint, il n'y a que deux questions directes. L'une à propos du patron du Parquet national financier qui réfute tout harcèlement à l'encontre de Sarkozy. "Qu'est-ce que vous lui répondez ?", demande Toussaint.  L'autre question qui figure sur ses fiches, c'est pour conclure la séquence "J'ai une question personnelle à vous poser, Nicolas Sarkozy : est-ce qu'il vous arrive de penser à la pire des sanctions, celle qui pourrait vous priver de liberté ?" Une "question personnelle" à l'homme Sarkozy, pas au prévenu.

Deux questions, et pas une de plus. 

Avec seulement deux questions directes, cette séquence de dix minutes a donc été pensée comme un long monologue de Sarkozy, entrecoupé par quelques remarques de Toussaint. Parfois, le journaliste réfute les propos de Sarkozy. Il le reprend notamment sur le fameux document libyen attestant d’un accord de financement de la campagne de 2007 à hauteur de 50 millions d’euros. Sarkozy en conteste l'authenticité ("C'est un faux"), Toussaint corrige ("La justice vous a donné tort à trois reprises").

Mais la plupart du temps, Toussaint laisse filer. Par exemple, quand Sarkozy déclare qu'aucune trace de virement de fonds provenant de la Libye n'a été constatée par la justice sur ses comptes de campagne ("Pas un centime", martèle Sarkozy qui a bien fait d'insister puisque la chaîne en a fait son bandeau), Toussaint ne dit rien.

Pourtant, n'importe quel abonné de Mediapart, qui a lu un article sur l'affaire libyenne au cours des dix dernières années (149 articles sur le site à ce jour, excusez du peu), sait très bien que cet argent libyen n'a pas fait l'objet de virement sur les comptes de campagne, mais aurait notamment été distribué à des collaborateurs de la campagne dans des enveloppes de liquide.

Oui, sur BFMTV, il n'a jamais été question de mettre en difficulté Sarkozy. La preuve ? Regardez comment Toussaint va conclure l'entretien... 

- Toussaint : "Merci (...) Je voudrais aussi signaler que vous êtes engagé depuis très longtemps au côté de l'institut Gustave Roussy, qui est basé à Villejuif évidemment et qui est à la pointe dans la lutte contre les cancers pédiatriques. Voici cette affiche qui apparaît à l'instant."

- Toussaint : "Il est possible de faire un don, c'est très important. Le mois de septembre est un mois de mobilisation pour récolter des fonds… Le livre s'appelle Le temps des combats, c'est chez Fayard. (...)

- Sarkozy : "Je peux dire juste un mot sur la photo de Noé. Parce que Noé, que vous avez vu en photo, est mort."

- Sarkozy : "Noé, c'est un petit garçon que j'ai connu à 8 ans, qui avait un cancer. Et ce cancer, c'est 100% de mortalité. C'est pour ça qu'il faut donner de l'argent. C'est pour ça qu'il faut les aider."

- Toussaint : "Le message est passé. Merci Nicolas Sarkozy". Merci BFMTV.

Post-scriptum

Au fait, on a failli oublier un revenant. Celui-ci n'a pas publié de livres, mais il a fait un retour médiatique inattendu. Quatre jours après le séisme au Maroc, BFMTV a diffusé une interview exclusive d'un habitant de Marrakech…

DSK ? Oui, car avec son association marocaine, figurez-vous qu'il a décidé de se mobiliser. C'est écrit sur le bandeau.

DSK Mobilisé ? Oui, il collecte des vivres pour les sinistrés. Regardez bien, BFMTV a zoomé sur les produits collectés.

DSK ? Oui, c'est un témoin clé du drame. Bon, il n'était pas au Maroc lors de ce tremblement de terre. Mais il a déjà vécu un tremblement de terre. C'était il y a 60 ans, dans une autre ville (son récit exclusif en panneau).

Le témoignage de DSK est donc indispensable. Il est d'autant plus pertinent qu'il connaît très bien le Maroc. Mais pas en qualité de sismologue. Depuis l'année dernière, il est visé par une enquête préliminaire pour "blanchiment de fraudes fiscales aggravées" dans le cadre des Pandora Papers. La justice s'interroge sur son statut de résident fiscal marocain. On n'attend plus que l'interview de Bruce Toussaint pour y voir plus clair.

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