Quatre hommes. Quatre hommes graves, vêtus de sombre. Quatre hommes et un enfant en jeans et baskets : Elon Musk a visité Auschwitz. Avec un petit Muskounet (deux ans au doigt mouillé), porté aux épaules par papa, comme un dimanche au Parthénon ou à Disney, et dont on se demande bien ce qu'il aura retenu de la visite. Pour la photo historique, papa aurait pu confier le Muskounet à la nounou, hors champ. Mais non. Elon veut d'abord signifier que c'est lui, et lui seul, qui trace les limites du cadre de cette photo historique. Sans doute aussi signifier qu'il ne vient pas en repentance après l'explosion révisionniste et antisémite sur X, mais accomplit, en digne père (de onze enfants à ce jour) un devoir de mémoire et de transmission.

Elon Musk n'en finit plus, de faire du tourisme sur les lieux de la souffrance juive, après sa visite au kibboutz de Kfar Aza le 27 novembre dernier, avec Netanayahu. Il faut dire qu'il a beaucoup à se faire pardonner, après un tweet révisionniste ayant entraîné une hémorragie d'annonceurs sur X (IBM, commission européenne, Apple, Disney, etc) et après une étude indiquant que le nombre de messages antisémites anglophones sur X (ex-Twitter) a doublé depuis qu'il en a pris le contrôle.

Après la visite, dans une interview à Cracovie, Musk a estimé que X, à l'époque du nazisme, aurait pu sauver des vies juives. Cette supposition hardie n'est pas reprise par l'AFP, mais par la Jewish Telegraphic Agency (JTA), qui porte haut les standards du journalisme depuis les Années 30, comme je l'avais découvert en travaillant sur Berlin 1933.

Le propos ayant été tenu en anglais -"X could have saved Jews"- je suis incapable de dire si Musk a pensé "DES Juifs", ou "LES Juifs". Peut-être pense-t-il qu'un réseau comme X aurait carrément pu éviter la Shoah, toute la Shoah. Ou alors peut-être seulement quelques massacres à la marge, par exemple en Ukraine, plus visibles que d'autres. Pour la démonstration, les organisateurs de la manifestation avaient tourné une video, inventant un fil X imaginaire des Années 40. "Sur une musique dramatique, les messages comprenaient des messages tels que : « Les nazis ont dit aux Juifs d'entrer dans la synagogue – des familles entières, des nourrissons dans les bras de leurs mères, n'est-ce pas ? Ils ont fermé les portes et les fenêtres avec des barres métalliques puis y ont mis le feu ! OH. MON. DIEU. Le monde doit le savoir !"

"Musk a approuvé cet univers historique alternatif, continue la JTA. « S'il y avait eu les réseaux sociaux, il aurait été impossible de se cacher . S’il y avait eu aussi la liberté d’expression. L’une des premières choses que les nazis ont faites à leur arrivée a été de fermer toute la presse et tout moyen de transmission d’informations. » 

Cet enthousiasme semble néanmoins avoir été un peu modéré par d'autres participants à la réunion. La JTA, encore :  "Les historiens ont également souligné que les nazis étaient passés maîtres dans l’art d’utiliser les médias existants pour faire valoir leurs arguments contre les Juifs, suggérant que dans cet univers alternatif, les nazis auraient pu également utiliser les médias sociaux comme une arme".

Il me semble en effet peu douteux que la "nazisphère", sous la baguette du bon Docteur Goebbels, n'aurait pas laissé sans réponse le tweet imaginaire précédent, l'ensevelissant sous les insultes, et l'accusant de propager des fake news, avec la bénédiction des algorithmes de la plateforme, tels que revus et corrigés par Musk depuis le rachat. Et il ne semble pas certain que l'indignation mondiale se serait convertie en intervention militaire des Alliés, davantage qu'à Gaza, où le massacre des Palestiniens, "des familles entières, des nourrissons dans les bras de leurs mères", se poursuit tranquillement depuis plus de cent jours, malgré les "OH.MON.DIEU le monde doit savoir" multi-quotidiens.