SDF : le pouvoir et la pensée magique
Tous les Parisiens qui, chaque soir, chaque nuit, croisent des silhouettes endormies dans la rue, sous les ponts, sous les porches, sous la neige, doivent savoir qu'ils rencontrent des specimens rares : en tout et pour tout, ils ne sont qu'une cinquantaine, à dormir chaque nuit dans la rue à Paris. Ce doit être vrai, puisque ce sont successivement un secrétaire d'Etat, Julien Denormandie, et un député LREM de Paris, Sylvain Maillard, qui l'ont affirmé devant tous les micros passant à leur portée. Avec cette explication sociologique irréfutable, inaugurée par le président de LREM Christophe Castaner, sur cette cinquantaine d'irréductibles : ce sont eux, qui refusent les hébergements d'urgence qui leur sont proposés.
Comme toutes les mythologies politiques, ce mythe du SDF-qui-refuse-l'hébergement-proposé repose sur une part de réalité : c'est vrai d'une infime minorité d'entre eux, et pour des raisons que les associations savent très bien expliquer. Mais la récupération propagandiste d'une réalité tragique ne fait qu'en accroitre l'indécence. N'empêche que tout a été tenté pour tenter d'accréditer la fable. Y compris une maraude nocturne du Premier ministre, croisant comme par hasard deux SDF roumains que le logement d'urgence "n'intéresse pas". Le terrain, c'est bien connu, ne ment pas.
L'objectif de ces divagations macroniennes est clair : sauver la mise du chef qui, en juillet dernier, avait promis qu'avant la fin de l'année, "plus personne"
ne dormirait dans la rue à Paris. C'était évidemment une promesse irréalisable, tenant de la pensée magique comme, en son temps, Hollande promettant d'inverser la courbe du chômage, avant la fin d'une autre année -toujours la barrière magique du 31 décembre.
Une promesse qui se retourne aujourd'hui contre eux, alors que depuis le début de l'année, selon le collectif Les morts de la rue, vingt SDF sont morts de froid en région parisienne, dont douze à Paris (huit seulement selon la préfecture). Et qui se retourne si bien contre eux que la préfecture de Paris, si l'on en croit Le Monde, est un peu nerveuse, à la perspective de voir la mairie procéder à son propre comptage, dans la nuit du 15 au 16 février, avec le concours de 1500 bénévoles.
Pourquoi ces promesses absurdes, dont ils savent bien qu' elles se retourneront contre eux, les medias , jouant ici pleinement leur rôle d'alerte, se faisant un plaisir de les rediffuser en boucle ? Sans doute parce qu'ils y croient eux-mêmes. Et parce que le pouvoir a un besoin irrésistible de faire croire à sa propre magie, quitte à en devenir prisonnier.
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